Dans les années 1990, M.R. Dimitrijevic et al. (1) avaient montré que la stimulation électrique des segments lombaires pouvait induire des mouvements rythmiques des jambes paralysées chez des patients paraplégiques. Deux décennies plus tard, V. R. Edgerton et son équipe (2) ont confirmé ce que le Dr G. Barolat (3) avait déjà documenté dans les années 1980, à savoir l'étonnante capacité de ces mêmes stimulations à rétablir un contrôle volontaire partiel de mouvements isolés des jambes.
Ces observations empiriques ont déclenché l'enthousiasme de la communauté médicale, ce qui nous a poussés à étudier les mécanismes sous-jacents. Nous avions pour objectif d'opérer une transition vers des concepts thérapeutiques fondés sur des preuves scientifiques. En utilisant des reconstructions anatomiques, des modèles computationnels et des manipulations génétiques, nous avons montré que la stimulation active principalement les fibres proprioceptives au sein des racines dorsales. Cela nous a immédiatement orientés vers le développement de technologies capables de cibler précisément les racines contenant les circuits proprioceptifs associés aux extenseurs et aux fléchisseurs de la jambe. Notre objectif : appliquer des stimulations spatiotemporelles qui modulent des synergies musculaires spécifiques suivant la phase de la marche. Ce nouveau mode de stimulation nous a permis de restaurer la locomotion de rongeurs et de primates non humains paralysés très tôt après une lésion de la moelle épinière (4).
À la suite d'un traumatisme médullaire, la réhabilitation cherche à promouvoir la neuroplasticité des fibres et des circuits neuronaux épargnés grâce à la répétition du mouvement. On parle de “neuroplasticité dépendante de l'activité”. En conséquence, la durée et l'intensité de l'activité sont des facteurs clés qui déterminent le degré de récupération. Plus la lésion est sévère, moins le patient parvient à produire de l'activité, ce qui diminue le potentiel de récupération. La stimulation de la moelle épinière remédie à ces limitations. En permettant des interactions entre les circuits spinaux et les centres supérieurs, cette approche permet un haut niveau d'activité sur des durées d'entraînement importantes, ouvrant donc la possibilité de “booster” la neuroplasticité. Effectivement, nous avons montré que la réhabilitation combinée aux stimulations de la moelle épinière induit une réorganisation substantielle des voies nerveuses qui permet à des rongeurs paraplégiques de récupérer l'usage volontaire de leurs membres paralysés en l'absence de stimulation (5).
De nombreux défis jalonnent encore le chemin vers le déploiement clinique de ce type d'interventions sophistiquées. Cependant, cet univers technologique avance à grands pas, et de nombreux obstacles ont déjà été franchis pour permettre les premières études de faisabilité chez des patients paraplégiques1. La stimulation spatiotemporelle de la moelle épinière pourrait donc devenir le premier traitement de la paraplégie dans les prochaines années. Cependant, il est important de souligner que cette approche est insuffisante pour réparer les lésions sévères. Il est donc essentiel de continuer le développement de thérapies cellulaires et moléculaires pour reconstruire les voies nerveuses, et les combiner avec la réhabilitation neuroprosthétique.
1 Étude STIMO : Epidural Electrical Simulation (EES) with robot-assisted rehabilitation in patients
with spinal cord injury.