La toxicité du valproate de sodium est désormais bien connue pendant la grossesse : risques malformatif, neurodéveloppemental et autistique accrus pour les enfants nés de mères traitées par valproate de sodium [1]. Qu’en est-il des hommes ? Comme pour d’autres médicaments antiépileptiques, on sait que le valproate de sodium peut affecter la spermatogenèse et même le volume testiculaire, et par conséquent la fertilité des hommes traités par valproate de sodium, mais ce de façon a priori réversible [2].
En 2023, l’ANSM a envoyé une lettre aux professionnels de santé concernant les nouvelles mesures à propos du risque potentiel de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants dont le père avait été traité par valproate de sodium dans les 3 mois précédant la conception [3]. Ce courrier recommande une information éclairée des hommes traités par valproate de sodium et, à titre de précaution, un arrêt du valproate de sodium 3 mois avant la conception, ce qui correspond à un cycle de spermatogenèse. Cette préconisation est fondée sur une étude de plusieurs registres scandinaves (Norvège, Suède et Danemark) à la suite de la demande en 2018 d’une réévaluation européenne du rapport bénéfice/risque du médicament. Cette étude observationnelle a comparé les enfants (âgés de 0 à 11 ans) dont le père était traité par valproate dans les 3 mois précédant la conception, aux enfants dont le père était traité par lamotrigine ou lévétiracétam. 2 213 descendants de pères traités par valproate de sodium ont ainsi été inclus :
- au Danemark : 832 enfants de pères exposés au valproate de sodium versus 1 199 enfants de pères exposés au lévétiracétam ou à la lamotrigine ;
- en Suède : 968 enfants de pères exposés au valproate de sodium versus 1 483 enfants de pères exposés au lévétiracétam ou à la lamotrigine ;
- en Norvège : 413 enfants de pères exposés au valproate de sodium versus 1 058 enfants de pères exposés au lévétiracétam ou à la lamotrigine.
Les résultats préliminaires, présentés en octobre 2023 [4], montrent un risque neurodéveloppemental de 5 % chez les enfants nés de père sous valproate de sodium au moment de la conception versus 3 % chez ceux sous lamotrigine ou lévétiracétam. En revanche, il n’y avait pas de différence en termes de tératogénicité. Néanmoins, les auteurs soulignent que :
- le nombre de patients est insuffisant pour établir le lien de causalité entre exposition au valproate de sodium chez le père et risque neurodéveloppemental ;
- les résultats sont possiblement biaisés par une durée de suivi différente dans les groupes d’exposition (plus longue sous valproate de sodium).
On attend les résultats définitifs de l’étude pour pouvoir en tirer des recommandations motivées.
En attendant, faut-il remettre en cause la prescription de valproate de sodium chez des hommes potentiellement en désir de procréation ? On rappellera tout d’abord que le valproate de sodium est, de loin, le médicament antiépileptique le plus efficace pour les épilepsies généralisées idiopathiques, notamment les épilepsies myocloniques juvéniles [5]. Sa non-prescription chez des patients souffrant de ce type d’épilepsie et échappant aux 1res lignes de traitements antiépileptiques (lévétiracétam, lamotrigine) peut aboutir à une perte de chance en termes de morbidité, voire de mortalité. Par ailleurs, de précédentes études, certes menées sur des effectifs moindres, n’ont pas retrouvé de sur-risque neurodéveloppemental lié à la prise de valproate de sodium par le père au moment de la conception [6-8].
En attendant les résultats de l’étude citée ci-dessus, on peut donc recommander :
- une non-prescription du valproate de sodium en 1re et 2e intention aussi bien chez les femmes que chez les hommes en âge de procréer ;
- une non-éviction du médicament en cas de besoin (persistance de crises, notamment généralisées tonicocloniques avec les autres médicaments antiépileptiques essayés) pour ne pas exposer les patients à une perte de chance ;
- une information éclairée des patients et des patientes, le cas échéant ;
- un éventuel arrêt du valproate de sodium 3 mois avant un désir de conception.
Je laisserai le mot de la fin à l’excellent éditorial de S.F. Berkovic et E. Perucca [9] : “Restricting valproate prescribing in men: wisdom or folly?”
Seul l’avenir nous le dira…