La mort, inévitable et universelle, a toujours façonné le rapport des hommes à l’existence. Oscillant entre crainte et acceptation, elle est perçue comme un mystère profond et un passage inéluctable. Pendant des siècles, la médecine, manquant de moyens, a accompagné le patient vers la mort, l’intégrant comme une étape naturelle de la vie. Cependant, à partir du XIXe siècle, avec l’essor des avancées scientifiques, la mort est devenue un échec à repousser, voire à vaincre. La médecine, grâce à des innovations techniques exponentielles, s’est alors consacrée à prolonger la vie, parfois au détriment de l’acceptation de la finitude humaine. L’apparition des soins palliatifs a depuis tenté de recréer un pont entre le progrès médical et l’universalité de la condition humaine.
La mort, bien que profondément intime, alimente donc un débat collectif, public et sociétal, soulevant des questions législatives et éthiques sur les modalités de son accompagnement.
En neurologie, la fin de vie présente des particularités bien distinctes. Elle peut survenir de façon aiguë et brutale dans les pathologies vasculaires, mais aussi de façon graduelle et chronique en affectant les fonctions motrices, cognitives et émotionnelles entraînant ainsi une perte de “la vie” avant la survenue du décès lui-même. Elle incarne souvent des souffrances existentielles identitaires profondes : imprévisibilité des poussées dans la SEP, déclin cognitif avec altération des capacités de jugement ou de communication dans la maladie d’Alzheimer, perte d’autonomie motrice dans la sclérose latérale amyotrophique, etc. Dans ce contexte, la distinction entre une approche curative et une approche palliative en neurologie est souvent difficile à établir, notamment à des étapes avancées de pathologies neuro-évolutives.
Face à sa complexité, la société s’est emparée de ce sujet depuis plusieurs années, en le transformant en un débat public. Les discussions portent notamment sur la réconciliation de la médecine avec la mort, les soins palliatifs, la notion de souffrance “totale” et la question de l’aide active à mourir (AAM).
En France, la loi Leonetti de 2005 intègre la notion d’acharnement thérapeutique déraisonnable, permettant aux médecins de limiter ou d’arrêter les traitements qui maintiennent artificiellement la vie sans espoir d’amélioration. Elle garantit également le droit aux soins palliatifs et à la sédation pour soulager la souffrance. La loi Claeys-Leonetti de 2016, quant à elle, renforce ce cadre en introduisant le droit à une “sédation profonde et continue” jusqu’au décès pour les patients en phase terminale, sous certaines conditions, et clarifie le rôle des directives anticipées, qui deviennent alors contraignantes pour les médecins.
Sur le plan éthique, l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), publié en 2022, explore les différents enjeux de la fin de vie et ouvre la voie à une possible évolution sur le plan législatif. Il se prononce en faveur d’un accès renforcé aux soins palliatifs et insiste sur la nécessité d’un accès équitable sur tout le territoire français. Le CCNE répond à une autre question posée par la société, l’aide active à mourir : l’euthanasie (acte délibéré pratiqué par un médecin qui a pour but de provoquer la mort d’un patient atteint d’une maladie incurable, afin de soulager des souffrances insupportables) et/ou le suicide assisté (acte qui consiste à fournir à une personne les moyens nécessaires pour qu’elle mette fin à sa propre vie après l’accord d’un professionnel de santé). Dans ce contexte, le CCNE reconnaît qu’il pourrait être éthique de permettre dans un principe de solidarité et de liberté, dans des situations spécifiques et encadrées, un recours à l’AAM, notamment pour les patients en phase avancée ou terminale de maladies graves et incurables.
Sur le plan social, la Convention citoyenne sur la fin de vie, organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) fin 2022, a réuni 184 citoyens tirés au sort pour évaluer l’adéquation du cadre actuel de la fin de vie en France. Les citoyens ont conclu que ce cadre était insuffisant, pointant l’inégalité d’accès aux soins palliatifs et l’absence de solutions satisfaisantes pour les souffrances réfractaires. Une majorité (75,6 %) a soutenu l’ouverture à l’AAM (avec une préférence pour le suicide assisté), tandis qu’environ 23 % des participants s’y sont opposés, invoquant la nécessité de renforcer d’abord l’application de la loi Claeys-Leonetti et les risques pour les personnes vulnérables.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a exprimé des positions nuancées concernant la fin de vie en France. En avril 2023, après 9 mois de consultation interne, le CNOM s’est déclaré défavorable à la participation des médecins à des procédures menant à l’euthanasie, affirmant que le médecin ne peut provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal. Toutefois, en cas de légalisation du suicide assisté, l’Ordre a insisté sur la nécessité d’une clause de conscience spécifique, permettant aux médecins de refuser de participer à de telles pratiques tout en continuant à accompagner leurs patients. Par ailleurs, le CNOM a souligné l’importance de renforcer les soins palliatifs et de garantir un accès équitable à ces services sur l’ensemble du territoire.
Dans une enquête menée fin 2023 par la Société française de neurologie (SFN), plus de 75,8 % des neurologues interrogés déclarent avoir accompagné des patients en fin de vie, tandis que 15,4 % indiquent ne pas être du tout formés aux soins palliatifs (résultats présentés aux JNLF 2024, non encore publiés). Plus de la moitié des neurologues (59,2 %) ont reçu des demandes d’AAM de la part de patients, tandis que 74 % affirment avoir été confrontés à des dilemmes éthiques dans des situations de fin de vie. Sur la question d’une possible évolution de la loi vers l’AAM, 38,5 % des neurologues estiment que cela affecterait leur pratique médicale, 30,9 % en ignorent l’impact potentiel, et 30,6 % considèrent que cela n’aurait pas d’effet sur leur exercice.
En 2024, l’Assemblée nationale française a entrepris un examen approfondi du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Déposé le 10 avril 2024, ce texte visait à renforcer les soins palliatifs et à introduire une AAM sous conditions strictes. Après des débats en commission spéciale, le projet a été discuté en séance publique à partir du 27 mai 2024. Le 6 juin 2024, les députés ont adopté l’article 5, définissant l’AAM, par 88 voix contre 50. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale le 10 juin 2024 a interrompu le processus législatif, suspendant l’examen du projet de loi. Une reprise des travaux a depuis été annoncée.
En conclusion, la fin de vie est un sujet d’une extrême complexité, mêlant des dimensions médicales, éthiques, législatives et personnelles, où se croisent des questions de dignité, de souffrance et de liberté individuelle, mais aussi de solidarité et de fraternité face à la souffrance.
En neurologie, le sujet de la fin de vie est particulièrement délicat, car ces maladies affectent profondément l’identité du patient. Dans ce contexte, la formation spécifique à la fin de vie, à la communication transparente avec le patient, l’intégration de la formation aux soins palliatifs pour tous les neurologues, ainsi que la réflexion autour d’une possible évolution législative vers une AAM – avec des critères d’accès adaptés aux pathologies neurologiques – représentent des défis d’actualité à saisir par la communauté neurologique française.