Algie vasculaire de la face
Historique
La première description historique remonte à 1641 par le médecin néerlandais Nicolaes Tulp. La première publication avec description complète sous l’intitulé “céphalée histaminique” est parue dans le Lancet en 1952. De nombreux synonymes sont utilisés pour “algie vasculaire de la face” (AVF) : céphalées en grappe (cluster headache), céphalée suicidaire, érythromélalgie de la tête... La prévalence de l’AVF est d’environ 1 personne sur 1 000 [1]. Il s’agit de la plus fréquente des céphalées primaires trigémino-autonomiques. À l’heure actuelle, un retard diagnostique de plus de 4 ans persiste en France et des patients sont diagnostiqués à tort “migraineux” pendant plusieurs années.
Critères ICHD-3
Les critères diagnostiques sont établis par la 3e édition de la Classification internationale des céphalées (ICHD-3), qui date de 2018 [2] (tableau).
Terrain et formes cliniques
Âge de survenue
L’AVF se manifeste principalement chez le jeune adulte, entre 20 et 40 ans avec une forte prédominance masculine [3]. Le ratio homme/femme est de 3/1, mais semblait encore plus important (près de 6/1) dans les années 1960 [4]. Près d’un tiers des patients présentent cependant leur première crise avant l’âge de 20 ans et des cas pédiatriques, avant 5 ans, sont possibles [5]. Chez la femme, 2 pics d’incidence sont décrits : entre 20 et 40 ans (comme chez l’homme) et après 50 ans [4]. Des cas de début après 65 ans sont exceptionnels et doivent être considérés comme des drapeaux rouges. Au cours de la vie, les crises peuvent parfois s’espacer mais cela est loin d’être systématique [6]. Durant la grossesse, la majorité des patientes décrivent une amélioration de leur AVF et 10 %, une aggravation [7]. Enfin, il existe dans 10 % des cas des antécédents familiaux d’AVF chez des apparentés du 1er degré [8].
Formes épisodiques versus chroniques
Dans 90 % des cas, la maladie se présente sous une forme épisodique, avec la survenue de périodes douloureuses, c’est-à-dire au moins 2 périodes durant entre 7 jours et 1 an (sans traitement) mais séparées par une période de rémission d’au moins 3 mois. Dans 10 % des cas, on parle de forme chronique, il n’y a alors pas de période libre de crise de plus de 3 mois pendant au moins 1 an [2]. Cela survient d’emblée au début de la maladie le plus souvent ou lors d’un passage de la forme épisodique à la forme chronique. Dans les formes épisodiques, les patients présentent en moyenne 1 à 2 périodes douloureuses par an (le plus souvent survenant au moment des changements de saison), elles durent en moyenne 2 à 8 semaines. Il y a une certaine régularité de la durée des périodes douloureuses d’une crise à une autre chez un même patient. Lors de ces périodes, il y a également une périodicité circadienne avec la survenue de crises à des horaires réguliers au cours du nycthémère, et également une prédominance nocturne des crises (mais cela n’est pas systématique) [9]. Certains patients (près de 25 %) peuvent présenter une seule période d’AVF qui ne se réitérera pas au cours de leur vie [2]. Dans les formes chroniques, en revanche, on perd le caractère saisonnier ou les horaires de prédilection. Une évolution spontanée d’une forme chronique à épisodique est possible dans 30 % des cas, mais dans plus de la moitié des cas, la forme chronique s’installe sur le long terme [10].
Présentation clinique d’une crise typique
- Une crise typique dure en moyenne 45 à 90 minutes (critères entre 15 et 180 minutes), les crises sont souvent plus courtes en début et fin de période douloureuse.
- La douleur est toujours latéralisée, et très souvent du même côté, prédominant au niveau orbitaire, rétro- et sus-orbitaire et temporal. Il peut y avoir fréquemment des irradiations vers la joue, le cou ou les mâchoires notamment. La douleur s’arrête brusquement à la fin de la crise. Elle est très sévère et décrite spontanément par les patients comme un “coup de poignard”, un “arrachement de l’œil” ou une “brûlure”.
- Des signes dysautonomiques sont classiquement associés et ipsilatéraux à la douleur. Ils sont modérés à sévères et les plus fréquents sont la rhinorrhée, le larmoiement et l’obstruction nasale. Des signes plus généraux comme une sudation généralisée, une hypertension artérielle ou une tachycardie peuvent être présents.
- Une agitation motrice – le patient, contrairement à ce qui se passe dans une crise migraineuse, ne pouvant rester en place – est un signe fort, présent dans 80 à 90 % des cas [9].
- La présence d’un “cortège migraineux” est décrite dans la moitié des cas, plus souvent chez la femme avec photo-phonophobie et nausées. Des “auras”, manifestations neurologiques transitoires, souvent visuelles et/ou sensitives, sont possibles avant ou pendant la crise d’AVF [11].
Tableaux cliniques moins typiques
Des crises moins typiques sont importantes à connaître pour le clinicien. Il existe, par exemple, des crises avec survenue des signes dysautonomiques mais sans douleur, souvent plus courtes et moins fréquentes que les crises douloureuses [11]. Très rarement, dans 3 % des cas, on observe l’absence de signes dysautonomiques accompagnateurs, à condition qu’il y ait une agitation motrice. Dans 15 % des cas, on décrit des crises “à bascule”, c’est-à-dire qui changent de côté d’une crise à l’autre ou d’une période à l’autre (mais pas pendant une même crise) [9]. Avec l’évolution de la maladie, la durée des crises peut également s’allonger et dépasser les 3 heures (allant parfois jusqu’à 24 heures). En ce qui concerne les formes chroniques, les patients développent très fréquemment un fond douloureux permanent entre les crises, des cervicalgies, et on peut voir parfois la persistance de signes végétatifs entre les crises (notamment un signe de Claude Bernard-Horner) [12]. Toutes ces atypies imposeront la réalisation d’examens complémentaires, mais certaines formes secondaires d’AVF peuvent tout à fait se présenter comme typiques.
Diagnostic
Diagnostic positif
Le diagnostic est fondé sur l’interrogatoire avec le plus souvent la description très stéréotypée des crises par les patients. Des difficultés diagnostiques peuvent exister lors des premières crises car il manque alors le profil évolutif et les signes végétatifs ne sont pas toujours décrits spontanément car les patients sont très surpris par leurs douleurs, qui surviennent le plus souvent la nuit. L’examen neurologique doit être strictement normal entre les crises.
Examens complémentaires et causes secondaires
Toute suspicion d’AVF doit conduire à la réalisation systématique d’une imagerie cérébrale, de préférence une IRM, à la recherche de causes secondaires. Certains diagnostics sont à écarter en urgence lors d’une première crise, et notamment une dissection des troncs supra-aortiques avec la réalisation d’une angio-TDM mais aussi, bien entendu, en cas d’anomalie à l’examen clinique ou de tableau atypique [1]. L’IRM devra comporter des coupes centrées sur l’hypophyse et le sinus caverneux, notamment. Les principales causes secondaires rapportées sont les adénomes hypophysaires, les causes post-traumatiques, les causes vasculaires, et notamment anévrysmales, mais aussi extraneurologiques, et notamment les sinusites ethmoïdales ou sphénoïdales [13, 14].
Autres céphalées trigémino-autonomiques
Au cours des dernières versions, l’ICHD s’est progressivement étoffée avec l’intégration d’autres entités trigémino-autonomiques. Ces céphalées partagent toutes certains critères communs : une douleur strictement unilatérale, prédominant dans le territoire du V1, d’intensité sévère à très sévère et associée à des signes végétatifs. Contrairement à l’AVF, il y a peu de périodicité au sein de ces céphalées qui se présentent souvent sous une forme chronique. Elles diffèrent entre elles principalement par leur fréquence et leur durée, mais aussi par leur réponse aux traitements. Comme pour les AVF, un bilan complémentaire doit être systématiquement réalisé avec, notamment, une IRM cérébrale à la recherche de causes secondaires neurologiques (avec séquences vasculaires, centrées sur la loge hypophysaire et le tronc cérébral), mais aussi une recherche des causes locales extraneurologiques comme une sinusite ethmoïdale, un herpès oculaire ou bien une tumeur de parotide.
Hémicrânie paroxystique
L’hémicrânie paroxystique se manifeste chez le jeune adulte, sans prédominance masculine, et se présente principalement sous une forme chronique dans 90 % des cas. Les formes épisodiques sont rares. Les crises sont de localisation orbitaire, sus-orbitaire ou temporale, durent de 2 à 30 minutes et surviennent plusieurs fois par jour, en moyenne près de 40 fois et au minimum 5 fois par jour d’après les critères diagnostiques [2]. Elles sont associées à des signes végétatifs identiques aux AVF et à une agitation motrice. Il s’agit donc de crises apparentées à des AVF mais plus courtes et plus fréquentes. Le diagnostic d’hémicrânie paroxystique ne peut être posé qu’après la réalisation d’un test à l’indométacine positif car cette entité répond exclusivement à ce traitement par AINS, qui comporte certaines caractéristiques et, notamment, une inhibition spécifique de l’action NO, puissant vasodilatateur. Les modalités du test seront détaillées plus loin.
Short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks (SUNCT et SUNA)
Cette entité s’apparente à des névralgies du trijumeau, mais elle prédomine dans le territoire V1 et elle est associée à des signes végétatifs très marqués (habituellement absents dans les crises de névralgies du trijumeau). On parle de SUNCT (short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with conjonctival injection and tearing) en cas de présence d’une injection conjonctivale, souvent explosive, et d’un larmoiement ; ou de SUNA (short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with autonomic features), en cas d’injection conjonctivale ou de larmoiement [2]. Ces crises se manifestent le plus souvent à partir de 50 ans, plutôt chez l’homme (contrairement à la prédominance féminine des névralgies essentielles du trijumeau). Elles ont des durées de 1 à 600 secondes, plus longues que les névralgies, et elles peuvent survenir jusqu’à 100/j. Elles sont décrites comme des coups de courant ou bien des brûlures. Il n’existe pas de période réfractaire mais les patients rapportent des triggers cutanés identiques à ceux connus dans la névralgie du trijumeau [15]. La plupart des SUNCT et des SUNA sont des formes chroniques et réfractaires au traitement. Comme dans les névralgies essentielles du trijumeau, un conflit artère-nerf à l’émergence du V au niveau du tronc cérébral peut être retrouvé, mais uniquement dans moins de la moitié des cas [16].
Hemicrania continua
Une hemicrania continua comporte un fond douloureux hémicrânien permanent, présent depuis plus de 3 mois, avec des crises surajoutées, durant plusieurs heures et le plus souvent avec des signes végétatifs [2]. Il y a une franche prédominance féminine. Le fond douloureux permanent présente des caractéristiques migraineuses le plus souvent (caractère pulsatile, photo-phonophobie, nausées, etc.) (souvent décrite comme une “migraine continue”). Les crises sont des paroxysmes douloureux, modérés à sévères, où la patiente est agitée ou présente des signes classiques végétatifs. Comme dans l’hémicrânie paroxystique, une réponse absolue à l’indométacine est nécessaire pour pouvoir poser le diagnostic d’hemicrania continua [17].
En pratique, test à l’indométacine : pour qui et comment ?
Un test à l’indométacine doit être réalisé en cas de suspicion d’hémicrânie paroxystique ou d’hemicrania continua. En pratique, on le réalise facilement face à des crises d’AVF “courtes (< 30 minutes) et fréquentes (> 5/j)”, chez l’homme comme chez la femme, une forme de céphalée trigémino-autonomique d’emblée chronique faisant suspecter une hémicrânie paroxystique ou bien chez une jeune femme avec une migraine “strictement latéralisée”, “continue” ou “avec signes végétatifs et agitation”. Le principe consiste à prendre en systématique plusieurs fois par jour, pendant plusieurs jours, de l’indométacine. Nous conseillons une prise pendant les repas pour améliorer la tolérance gastrique, voire l’association à un inhibiteur de la pompe à protons, à débuter quelques jours avant le test. Des doses progressivement croissantes sont utilisées en allant jusqu’à 150 mg au moins et augmentées jusqu’à 225 mg si nécessaire. Il n’y a pas de durée minimale de l’essai mais un test se fait en général au minimum sur plusieurs jours. Les formes disponibles en France sont orales, en gélule ou bien par suppositoire. Les formes injectables ne sont désormais plus disponibles.â–