La prévalence de l’obésité croît de façon inexorable dans le monde et atteint des niveaux particulièrement inquiétants en Amérique du Nord, mais aussi au Moyen-Orient ou dans les Balkans. Cette croissance s’accompagne d’une hausse parallèle et presque épidémique du diabète et des maladies cardiovasculaires. Les efforts pour prévenir et a fortiori pour traiter l’obésité s’avèrent souvent vains : les programmes de modification durable du mode de vie, de l’activité physique et du régime alimentaire sont souvent peu efficaces et très difficiles à maintenir dans la durée. En outre, l’essai Look AHEAD a observé que même lorsqu’on parvient, grâce à des programmes de modification intensive du mode de vie, à ce que des obèses diabétiques perdent du poids, les bénéfices sur le risque cardiovasculaire restent incertains. La chirurgie bariatrique obtient, certes, des résultats significatifs sur la perte de poids et les marqueurs du risque cardiovasculaire, mais au prix d’une intervention lourde, non dénuée de risques et entraînant des conséquences à long terme non négligeables. De toute façon, la chirurgie ne peut être une solution à la mesure de l’ampleur de l’épidémie d’obésité.
Depuis quelques années, il émerge toute une série de médicaments capables de faire perdre du poids de façon marquée et durable : les agonistes du GLP-1 (glucagon-like peptide 1) (notamment, mais pas seulement, le sémaglutide) mais aussi les doubles agonistes du GLP-1 et du GIP (glucose-dependent insulinotropic polypeptide) tels que le tirzépatide (non encore commercialisé en France) et, à l’horizon, un ensemble de médicaments non amphétaminiques capables d’induire une perte de poids très notable, supérieure à 15 voire 20 % du poids corporel, chez des sujets obèses, diabétiques ou non. Or, lorsque l’on observe de façon prospective le pronostic des cardiaques ayant déjà eu de l’insuffisance cardiaque ou un infarctus du myocarde, on note, de façon paradoxale, que les sujets obèses ont plutôt un meilleur pronostic que les sujets non obèses. Ce “paradoxe de l’obésité” rend indispensable d’étudier l’effet de ces médicaments sur le risque cardiovasculaire. On peut ajouter qu’après la catastrophe des effets indésirables cardiologiques des amphétamines utilisées à visée amaigrissante (fenfluramine/phentermine et benfluorex (Mediator)), il est plus important que jamais d’être assuré de la sécurité d’emploi de ces médicaments.
Le premier grand essai clinique randomisé sur les effets cardiovasculaires des agonistes de GLP-1 en prévention secondaire vient d’être présenté lors du congrès de l’American Heart Association, et simultanément publié dans le New England Journal of Medicine [1]. L’essai SELECT a inclus plus de 17 000 patients ayant une maladie cardiovasculaire avérée, mais sans diabète, et dont l’IMC était ≥ 27. Les participants ont reçu en double aveugle soit du sémaglutide (visant une dose cible de 2,4 mg s.c. par semaine, soit la dose utilisée dans l’obésité, bien plus élevée que la dose hebdomadaire de 1 mg utilisée dans le diabète), soit un placebo. Après un suivi moyen d’environ 40 mois, le taux de survenue du critère de jugement principal (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral) était de 8,0 et 6,5 %, respectivement, dans les groupes placebo et sémaglutide, soit un hazard-ratio de 0,80, avec un IC95 de 0,72 à 0,90 (p < 0,001). Il est à noter que les courbes de survie divergent dès les premières semaines de traitement, avant que la perte de poids soit notable, suggérant que celle-ci n’est pas le seul mécanisme du bénéfice observé. Les effets indésirables conduisant à l’arrêt du traitement de l’étude sont survenus 2 fois plus fréquemment sous sémaglutide que sous placebo (16,6 contre 8,2 %). Il s’agissait principalement d’effets digestifs (nausées, vomissements). Il faut également noter que les critères secondaires montraient des tendances favorables mais statistiquement non significatives sur le risque de décès cardiovasculaire (réduction relative de 15 %), d’insuffisance cardiaque (réduction relative de 18 %) et de décès (réduction relative de 19 %).
Cette première démonstration du bénéfice cardiovasculaire d’un traitement faisant maigrir les obèses est conceptuellement très importante. Elle ouvre la voie à un traitement pharmacologique de l’obésité et semble offrir une alternative à la chirurgie bariatrique. Elle laisse espérer des perspectives très encourageantes pour les médicaments à venir, parfois encore plus actifs que le sémaglutide sur la perte de poids, mais qui devront impérativement, à leur tour, faire l’objet d’essais randomisés de morbimortalité.
Pourtant, rien n’est résolu : il est bien établi que l’effet sur la perte de poids disparaît à l’arrêt du traitement, imposant donc, comme pour d’autres facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle ou hypercholestérolémie) un traitement prolongé, voire indéfini. En outre, ces médicaments sont coûteux (et même quasi inaccessibles dans les pays émergents), ce qui pose des problèmes d’équité face au traitement ; or la prévalence élevée de l’obésité fait qu’il est impossible d’envisager ce traitement médicamenteux comme un traitement de masse, d’autant plus qu’il y a pour l’instant une véritable pénurie de ces médicaments, en partie liée à leur détournement à des fins d’amaigrissement cosmétique. Enfin, l’implémentation en clinique de ces résultats n’est pas simple chez les patients ayant une pathologie cardiovasculaire : si la réduction du risque cardiovasculaire résiduel est évidemment très importante, elle doit aussi s’apprécier en tenant compte des problèmes d’adhésion au traitement, d’interactions médicamenteuses et de coût posés par la polypharmacie préventive, souvent nécessaire chez ces patients.
Beaucoup de travail reste également à faire pour préciser les différents mécanismes contribuant au bénéfice cardiovasculaire et, en particulier, l’importance relative de la perte de poids et des autres effets du sémaglutide. Il faudra aussi s’intéresser à l’impact de ces médicaments sur l’insuffisance cardiaque chronique (des résultats de l’essai récent STEP-HFpEF suggèrent un bénéfice sur les biomarqueurs de l’insuffisance cardiaque et sur la qualité de vie [2], mais il manque encore des essais cliniques portant sur les événements cliniques). La perte de poids entraînant une baisse des marqueurs d’inflammation systémique, il sera intéressant d’examiner l’effet à long terme sur la fonction rénale (il a été annoncé des résultats positifs de l’essai FLOW sur la progression de l’insuffisance rénale chez des diabétiques insuffisants rénaux chroniques), sur la survenue de cancer, voire sur la fonction cognitive. Il faudra aussi examiner si ce traitement pourrait être utilisé en prévention primaire cardiovasculaire chez certains patients obèses à haut risque cardiovasculaire. Il n’en reste pas moins que la démonstration d’un bénéfice cardiovasculaire marqué et durable de ce traitement est une bonne nouvelle pour les patients obèses et ouvre véritablement une nouvelle ère dans la prise en charge du risque cardiovasculaire.