Voici la réflexion tirée d'une pratique quotidienne [1], d'une réalité de terrain, face à l'augmentation croissante du nombre de femmes atteintes d'endométriose, dans un contexte de défiance de la part de certains professionnels de santé devant la maladie. Cette pathologie découverte par le grand public il y a quelques années n'est pas que le fruit d'un groupe de féministes ou d'associations de patientes qui, pour ces dernières, ont aidé à cette reconnaissance.
Entre mythe et réalité, l'endométriose est sans doute le vecteur d'un conflit sexiste. D'un côté, les sceptiques, indifférents à la réalité douloureuse que vivent quotidiennement ces femmes, et, de l'autre, ceux qui l'admettent mais, par manque de connaissance ou d'intérêt, passent à côté. Rappelons qu'il faut 7 ans pour que le diagnostic soit posé. Pourquoi tant d'errance et de manque de crédibilité ?
Bien des explications peuvent être données telles que la responsabilité et l'inefficience de notre apprentissage médical, le manque d'intérêt pour une pathologie ne touchant que 50 % de la population et dont on ne décède pas, ou encore notre toute‑puissance médicale n'ayant foi que dans le visible et mettant en doute les plaintes invisibles. Mais il existe, me semble‑t-il, des raisons plus profondes. L'endométriose et la montée de sa “popularité” sont le reflet de l'état d'esprit de la société actuelle : l'émancipation de la femme avec la reconnaissance de son égalité en droits avec les hommes (le mouvement #Me Too en est un exemple), la reconnaissance de l'algologie comme une spécialité et la représentation moins taboue des règles. On le sait, cette évolution lente au cours des siècles et ces acquis restent fragiles. L'endométriose est au centre de cette triangulaire. Sa reconnaissance et celle des symptômes qui l'accompagnent passent par une évolution difficile des mentalités autour de ces 3 éléments intriqués : la place de la femme, l'importance de la prise en charge de la douleur et l'imaginaire des règles.
Au milieu, le sexisme qui n'est pas l'opposition entre les “hystériques” et les “machos” dans un combat stérile, mais une réalité plus fine. Toujours présent, il alimente le statut de la femme “objet” plutôt que de la femme “sujet”. S'il est un fait que les femmes et les hommes sont différents, le sexisme est le jugement porté à cette différence, en termes d'échelle de valeur, réduisant les douleurs d'endométriose, et plus largement gynécologiques, à la simple notion d'hystérie, c'est‑à‑dire d'exagération ou de fragilité féminines. Pourtant, on le sait, les différences hormonales [2] démontrent que les réseaux de la nociception ainsi que l'intégration d'une information douloureuse et leurs réponses sont sous-tendus par des mécanismes neuronaux différents [3] entre les hommes et les femmes.
Les progrès accomplis dans la prise en charge des douleurs ont permis de mieux prendre en considération cette différence, notamment dans la réponse aux traitements, mais ce travail doit également passer par le non-jugement de la femme en face de nous, dans sa réalité à écouter, à ne pas interpréter, afin de réussir le pari de la prise en charge individualisée [4].
Et si c'était les hommes qui avaient des règles ?