L’algie vasculaire de la face (AVF) est la plus fréquente des céphalées trigémino-autonomiques. Nous aborderons donc principalement les traitements actuellement recommandés dans cette affection en distinguant les traitements de crise, de fond et transitionnel. Dans une 2e partie, nous discuterons des autres céphalées trigémino-autonomiques, qui sont des entités plus rares avec, par conséquent, peu d’essais disponibles et une prise en charge davantage guidée par l’expérience clinique.
Algie vasculaire de la face
Traitement de crise
La sévérité des crises impose de proposer un traitement à tout patient et leur durée nécessite une médication rapidement efficace. Le sumatriptan à 6 mg par voie sous-cutanée (s.c.) a démontré son efficacité à 15 minutes en 1991 dans une étude randomisée en crossover contre placebo [1]. Les effets indésirables les plus fréquemment décrits sont les réactions au site d’injection, les sensations vertigineuses, la fatigue, les paresthésies et la constriction de la mâchoire. Le sumatriptan à 20 mg par voie nasale peut être proposé si les injections s.c. sont mal tolérées et si les crises sont prolongées, supérieures à 1 heure. Son efficacité a été démontrée à 30 minutes [2]. Le côté de la pulvérisation, homo- ou controlatéral à la céphalée, n’a pas d’influence sur son efficacité. L’utilisation des triptans est limitée à 2 injections par jour. Néanmoins, les crises peuvent atteindre une fréquence de 8 par jour. Par ailleurs, certains patients présentent des contre-indications cardiovasculaires aux triptans. Il est donc important de pouvoir proposer une autre option. L’oxygène à haut débit est un autre traitement validé de la crise d’AVF. Son mécanisme d’action est encore incompris mais pourrait impliquer une inhibition du complexe trigéminocervical et de l’inflammation méningée. Il a l’avantage d’être très bien toléré et peut être utilisé plusieurs fois par jour. La 1re étude a été publiée en 1985. L’efficacité de l’oxygène a ensuite été confirmée par 2 essais randomisés. Dans l’étude de A.S. Cohen et al. [3], le soulagement à 15 minutes était obtenu dans 78 % des crises avec l’oxygène au masque à 12 L/min débuté dès les premiers symptômes, contre 20 % des crises avec l’air.
Traitement de fond
Un traitement de fond sera proposé dans les formes chroniques et les formes épisodiques avec des cycles prolongés, supérieurs à 3 semaines. Il n’y a pas d’indication à maintenir un traitement de fond une fois la période active terminée. Le vérapamil est le traitement de 1re intention. Son mécanisme d’action reste néanmoins incompris. Il est supposé que le vérapamil agisse via une inhibition de la sécrétion de CGRP. Les canaux calciques pourraient également être impliqués dans la régulation du rythme circadien [4]. L’effet préventif du vérapamil est fondé sur 5 études, dont 3 études ouvertes et 2 essais randomisés, comprenant un total de seulement 183 patients (dont 66 patients chroniques). Dans les 2 essais randomisés, le vérapamil a été administré à 360 mg/j. Les études ouvertes suggèrent une efficacité proportionnelle à la dose utilisée. Il est ainsi recommandé d’introduire progressivement le traitement jusqu’à 360 mg. Si nécessaire, la posologie pourra être augmentée jusqu’à 960 mg/j lorsque la tolérance le permet. L’utilisation de fortes doses est cependant souvent limitée par la tolérance cardiovasculaire avec un risque de trouble du rythme (bloc auriculoventriculaire) et de bradycardie [5]. La réalisation d’un ECG est recommandée avant l’introduction du traitement mais également au cours du suivi, sans consensus à ce jour sur le rythme de la surveillance. On préférera par ailleurs utiliser une forme à libération immédiate avec des prises fractionnées plutôt qu’une forme à libération prolongée, bien qu’il n’existe aucune étude comparative. Le lithium, avec une concentration sérique comprise entre 0,7 et 1,2 mmol/L, est le traitement de 2e intention, après échec ou intolérance du vérapamil, bien que le niveau de preuve soit faible. Le seul essai contrôlé randomisé contre placebo est négatif [6]. Néanmoins, dans cette étude, la lithiémie était en dessous du seuil thérapeutique et l’efficacité a été évaluée précocement à une semaine. Dans l’essai contrôlé contre vérapamil, en crossover, le lithium semble agir moins rapidement et entraîne plus d’effets indésirables [7]. Une surveillance biologique régulière est nécessaire, notamment un contrôle de la lithiémie et des fonctions rénale, hépatique et thyroïdienne.
D’autres molécules ont été évaluées mais ne font pas l’objet de recommandations compte tenu d’un niveau de preuve insuffisant.
- Quatre études ouvertes documentent une diminution du nombre de crises chez certains patients traités par topiramate. Il est important de rester vigilant quant à la tolérance du traitement, notamment en ce qui concerne les troubles de l’humeur.
- Quelques données sont disponibles concernant la gabapentine. Une étude pilote a été réalisée sur 12 patients, réfractaires aux autres traitements préventifs, traités par gabapentine à raison de 300 mg 3 fois/j [8]. Tous les patients étaient libres de crises 8 jours après l’introduction du traitement. Une 2e étude prospective ouverte a été publiée en 2007, concernant 8 patients chroniques, réfractaires à un traitement de 1re ligne [9]. La gabapentine a été utilisée en add-on jusqu’à 900 mg/j. En cas de réponse insuffisante après 8 semaines, le traitement a été augmenté progressivement en fonction de la tolérance. Six des 8 patients ont vu leurs crises diminuer de 50 % au 4e mois. Pour 4 patients, les données de suivi étaient disponibles à plus de 1 an. L’effet se maintenait même si une augmentation de la posologie était nécessaire. Des études complémentaires sont requises pour confirmer l’efficacité de la gabapentine mais il s’agit d’une option raisonnable étant donné le profil de tolérance.
- L’implication de l’hypothalamus dans la physiopathogénie des crises et les liens avec le rythme circadien ont conduit à s’interroger sur l’efficacité de la mélatonine. Une petite étude contrôlée randomisée a montré une réduction significative des crises chez 10 patients recevant 10 mg de mélatonine comparativement à 10 patients traités par placebo [10]. Mais dans cet essai, l’état d’aucun des 2 patients chroniques n’a été amélioré. Par ailleurs, dans une 2e étude conduite chez 9 patients (dont 6 épisodiques), l’ajout de mélatonine au traitement habituel n’a pas apporté de bénéfice [11].
- L’efficacité du valproate de sodium a été suggérée dans l’essai ouvert. Néanmoins, l’essai randomisé contrôlé contre placebo qui a suivi s’est révélé négatif.
- Enfin, l’intérêt de l’indométacine dans la prise en charge de l’AVF a été suggéré par de petites séries de cas. Plus récemment, une étude de cohorte rétrospective a rapporté une amélioration chez environ un tiers des 105 patients chroniques traités par indométacine [12]. Le test à l’indométacine doit toujours être envisagé chez les patients chroniques ne répondant pas au traitement classique dans le cadre du diagnostic différentiel avec l’hémicrânie paroxystique. Néanmoins, l’indométacine pourrait également avoir une efficacité chez des patients présentant une authentique AVF.
Traitement transitionnel
Dans l’attente de l’efficacité du traitement de fond, si les crises sont quotidiennes, supérieures à 2 par jour, un traitement transitionnel peut être proposé, reposant sur l’utilisation de corticoïdes. Deux protocoles ont fait la preuve de leur efficacité au cours d’essais contrôlés randomisés :
- une série de 3 infiltrations sous-occipitales de corticoïdes à 72 heures d’intervalle [13] ;
- la corticothérapie par voie orale à raison de 100 mg/j pendant 5 jours, puis une diminution de 20 mg tous les 3 jours jusqu’à l’arrêt pour un total de 1 100 mg sur 17 jours [14].
Ces 2 protocoles n’ont pas été comparés mais on pourra préférer les infiltrations pour limiter les effets indésirables liés à la corticothérapie par voie générale. L’administration d’un traitement transitionnel s’accompagne généralement de la mise en place ou de l’intensification du traitement de fond, que ce soit au cours d’une période active dans l’AVF épisodique ou au cours d’une exacerbation dans l’AVF chronique. Néanmoins, dans l’AVF épisodique, si les périodes sont courtes mais que les crises sont supérieures à 2 par jour, on pourra proposer un traitement transitionnel seul.
Stimulation invasive du grand nerf occipital
La stimulation invasive du grand nerf occipital est indiquée en cas d’AVF chronique évoluant depuis plus de 3 ans chez des patients présentant plus de 2 crises par jour et en échec du vérapamil augmenté à posologie maximale tolérée et au lithium à posologie efficace. Compte tenu de la possibilité de crises à bascule, la mise en place d’une stimulation bilatérale est conseillée. Les données d’efficacité et de tolérance à long terme du registre français ont été publiées en 2021 [15]. Les patients répondeurs étaient définis selon un critère composite incluant le nombre hebdomadaire de crises, le traitement de fond et l’impression globale d’amélioration. La durée moyenne de suivi était de 43,8 mois. En prenant en compte les 12 patients perdus de vue sur les 105 inclus, 68,6 % sont répondeurs. Au cours du dernier suivi, on observe une diminution significative de la fréquence des crises avec en moyenne 22,5 et 9,9 crises hebdomadaires, respectivement avant et après stimulation. Presque 70 % des patients ont constaté une diminution de plus de 50 % des crises. L’élaboration d’un score composite prenant en compte le traitement de fond permet de s’assurer que l’amélioration n’est pas liée à une modification du traitement médicamenteux. 41,9 % des patients ont pu diminuer ou arrêter le traitement de fond. Dans une analyse multivariée, seul un score dépression de l’échelle HAD peu élevé ressortait comme facteur prédictif indépendant de bonne réponse à la stimulation. Les complications comprenaient des infections pour 6 %, des problèmes de migration d’électrodes (11,9 %) ou de fracture d’électrodes (4,5 %), des problèmes de cicatrices (1,5 %), une dysfonction du matériel (8,2 %) et des douleurs locales au niveau de l’électrode (6 %) ou au niveau du générateur (14,2 %). La stimulation invasive du grand nerf occipital apparaît donc comme une option thérapeutique efficace et peu risquée chez les patients souffrant d’AVF chronique réfractaire au traitement médical.
Autres céphalées trigémino-autonomiques
L’hemicrania continua et l’hémicrânie paroxystique répondent par définition à l’indométacine. Au cours du test diagnostique, des posologies élevées jusqu’à 225 mg/j sont utilisées. Une fois le patient soulagé et le diagnostic posé, il est nécessaire de diminuer progressivement le traitement pour atteindre la posologie minimale efficace. Néanmoins, l’indométacine pose souvent des problèmes de tolérance sur le long terme limitant son utilisation. Malheureusement, aucune autre molécule ne peut être recommandée faute de littérature. Seuls quelques cas peuvent nous inciter à proposer des traitements tels que la gabapentine et le topiramate. Une infiltration sous-occipitale de corticoïdes peut être essayée. Le SUNCT (short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with conjunctival injection and tearing) et le SUNA (short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with autonomic features) sont des entités rares pour lesquelles la lamotrigine est recommandée en 1re intention. Dans une méta-analyse d’études ouvertes [16], environ 60 % des patients sont répondeurs (amélioration supérieure à 50 % de la fréquence et/ou de l’intensité et/ou de la durée des crises). Nombre de patients ne répondent donc pas à la lamotrigine. Le phénotype clinique partageant des caractéristiques communes avec les céphalées trigémino-autonomiques et la névralgie du trijumeau, les traitements utilisés dans ces affections sont généralement essayés. Seules des séries de cas sont publiées et un petit essai randomisé contre placebo. Il est donc difficile d’établir des recommandations solides pour la pratique clinique. G. Lambru et al. [16] ont publié la plus large série de patients, incluant 63 SUNA et 70 SUNCT. 56 % des patients répondent à la lamotrigine. Il est important de noter que pour 9 d’entre eux, il a été nécessaire d’augmenter la posologie jusqu’à 400 mg/j en vue d’obtenir un effet bénéfique. Le taux de répondeurs était également important sous oxcarbazépine, à 46 %. Seuls 26 % des patients ont répondu à la carbamazépine. Dans un essai contrôlé contre placebo, le topiramate semble être une solution de rechange intéressante avec 40 % de répondeurs [17]. Dans la cohorte de G. Lambru et al., seuls 25 % étaient répondeurs mais un tiers d’entre eux ont dû arrêter le traitement en raison d’effets indésirables. Enfin, 30 % des patients étaient répondeurs à la duloxétine et 10 % à la gabapentine et à la prégabaline. La méta-analyse et l’étude de cohorte confirment que la lamotrigine reste le traitement de choix, pour les formes épisodiques comme pour les chroniques, avec une efficacité similaire pour le SUNCT et le SUNA. De fortes posologies doivent être utilisées avant de conclure à une inefficacité. L’oxcarbazépine semble supérieure à la carbamazépine et peut être considérée en 2e option. En ce qui concerne le traitement transitionnel, G. Lambru et al. ont observé un taux de réponse important avec la lidocaïne par voie intraveineuse (i.v.), en ligne avec les résultats de la littérature. Il s’agit du traitement de 1er choix pour les états de mal.
Conclusion
Le traitement de la crise d’AVF repose sur l’utilisation d’oxygène au masque à haut débit et du sumatriptan s.c. Le traitement de fond repose en 1re intention sur l’utilisation du vérapamil et du lithium. D’autres molécules comme le topiramate, la gabapentine et l’indométacine peuvent être essayées mais aucune recommandation ne peut être établie à ce jour, faute d’essais de qualité suffisante. Dans les formes chroniques et après échec du vérapamil et du lithium, la stimulation invasive sous-occipitale est à envisager. La prise en charge de l’hemicrania continua et de l’hémicrânie paroxystique repose sur l’indométacine. Il faut s’attacher à trouver la posologie minimale efficace pour pouvoir maintenir le traitement le plus longtemps possible en l’absence d’une autre option satisfaisante à ce jour. Enfin, le SUNCT et le SUNA sont des céphalées trigémino-autonomiques particulièrement réfractaires. La lamotrigine est à proposer en 1re intention avec un taux de réponse estimé à 60 %. Du fait de la rareté de ces entités, l’efficacité des autres molécules reste très peu documentée mais les données de vie réelle incitent à proposer en 2e intention l’oxcarbazépine. Le topiramate, la duloxétine, la carbamazépine, la prégabaline et la gabapentine peuvent également être utilisés, en mono- ou bithérapie. La lidocaïne i.v. semble particulièrement efficace pour la prise en charge des états de mal.■