Cette année, lors du congrès de la Société européenne de cardiologie (ESC), quatre nouveaux textes de recommandations ont été présentés, concernant respectivement la prise en charge de la fibrillation atriale, celle de la maladie coronaire chronique, de l’hypertension artérielle, et enfin celle de l’artérite des membres inférieurs. Chacun de ces ensembles constitue un document d’une centaine de pages, très détaillé et illustré par de multiples tableaux et figures résumant les algorithmes de diagnostic, de prise en charge ou de surveillance ainsi que la liste des recommandations faites par le groupe de travail chargé de la rédaction. Ces documents sont en outre assortis de versions résumées, de jeux de diapositives et, souvent, de documents annexes à visée didactique et de diffusion auprès des professionnels de santé. Chaque recommandation est présentée publiquement lors du congrès et fait l’objet de plusieurs sessions interactives de discussion et d’explication.
L’aspect le plus important de ces documents est la liste des recommandations pratiques. Chacune d’entre elles comporte une classe de recommandation allant du niveau 1 (recommandation impérative) au niveau 3 (contre-indication). De même, chaque recommandation est assortie d’un niveau de preuve coté de A (preuves multiples et solides) à C (pas de preuve, mais consensus d’experts). Enfin, chaque recommandation doit s’appuyer sur des références bibliographiques précises et exhaustives.
Le texte des recommandations est, à chaque fois, le fruit du travail de groupes réunissant des spécialistes du domaine, dont le nombre et la variété doivent représenter l’ensemble des spécialités et sous-spécialités impliquées, des représentants des soignants, des patients ainsi que de la société savante elle-même et des méthodologistes et statisticiens. Pour chaque groupe de travail de l’ESC, une grande attention est portée à la représentativité de la diversité géographique. Enfin, chacun des participants au groupe de travail doit fournir une déclaration détaillée sur ses liens d’intérêts, ce qui est indispensable pour gérer les éventuels conflits d’intérêts. Les groupes de travail se réunissent à plusieurs reprises pour préparer un texte détaillé et chaque recommandation doit faire l’objet d’un accord large avec, si besoin, un vote qui doit réunir plus de 75 % des suffrages. Une fois achevée la première version des recommandations, celle-ci est soumise à une revue détaillée menée par un groupe indépendant d’experts, coordonné par un rapporteur spécialiste du domaine, et totalement indépendant du groupe de travail. Après plusieurs rounds de révision, la recommandation peut finalement être validée par l’ESC et être présentée lors de son congrès européen annuel. Ce processus est long, fastidieux et coûteux. Il dure généralement 2 à 3 ans. Néanmoins, il permet de garantir une relecture très détaillée du texte et un consensus professionnel large.
Malgré ces efforts, chaque recommandation suscite toujours de vives discussions : il est difficile d’aboutir à un texte parfait compte tenu de la nécessité de prendre en compte la diversité des opinions et des pratiques. En outre, les sociétés savantes européennes et américaines ont une approche un peu différente de la rédaction de ces recommandations : les Européens cherchent en général à produire un document synthétique, là où les Américains ont tendance à rédiger un document plus exhaustif, très détaillé et conçu comme pouvant être opposable, notamment auprès des tribunaux. Malgré ces différences, les analyses comparatives montrent que ces dernières années les recommandations tendent à converger de part et d’autre de l’océan Atlantique.
Une observation constante est que, tant en Europe qu’aux États-Unis, plus de la moitié des recommandations publiées reposent sur un niveau de preuve faible, voire nul, reflétant l’absence de preuves issues d’essais cliniques dans de nombreux domaines de la pratique quotidienne, où la plupart des décisions sont fondées sur l’habitude ou le bon sens, plus que sur des données objectives et solides. Cela conduit certains à proposer de raccourcir de façon drastique les textes de recommandations pour ne garder que celles qui sont fondées sur des preuves solides. D’autres argumentent, au contraire, qu’il est important de fournir un cadre pratique aux cliniciens, même si persistent de nombreuses incertitudes (qui ne sont d’ailleurs pas toujours levées par les essais cliniques randomisés éventuellement réalisés). Il y a là une opposition “philosophique” entre deux conceptions du but des recommandations, mais ces observations concernant la fragilité des recommandations doivent conduire à une certaine humilité dans leur interprétation : elles ne doivent pas être vues comme un cadre rigide, mais précisément comme des “recommandations”. Il n’en reste pas moins que leur recueil représente généralement une synthèse remarquable et à jour du domaine, dont la lecture (critique et répétée) doit fortement être conseillée à tout clinicien désireux de mettre à jour sa pratique.