C'est avec grand plaisir que j'introduis ce dossier dédié aux neuropathies sensitives. L'occasion m'est donnée de perpétuer une certaine tradition des Correspondances en nerfs & muscles, initiées par Pierre Bouche, et que certains d'entre vous consultent sans doute régulièrement tant elles peuvent guider notre pratique quotidienne.
Ce dossier s'adresse en fait à toute la communauté des neurologues. En effet, qui, indépendamment de sa pratique généraliste ou, au contraire, hyperspécialisée, n'est pas régulièrement confronté à la problématique d'une neuropathie sensitive distale chez un sujet d'âge mûr telle que la rapporte Vincent Fabry (page 163) ? Compte tenu de sa fréquence, il est essentiel que tout neurologue soit en mesure de distinguer rapidement – et à moindre “consommation” d'investigations complémentaires – une neuropathie de cause évidente ou appelée à demeurer idiopathique et d'évolution bénigne, d'une neuropathie plus évolutive et sévère, mais le plus souvent accessible à un traitement spécifique. Dans le même esprit, Thierry Gendre (page 170) nous enseigne notamment comment mieux individualiser et explorer, parmi nos patients douloureux chroniques, ceux répondant aux critères d'une neuropathie des petites fibres. Ces 2 mises au point nous rappellent combien il est essentiel que nos pratiques, et en particulier notre bon usage d'examens complémentaires parfois difficiles d'accès ou coûteux, soient guidées par une approche clinique rigoureuse.
Notre pratique s'enrichit inexorablement des progrès accomplis ces dernières années dans les domaines de la neuro-imagerie, de la génétique ou encore de l'immunologie. Ainsi, les neuropathies sensitives ataxiantes, qui comprennent, entre autres, les neuronopathies sensitives (NNS), ou ganglionopathies, et des formes sensitives de polyneuropathies inflammatoires démyélinisantes chroniques (PIDC), font l'objet d'avancées diagnostiques notables. Tout d'abord,
Jean-Philippe Camdessanché (page 175) rapporte la mise en évidence d'anticorps anti-FGFR3, évocateurs d'un trouble dysimmunitaire, chez certains patients atteints d'une NNS à bilan étiologique non contributif, anticorps qui ouvrent la perspective de traitements personnalisés. Toujours dans le domaine des NNS chroniques, on avait de longue date individualisé des patients se présentant avec une toux chronique, des réflexes tendineux préservés, associés parfois à une ataxie complexe avec participation vestibulaire ou cérébelleuse composant alors un syndrome CANVAS (cerebellar ataxia with neuropathy and vestibular areflexia syndrome). Louis Poncet-Mégemont (page 178) nous en confirme l'origine hérédodégénérative depuis la mise en évidence récente de la mutation biallélique du gène RFC1, qui rend compte du syndrome CANVAS, et plus généralement des cas de NNS avec toux chronique. Enfin, la mise au point de Guillaume Fargeot (page 182) nous confirme la place centrale désormais occupée par l'IRM radiculoplexique – au même titre que les potentiels évoqués somesthésiques – parmi les critères de support diagnostique des PIDC, en particulier lorsque données cliniques ou ENMG peuvent à tort orienter vers une polyneuropathie sensitive d'allure longueur-dépendante.
Ces progrès accomplis dans le diagnostic des neuropathies périphériques contribuent à limiter progressivement les indications de la biopsie nerveuse. Pour autant, cet examen invasif demeure parfois incontournable pour fixer le mécanisme et la cause d'une neuropathie. Mathilde Duchesne, Laurent Magy et Jean-Michel Vallat (page 187) nous livrent les clés d'une biopsie nerveuse “réussie”. Comptons que leur texte contribue à susciter des vocations pour un examen qui mérite d'être confié à une équipe spécialisée.
J'ai voulu que ce dossier thématique soit essentiellement porté par de jeunes neurologues qui incarnent le dynamisme et le renouveau de notre belle spécialité. Un grand merci à eux d'avoir pleinement joué le jeu de mises au point synthétiques et pratiques dont vous apprécierez, je l'espère, la lecture.