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Éditorial

Contretemps entre sémiologie clinique et savoir génétique : une mutation en marche ?


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La neurologie est une spécialité subtile, entre les mots précis requis par l'anamnèse et la précision du syndrome dans la discrétion des signes cliniques. Cette subtilité a encore toute sa place face à l'imposition des images et des marqueurs qui augmente les connaissances mais qui ouvre paradoxalement vers d'autres incertitudes. L'expérience clinique démontre que cumuler des paramètres ne garantit pas toujours la pertinence et le sens de la quête du diagnostic. Le recours à des examens paracliniques devient systématique. Cette “technologisation” de la médecine parle dans le silence des acteurs en présence. Le paradoxe de cette solution, prétendue infaillible, est que le médecin doit continuer à incarner son art médical tout en se donnant du temps pour l'intuition, l'expérience, le regard, l'écoute, le dialogue, voire le silence. C'est ainsi qu'un danger nous guette : la singularité du malade peut disparaître au profit de l'objectivation de la maladie. Dans l'être malade, il existe une souffrance qui ne se donne pas à voir pour l'observateur et qui n'est ni mesurable ni visible. Comme le rappelle Michel Foucault, ce n'est plus dans le seul visible que la vérité clinique est à cerner.

L'article de Timothée Lenglet, intitulé “SLA ou autre neuropathie motrice : s'orienter devant un syndrome moteur périphérique” (cf. page 184), entre dans cette grande tradition du partage de l'évolution des connaissances en matière d'expertise clinique. Celle-ci contribue à répéter, encore une fois, qu'une exploration complémentaire, telle que l'examen électroneuromyographique, ne peut être correctement requise que si son prescripteur est avant tout un clinicien qui a examiné précisément son patient. La sclérose latérale amyotrophique (SLA) appartient à une catégorie de maladies où le temps est vécu comme un ennemi, témoin de l'inéluctable. Les pertes successives des fonctions motrices emmurent le patient en transformant son corps. Au cours de la maladie, l'existence du malade est menacée, non seulement parce que la maladie la met en péril mais, surtout, parce que la vie peut devenir à tout moment une survie. Survie qui n'est pas seulement celle d'un corps, mais qui est aussi celle de la vie psychique marquée par le sceau de la privation, de l'attente constante, de la grande vulnérabilité, de la dépendance accrue et de la frustration. De nos jours, pour tout patient souffrant de SLA, le délai entre les premiers symptômes et la confirmation du diagnostic reste encore long, autour de 1 an en France et en Europe.
Ce constat est surprenant si nous considérons les avancées de la recherche clinique et épidémiologique, les nombreux articles didactiques nationaux et internationaux et, enfin, la médiatisation de la SLA à travers les histoires de grands sportifs, les films et les biographies qui retracent les parcours “hors norme” des individus confrontés à la maladie et à ses avatars.

La nouvelle mise à jour des connaissances en neurogénétique de la SLA (1) rédigée par Stéphanie Millecamps (cf. page 192) montre à quel point les facteurs de l'hérédité sont complexes, non seulement dans leurs mécanismes de transmission (ou pénétrance) mais aussi dans leurs modes de traduction phénotypique (ou expressivité), reliant aujourd'hui entre elles les maladies neurodégénératives cognitives, et plus particulièrement les démences frontotemporales, les maladies neurodégénératives pyramidales ainsi que les altérations neurodégénératives extrapyramidales. Nous n'avons toujours pas de biomarqueurs pour la SLA, et c'est l'une des raisons pour lesquelles elle reste tardivement diagnostiquée, alors que, en parallèle, les avancées récentes de la recherche dans le domaine de la génétique offrent la possibilité de déplacer le curseur vers le diagnostic précoce, voire très précoce, c'est-à-dire au stade présymptomatique.

Il reste encore beaucoup d'inconnues dans les maladies du motoneurone. Il n'est pas possible d'en prédire l'évolution, laquelle reste propre à chaque individu. Le devoir d'informer le patient de son diagnostic est admis dans la mesure où cela peut lui permettre de prendre des décisions pour lui-même et pour son avenir. L'anticipation de l'évolution de la maladie fait partie de l'information complète et loyale, mais elle fait émerger de l'angoisse. Si certains patients se plaignent de ne pas avoir été informés et préparés suffisamment à temps, pour d'autres, a contrario, les mots dits trop tôt peuvent les déstabiliser et entraîner chez eux des blessures irrémédiables. Entre anticipation, intentionnalité et incertitude, nous devons nous interroger sur ce que le sujet veut savoir mais aussi le conduire à se saisir de sa liberté de ne pas savoir. Tout sujet peut être ambivalent dans sa demande. Il y a ce qu'il sait, ce qu'il croit et ce qu'il imagine. Il y a aussi le temps et les étapes du questionnement, avec la part de narrativité et de métamorphose que la maladie provoque. Comment saisir, sur le temps d'une consultation, la complexité du vécu de la personne, de son histoire, de sa personnalité, de ses forces et de ses fragilités, de sa capacité à accepter l'imprévisible et de son besoin de maîtrise ?

Concernant la confirmation génétique du diagnostic clinique de SLA, dans le cas où un prélèvement sur une personne symptomatique a été réalisé, lorsque le résultat est disponible quelques semaines plus tard, le médecin prescripteur du test doit proposer, au cours d'un entretien direct et non à distance (par courrier, par téléphone ou pire, par mail), le résultat sans en donner brutalement la teneur. Le patient a le droit de ne plus vouloir connaître son statut génétique. Il faut noter que le problème de l'information à la parentèle s'inscrit aujourd'hui dans le contexte de l'application de la loi, par le décret du 20 juin 2013 relatif aux conditions de mise en œuvre de l'information à la parentèle dans le cadre d'un examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales, et de l'arrêté du 8 décembre 2014 fixant les règles de bonnes pratiques relatives à cette mise en œuvre. La volonté du législateur est d'éviter que ne se reproduisent des drames familiaux comme celui pour lequel il a été saisi en 2000 : 2 frères sont morts des suites d'un déficit en ornithine transcarbamylase (OCT) pour lequel il existe une prévention par un régime alimentaire. Le décès d'un cousin, 20 ans auparavant, a pourtant révélé la maladie familiale. La loi indique que, du moment où il existe des mesures telles que le conseil en génétique ou des possibilités de soins, toute “anomalie génétique grave” doit faire l'objet d'une information au sein de la famille. Le praticien a l'obligation d'informer la personne de sa responsabilité vis-à-vis de ses apparentés avant la réalisation d'un test génétique. Cette information peut être donnée soit dans le cadre du diagnostic d'une maladie déclarée, soit à l'occasion de la recherche du gène muté chez une personne asymptomatique. Il faut ensuite que le propositus, détenteur de ce résultat qu'il connaît, propose et décide à son tour de divulguer l'information à titre individuel à chacun des membres de sa famille qu'il juge concerné. La SLA ne déroge pas à ces règles, même si elle demeure incurable, car le conseil génétique est accessible.

Le diagnostic présymptomatique dans la SLA pose des problèmes éthiques considérables car, dans le cas d'un résultat défavorable, l'individu se retrouve en position de personne en bonne santé menacée par le savoir anticipé d'une maladie qui pourrait devenir un jour symptomatique. L'expérience de plus de 25 ans dans les tests génétiques présymptomatiques dans d'autres maladies neurodégénératives telles que la chorée de Huntington constitue un savoir-faire précieux pour penser les modalités d'accompagnement des familles “à risque” dans le domaine de la SLA. Révéler la dimension génétique d'une maladie telle que la SLA n'est pas une information médicale comme les autres, car elle concerne, tout comme elle implique, toute la constellation familiale. C'est pourquoi, avant tout prélèvement en vue d'une analyse génétique, il faut insister sur la nécessité d'aller vers une consultation génétique afin de bénéficier d'une prise en charge interdisciplinaire avec un généticien et un psychologue. Ces consultations destinées aux personnes “à risque” proposent un cadre avec une temporalité singulière et individuelle dans l'accès à une prise de décision de faire ou de ne pas faire le test génétique.

Ainsi notre désir de médecins et de soignants d'améliorer nos connaissances cliniques, épidémiologiques et physiopathologiques sur cette maladie incurable qu'est la SLA reste-t-il légitime. Mais notre recours aux déterminismes génétiques ne doit en aucun cas escamoter l'information délivrée au patient, raccourcir la relation empreinte d'humanité face à cette maladie grave et réduire la part de présence du clinicien et de son accompagnement.

Dans le cas contraire, la connaissance devient un fardeau et le savoir une épreuve contre l'espoir.

Références

1. La première mise à jour de Stéphanie Millecamps a été publiée dans La Lettre du Neurologue, Nerfs & Muscle, n° 7, Vol. XV, septembre 2011, p. 240.


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