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Éditorial

Le principe de précaution en médecine : 20 ans après…


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Un groupe de travail* a récemment mis en lumière un défaut d’interprétation de la véritable nature du principe de précaution (PP). L’étude a également permis de préciser les conditions de mobilisation de ce principe dans les 3 domaines de l’activité médicale – la médecine de soins, la recherche biomédicale et la santé publique –, et de dissiper la confusion entre PP et précautionnisme.

Le PP apparaît à l’occasion du sommet de la Terre à Rio, en 1992. En France, 2 étapes principales consacrent son avènement. La 1re répond à la loi Barnier de 1995 qui définit le PP, “selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement, à un coût économiquement acceptable”.

La 2e étape, en 2005, a été l’introduction du PP dans la loi constitutionnelle relative à l’environnement. L’article 5 du texte reprend les grandes lignes de la loi de 1995, en impliquant de surcroît les autorités publiques. Mais si la loi Barnier ne concerne que l’environnement, la Charte de l’environnement présente un champ d’application plus large, car son article 1 énonçant que “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé” établit un lien implicite entre la préservation de l’environnement et la protection de la santé. En France, plusieurs facteurs – dont les grandes crises sanitaires qui ont agité le pays à la fin du siècle dernier (vache folle, sang contaminé, amiante) – ont également contribué au transfert du PP, de l’environnement à la santé.

Par ailleurs, la méfiance des médecins envers le PP a été attisée par un rapport public du Conseil d’État en 1998, qui soulignait que ce nouveau concept était de nature à exiger du décideur la preuve de l’absence de risque, et par la publication d’un haut magistrat affirmant que le PP s’appliquait aux relations personnelles du médecin avec son patient [1].

Comment repenser un usage raisonné du PP ?

Il faut, dans un premier temps, s’accorder sur le sens précis des termes en usage. Si le danger est une simple menace, le risque est la probabilité ou la plausibilité de survenue d’un dommage par exposition à ce danger [2]. La probabilité est l’évaluation quantifiée de la fréquence de survenue d’un dommage ; la plausibilité ressortit à un “possible” non quantifiable. Le PP, en raison même des conditions d’incertitude dans lesquelles il est invoqué, est concerné par la plausibilité. La prudence, quant à elle, est une disposition d’esprit, tandis que la précaution est une mesure physique destinée à éviter un mal ou en atténuer l’effet.

La définition générale du PP en fait un mode de gestion des risques en situation d’incertitude. L’invocation du PP implique la mobilisation d’une procédure composée de 3 volets :

  • une disposition d’esprit, la prudence, qui se manifeste par la capacité de réfléchir à la portée de ses actes ou aux conséquences d’une configuration particulière dans laquelle on a décelé un danger ;
  • la mise en oeuvre d’une logique de précaution [3] qui consiste à émettre des hypothèses sur les dommages qui pourraient advenir et sur les mesures que l’on pourrait être amené à appliquer. Le degré de plausibilité de chaque hypothèse est évalué par des tests scientifiques rigoureux, tandis que les propositions de mesures doivent être estimées selon les critères des avantages et des inconvénients, regroupés sous le terme de “balance bénéfices/risques” ;
  • la mesure physique de précaution est destinée à éviter ou à limiter le risque plausible. Cette mesure doit rester proportionnée et surtout révisable.

Car la procédure de raisonnement décrite est dynamique : on tâche en permanence de réduire l’incertitude par une activité de recherche destinée à affiner le degré de plausibilité des hypothèses, en gardant à l’esprit que l’objectif idéal est d’obtenir une probabilité quantifiée qui fait passer de l’univers de la précaution à celui de la prévention (les vaccinations, par exemple).

Le dévoiement du principe de précaution sous la forme du précautionnisme est à l’origine de tous les malentendus. Il consiste à appliquer une mesure de précaution inappropriée, souvent sous l’empire de la précipitation ou de l’émotion, devant le signalement d’un événement indésirable, sans avoir cherché à en préciser la fréquence et sans avoir évalué la mesure en question selon la balance avantages/inconvénients. Le précautionnisme a rendu le principe de précaution méconnaissable. Parmi les exemples de précautionnisme, citons la suspension par la HAS, en mars 2021, du vaccin AstraZeneca contre le Covid-19, motivée par l’émergence d’un nombre réduit d’événements indésirables de type thromboembolique. La décision de suspension provisoire a été prise au nom de la précaution, au motif de quelques cas individuels, et au détriment du bénéfice collectif. Cet épisode est l’illustration du dévoiement du principe de précaution qui n’a jamais été invoqué en tant que tel, et qui a été réduit à une mesure de précaution sans aucune réflexion en amont. Les conséquences de ce précautionnisme ont été néfastes : coup d’arrêt à la campagne de vaccination, défiance accrue du public à l’encontre de tous les vaccins disponibles et de la vaccination elle-même.

L’état du PP en 2023 dans le triple champ de l’activité médicale, et les implications juridiques

L’expérience et le recul n’ont pas confirmé les craintes des opposants au PP en raison de 3 notions essentielles :

  • l’invocation du PP contre des personnes privées est exclue, car le PP ne concerne que les autorités publiques ;
  • le PP n’impose pas un résultat ; il protège celui qui en respecte les formes ;
  • le PP n’entrave pas la recherche. Il tend d’ailleurs à la favoriser dans l’optique de repousser l’incertitude et d’accéder à des données chiffrées des risques.

Les 3 domaines de l’activité médicale sont inégalement concernés par le PP :

  • la médecine de soins n’est pas du ressort du PP, qui concerne exclusivement les autorités publiques. Cependant, la démarche médicale peut donner lieu à des dévoiements ponctuels comme l’effet “parapluie” (surabondance d’examens d’investigation ou de traitements à visée préventive sans réel fondement) ;
  • la recherche biomédicale n’est pas non plus concernée par le PP. En revanche, elle est exposée au précautionnisme, qui doit être décelé et mis à l’écart. Cependant, l’émergence d’une innovation de rupture à impact sociétal présumé, aussi bien en médecine de soins qu’en recherche, est susceptible de mobiliser conjointement le PP et un questionnement éthique ;
  • la santé publique est le domaine électif de mise en oeuvre du PP, la protection des populations étant du ressort de l’État. Des décisions qui témoignaient soit d’un excès, soit d’un défaut de précaution ont pu être prises à tort, motivées par un non-respect de la démarche imposée par le bon usage du PP.

En conclusion

Les praticiens de la médecine de soins individuelle et les chercheurs en sciences biomédicales ne sont pas, à ce jour, concernés par le PP.


* Ont participé à ce groupe de travail : Renaud Denoix de Saint Marc, Alain C. Masquelet, Jean-François Mattéi, Gérard Reach, Sylvain Rigal, Jacques de Saint-Julien.

Références

1. Sargos P. Approche judiciaire du principe de précaution en matière de relation médecin/patient. La Semaine juridique 2000;19:843-9.

2. Got C. Le risque. In Traité de santé publique, sous la direction de Bourdillon F, Brücker G, Tabuteau T. Paris: Lavoisier, 2016.

3. Hunyadi M. Pourquoi avons-nous besoin du raisonnement de précaution ? Esprit 2003;297:139-62.


Liens d'intérêt

A.C. Masquelet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

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