De quoi parle-t-on ? Depuis 2019, les recommandations concernant la prise en charge des maladies cardiovasculaires chez le diabétique fleurissent dans différentes sociétés savantes : ESC [1], EASD/ADA [2], KDIGO [3], ESH, IDF– pour ne citer que les principales –, alors qu’elles étaient plutôt réservées auparavant au cercle de la diabétologie. Chacune de ces sociétés aborde la prise en charge des diabétiques selon son mode d’entrée dans sa spécialité.
L’irruption de molécules innovantes, et surtout les résultats des essais cliniques en matière de sécurité cardiovasculaire, apportant un niveau de preuves inconnu jusqu’ici dans l’histoire de la prise en charge du diabète, expliquent cette effervescence. C’est aussi un changement de paradigme car au-delà de la prise en charge métabolique, glycémique, c’est une protection d’organe qui nous est promise, une réduction d’événements cardiovasculaires, une réduction de mortalité cardiovasculaire et un ralentissement de la progression de la maladie rénale chronique.
La diabétologie s’est hissée sur le devant de la scène car les 2 nouvelles classes thérapeutiques que représentent les agonistes des récepteurs du GLP-1 (AR-GLP1) et les inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2) ont été initialement développées pour la prise en charge du diabète de type 2, et donc testées initialement par les diabétologues et les médecins généralistes (qui restent au cœur de la prise en charge du diabète de type 2).
Les inhibiteurs des SGLT2 ont un effet métabolique modeste (−0,5 % d’HbA1c en moyenne, perte de poids estimée à 3 kg, réduction de la pression artérielle systolique de quelques mm de Hg) mais un effet protecteur majeur, inégalé sur l’appareil cardiovasculaire avec la baisse du risque d’hospitalisation et parfois de décès pour insuffisance cardiaque et une protection rénale dans la maladie rénale chronique associée au diabète à tous les stades de son évolution (EMPA-REG OUTCOME, CREDENCE, DECLARE-TIMI 58, VERTIS CV) (figure 1). Cet effet totalement inattendu (“serendipité”), au mécanisme encore non totalement élucidé, invite cette classe thérapeutique en prescription très précoce dans toutes les recommandations récentes. Or leur AMM est strictement limitée au diabète de type 2 et non au diabète de type 1, du fait des risques d’acidocétose en cas d’insulinopénie.
Les AR-GLP-1 (figure 2), et demain en France les co-agonistes (tels que le tirzépatide, aujourd’hui accessible dans certains pays européens sous la dénomination Mounjaro®) et plus tard les triagonistes, ont une efficacité spectaculaire sur le plan métabolique et sur la satiété. La perte pondérale, là aussi inégalée par les thérapeutiques médicales préexistantes, est associée également à une protection cardiovasculaire (LEADER, REWIND, SUSTAIN-6, PIONEER-6). Les recommandations EASD de 2022 mettent particulièrement l’accent sur la prise en charge de l’obésité, associée dans plus de 50 % à la maladie diabétique de type 2, en les plaçant au premier plan. Elles insistent bien plus sur cette prise en charge que précédemment, car les moyens médicaux interventionnels sont maintenant vraiment efficaces et réduisent les événements cardiovasculaires (MACE) y compris chez les non-diabétiques (SELECT [4]), d’où les pénuries que l’on connaît actuellement en 2024, dues au détournement des prescriptions.
Outre l’importance de ces traitements, il me semble important de retenir certains points des recommandations ESC 2023 :
- la prise en charge précoce pour éviter, comme cela reste le cas aujourd’hui, de découvrir des diabètes au stade des complications avancées, peu réversibles ;
- la prise en charge globale, “holistique” pour faire moderne, mais l’atteinte microvasculaire et macrovasculaire explique bien enetendules différents organes et sites à protéger et la multidisciplinarité nécessaire ; on aurait pu – ou dû – mettre l’accent aussi sur la nécessité d’individualiser le traitement car le diabète de type 2 est une maladie très hétérogène, et certaines publications s’essaient à des typologies orientant vers l’une ou l’autre des classes thérapeutiques disponibles [5];
- le regain d’intérêt pour le dépistage précoce de la néphropathie avec recherche de microalbuminurie, au minimum annuel, qui intéressait assez peu le cardiologue jusqu’ici, mais pourtant marqueur de risque majeur d’atteinte cardiaque et rénale [6] et multipliant par 2 la mortalité à 10 ans. Au stade d’insuffisance rénale avérée, la finérénone (Kerendia®) intéresse par sa synergie probable avec les iSGLT2, et ses bénéfices ont clairement été montrés lors des essais FIDELIO et FIGARO, mais son accès en France est encore retardé ;
- enfin, le “SCORE2-Diabetes” (figure 3) qui n’est pas révolutionnaire : les travaux très polémiques de S.M. Haffner [7] (1998 !) semblent revenir au goût du jour, pour nous rappeler que le risque de l’immense majorité des patients diabétiques de type 2 suivis en médecine générale reste cardiovasculaire. Ce phénomène est souligné dans Entred 3 [8], véritable photographie de la population française de 2019, montrant que 80 % des DT2 sont en surpoids ou obèses, 77 % ont une hypertension artérielle, 66 % sont dyslipidémiques sans compter les tabagiques, sédentaires, etc. Ce nouveau score, qui présente l’avantage d’introduire la notion de durée du diabète, pourrait ne pas être très utilisé en pratique, comme les tables de risque antérieures ; or, il incite, lui aussi, à promouvoir les 2 classes thérapeutiques, dont le niveau de preuve en prévention primaire reste peu étudié, les patients en prévention secondaire étant surreprésentés. Les résultats de “vraie vie”, observationnels ou sur des données de cohortes confirment la réduction du risque de survenue d’un événement dans cette population et doivent nous inciter à changer nos prescriptions ;
- la place des autres classes thérapeutiques (gliptines, sulfamides) est reléguée derrière les traitements présentant un haut niveau de preuve.
Chez les patients en prévention primaire, la metformine garde sa place, non pas en raison de son efficacité en prévention de la maladie cardiovasculaire dont la démonstration n’a jamais été probante, mais car sa protection dans les études de cohorte pour réduire la mortalité cardiovasculaire nous incite à la maintenir, confirmation rappelée par l’EASD 2023. En 2e intention, les iSGLT2 en médecine générale sont aujourd’hui le meilleur des choix pour l’immense majorité des diabétiques de type 2, afin d’éviter de les précipiter vers des défaillances d’organes. En prévention secondaire, la non-utilisation de l’une des 2 classes précitées ne doit être décidée qu’au prix de solides arguments.