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Éditorial

Les deux versions de la décision médicale partagée


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La décision médicale partagée (DMP)1 est devenue incontournable, au moins dans les diaporamas et les recommandations, comme, par exemple, les dernières recommandations américaines et européennes du diabète de type 2 (1). Elle rejoint la liste du “politiquement correct”. Mais la répétition du mot finit par tarir la réflexion. La pratique de la DMP pose évidemment problème dans les situations aiguës dramatiques où le patient qui refuse un traitement vital alors qu'il n'est pas en fin de vie, place le médecin dans un conflit éthique entre le respect de la volonté du malade et la non-assistance à personne en danger. Elle est également relativisée par l'existence d'un tiers social, car la santé n'est pas seulement un besoin individuel. Elle est aussi un bien commun imposant ses règles collectives à tous, médecins comme patients, qu'il s'agisse de l'obligation vaccinale ou du respect du juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité. Que signifie la DMP dans un système financé par la solidarité, quand le patient refuse par principe la prescription de tout médicament générique ?

Plus fondamentalement, il existe 2 versions de la DMP relevant de 2 visions de la relation médecin/malade et, finalement, de 2 conceptions de l'autonomie. La première est la conception “post-moderne” selon laquelle “les 2 parties s'informent mutuellement pour parvenir à un accord sur la décision dont elles partagent la responsabilité”. Selon cette conception, “le danger, c'est que le médecin influence le patient” (sic) [2]. Cette vision symétrique de la relation entre “un consommateur éclairé” et un “producteur de soins” débouche logiquement sur une dérive commerciale : “Ce que l'on demande au médecin est analogue à ce que l'on requiert de tout autre prestataire de service : un maximum de compétence, un minimum de politesse.” Interrogation logique du chirurgien “prestataire” : “Faut-il toujours réciter le serment d'Hippocrate pour être autorisé à opérer ?” Le code du commerce pourrait remplacer le code de déontologie !

La conception moderne issue de la tradition hippocratique part de l'asymétrie fondamentale de la relation médecin/malade, asymétrie d'information que l'on tend à réduire sans pouvoir le plus souvent la supprimer totalement, mais surtout asymétrie émotionnelle dont le médecin a prêté serment de ne pas abuser (raison pour laquelle, même un médecin, atteint de la maladie grave dont il est par ailleurs spécialiste, a besoin d'un confrère pour se soigner). On attend du médecin empathique non seulement une information adaptée sur les différentes possibilités thérapeutiques, mais aussi une facilitation de l'expression du malade sur son vécu, ses représentations de la santé, ses choix de vie, ses ambivalences et, finalement, une aide à faire un choix réaliste raisonnable. Car ce n'est pas vrai qu'on choisit librement de devenir aveugle ou amputé quand on est diabétique. C'est le choix libre du prisonnier, victime de ses conditions sociales ou de ses émotions conduisant au déni ou au défi. Face à un patient qui vient régulièrement en consultation, mais n'applique rien des bons conseils et des “prescriptions” judicieuses, le devoir du médecin n'est ni de rompre (“Je n'ai pas de temps à perdre”), ni de rappeler le risque de complications (“Je vous aurai prévenu”). Il est de susciter chez le patient un conflit cognitif en lui demandant de façon empathique et sans jugement : “Pourquoi venez-vous me voir, alors que vous ne faites pas ?” ; “Alors que vous savez, pourquoi vous ne faites pas ?” ; “Que puis-je faire pour vous être utile ?”.

La première version de la DMP est informative, neutre, symétrique, à responsabilité partagée. La deuxième est délibérative, engagée, asymétrique, à responsabilité médicale. La première considère l'autonomie comme un devoir débouchant sur une injonction : “Tu dois être autonome !” La seconde, comme un droit dont on use autant qu'on le peut et le plus souvent en bénéficiant de l'aide d'un tiers, car comme le disait Paul Valéry : “L'homme seul est toujours en mauvaise compagnie.”

1 Pour en savoir plus :
www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-10/synthese_avec_schema.pdf

Références

1. Davis MJ et al. Management of hyperglycaemia in type 2 diabetes, 2018. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetologia 2018;61:2461-98.

2. Charles C et al. Shared decision-making in the medical encounter: what does it mean? Soc Sci Med 1997;44:681-92.


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A. Grimaldi déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec cet article.

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