Le 6 janvier dernier, dans le cadre d'une procédure d'approbation accélérée initiée après la publication des résultats d'une étude de phase IIb, l'étude “201”, la FDA a autorisé la mise sur le marché américain du lécanémab. Cette approbation s'est fondée essentiellement sur la réduction de la charge amyloïde évaluée par les TEP des patients atteints d'une maladie d'Alzheimer (MA) légère traités par cet anticorps humanisé de type IgG1 possédant une affinité sélective pour les protofibrilles d'Aβ solubles de petite taille (qui font partie des agrégats amyloïdes les plus toxiques pour le cerveau). Pour celles et ceux qui suivent de loin l'actualité dans le domaine de la MA, cette nouvelle peut avoir comme un air de déjà-vu. En effet, une approbation similaire a été donnée il y a 1 an et demi par la FDA pour un autre anticorps antiamyloïde, l'aducanumab, mais dans les mois qui ont suivi, l'Agence européenne des médicaments (EMA) a refusé d'autoriser ce médicament devant les résultats discordants des 2 études jumelles de phase III disponibles, considérant qu'il n'avait pas démontré son efficacité dans la population testée et que ses bénéfices ne l'emportaient pas suffisamment sur ses risques pour l'utiliser dans la pratique.
Alors, tel un chat échaudé qui craint l'eau froide, doit-on rester dubitatif, voire pessimiste quant aux chances dans les mois qui viennent de voir la porte vers des traitements curatifs s'ouvrir à la MA en Europe et en France ?
On ne peut préjuger des décisions que prendront l'EMA et l'ANSM, mais il faut noter que l'étude “201” avait aussi montré qu'après 18 mois de traitement, pour les patients sous 10 mg/kg de lécanémab administré toutes les 2 semaines, la probabilité de bénéficier d'une réduction de 25 % du déclin cognitif par rapport à ceux sous placebo était de 76 %. Mais surtout, il faut prendre en compte une étude randomisée, multicentrique, en double aveugle, de phase III, ayant porté sur l'efficacité et la tolérance du lécanémab (l'étude CLARITY) dont les résultats ont été diffusés simultanément le 29 novembre dernier au CTAD, le Congrès sur la thérapeutique pour la maladie d'Alzheimer, et dans le New England Journal of Medicine [1]. L'essai, mené chez 1 795 patients affectés d'une MA au stade prodromal ou au stade de démence légère, s'est en effet révélé positif sur l'ensemble des critères de jugement tant principal que secondaires. Globalement, les patients traités ont vu leurs pentes de déclins cognitif et fonctionnel réduites respectivement d'un quart et de plus d'un tiers par rapport à ceux sous placebo. En outre, la charge amyloïde, dont l'évolution a été notamment quantifiée à l'aide de la TEP amyloïde dans une étude ancillaire, chute de façon importante dès le 3e mois chez les patients traités, pour rejoindre des valeurs considérées comme normales chez la majorité d'entre eux à 18 mois. Enfin, des ARIA-E (amyloid-related imaging abnormalities-edema/effusion) et des ARIA-H (macro/microhémorragie/sidérose superficielle), qui représentent des anomalies d'imagerie fréquemment observées avec les anticorps monoclonaux antiamyloïdes, ont été détectées respectivement chez 12,6 % et 17,3 % des participants traités par lécanémab contre 1,7 % et 9 % dans le groupe placebo, et se sont révélées le plus souvent asymptomatiques et réversibles (cf. compte-rendu CTAD du 1er décembre 2022, www.edimark.fr).
Si l'on résume, l'étude CLARITY est indéniablement positive, avec des résultats cliniques certes peu spectaculaires, mais convergents et dans la même lignée que ceux de l'étude “201”. Mais comme toujours, si certains voient le verre à demi plein, d'autres le voient à demi vide, mettant en avant une hétérogénéité de l'efficacité selon diverses caractéristiques (le genre, l'âge, le statut APO E, etc.), relevant un risque accru de macrohémorragies chez les patients sous anticoagulants et soulignant surtout le caractère modeste, voire “sous le seuil” de ce qui serait un bénéfice pertinent du point de vue clinique. Quelques-uns seraient même encore tentés de jeter le bébé avec l'eau du bain et de remettre en cause la légitimité de la cible amyloïde pour proposer par exemple de traiter la maladie avec des antioxydants !
Au-delà des postures binaires et simplificatrices, dans l'hypothèse d'une mise sur le marché français d'un traitement antiamyloïde pour la MA légère, nous devrons nous préparer :
- à analyser minutieusement les données disponibles pour documenter une évaluation fine et au cas par cas du ratio bénéfice-risque dans cette population de patients encore autonomes ou légèrement dépendants ;
- en nous référant à l'histoire des thérapeutiques dans une autre maladie neuro-évolutive comme la sclérose en plaques, qui nous a appris que l'impact fonctionnel d'une molécule innovante ciblant la pathologie cérébrale se mesure nécessairement à long terme, en organisant un suivi attentif et patient des malades traités pour détecter les éventuels effets indésirables et capter un bénéfice clinique par nature différé.
Et prudemment mais fermement, dans l'attente d'autres molécules complétant un arsenal thérapeutique qui ne saurait être limité à la clairance de la pathologie amyloïde, entrouvrir enfin la porte à un traitement curatif.