Le cas clinique proposé par Vincent Davy dans ce numéro (p. 370) est intéressant à plus d'un titre. Il illustre tout d'abord la nécessité d'envisager systématiquement – et en particulier chez un sujet jeune – l'hypothèse d'une intoxication au protoxyde d'azote dans le contexte d'un tableau neurologique périphérique ataxique et déficitaire d'installation aiguë, classiquement évocateur d'un syndrome de Guillain-Barré. Au-delà de l'histoire clinique, la confusion diagnostique avec la polyradiculonévrite aiguë provient des francs signes de démyélinisation enregistrés en ENMG. Ceux-ci seraient directement attribuables au type de déficit fonctionnel en vitamine B12 induit par le protoxyde d'azote. De tels signes de démyélinisation contrastent d'ailleurs avec la présentation typiquement axonale des neuropathies associées à d'autres sources classiques de carence en vitamine B12 (maladie de Biermer, chirurgie bariatrique, régime végétalien…). Ce cas clinique rappelle également qu'un taux de vitamine B12 normal ne suffit pas à écarter un déficit fonctionnel en vitamine B12 et qu'il convient d'adjoindre systématiquement, devant un contexte clinique évocateur, la recherche d'une hyperhomocystéinémie et/ou d'une hyper-acidémie méthylmalonique.
Cette observation témoigne surtout de la dangerosité neurologique de la consommation de protoxyde d'azote, malheureusement désormais très répandue auprès des sujets jeunes. Utilisé dans le champ médical pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques, le protoxyde d'azote est aussi employé comme gaz de pressurisation d'aérosol, en particulier alimentaire. Il est très facile de s'en procurer à moindre coût dans le commerce et sur Internet sous la forme de cartouches ou bonbonnes. Mais l'usage détourné de ces cartouches comme “gaz hilarant” par les jeunes ne cesse d'augmenter. Dès 2018, les résultats d'une enquête menée entre 2015 et 2017 sur la consommation de substances psychoactives (SPA) par une large cohorte étudiante indiquaient que le protoxyde d'azote représentait la 2e SPA la plus consommée après le cannabis. Or sa consommation aurait explosé à la faveur d'un certain mal-être lié aux confinements successifs et surtout, sans doute, à une moindre disponibilité des autres SPA durant cette période. Des dépendances, parfois sévères, sont observées. Cet effet addictif est souvent ignoré ou sous-estimé par des consommateurs qui ne considèrent pas qu'il puisse s'agir d'une drogue ou d'un produit dangereux.
Les pouvoirs publics s'emparent progressivement de cetteproblématique. Depuis 2019, les données de vigilance produites parl'Agence nationale desécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et l'Agence nationale de sécurité dumédicament et des produits de santé (ANSM) permettent de mieux caractériser la nature des effets indésirables, ainsi que les modes et profils de consommation. Ainsi, lesintoxications concernent en majorité desadultes jeunes, mais aussi des mineurs, et les effets cliniques sont principalement neurologiques mais également cardiaques etpsychiatriques. Lafréquence des intoxications et les quantités consommées sont très variables, de quelques cartouches à plusieurs centaines par jour, avecdescas de consommation quotidienne. Enfin, ilest relevé uneaugmentation inquiétante des cas d'atteintes neurologiques etneuromusculaires avec des cas graves. Le25mai dernier, le Parlement a adopté une proposition de loi visant àpunir de15 000euros d'amende “le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d'un produit deconsommation courante pour enobtenir deseffets psychoactifs” ouencore “de vendre ou d'offrir à unmineur duprotoxyde d'azote, quelqu'en soit le conditionnement”. Pour autant, ildemeure sans doute actuellement très facile pour unmineur deseprocurer duprotoxyde d'azote et, surtout, ses dangers nedisparaissent pas à l'âge adulte. Aussi persiste-t-il un enjeu majeur d'information desdangers avérés de l'inhalation de protoxyde d'azote auprès des jeunes consommateurs. Naturellement, les professionnels desanté ont un rôle capital à jouer, y compris d'ailleurs auprès denosétudiants hospitaliers dont l'expérience indique qu'ils sont eux-mêmes parfois desconsommateurs décomplexés du protoxyde d'azote et peu alertés de sa dangerosité…