Éditorial

Les psychotropes : l’heure des paradoxes


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Depuis la pandémie virale que nous avons connue il y a 3 ans, les troubles ou maladies psychiatriques semblent concerner une proportion accrue de la population mondiale – comme une séquelle inattendue pour une maladie infectieuse –, dans la plupart des cas résolutive en quelques jours. Mais peut-être cette période n’a-t-elle été que la mise en lumière, pour la population générale, du fait que les pathologies psychiatriques font partie des maladies chroniques qui touchent une des proportions les plus importantes de la population. Néanmoins, cette prévalence importante, et peut-être en augmentation, pour des raisons sociologiques ou du fait d’un meilleur dépistage, contraste avec la stagnation actuellement observée dans le développement des médicaments psychotropes.

Entre 1950 et la fin des années 1980, une véritable révolution en psychopharmacologie a eu lieu, avec le repositionnement ou la découverte de nouveaux psychotropes, montrant un effet bénéfique dans la plupart des pathologies psychiatriques, dont le diagnostic était parallèlement codifié par le DSM. Mais force est de reconnaître que, depuis une trentaine d’années, à l’inverse d’autres aires thérapeutiques, il n’y a pas eu de progrès majeur dans cette classe de médicaments. En outre, si l’imagerie en psychiatrie progresse, la physiopathologie neurobiologique, quant à elle, n’offre pas de nouvelles perspectives qui conduiraient à une rupture épistémologique de nature à engendrer un développement pharmacologique innovant.

Face à cette situation, 2 réactions s’opposent : l’une, défaitiste, qui tendrait à considérer qu’il n’y a plus rien à faire, laissant cependant de nombreux patients en déshérence ; l’autre, plus optimiste, considérant qu’en attendant une forme de “grand soir” pharmacologique, il est encore possible d’améliorer l’usage des psychotropes disponibles. Car, après tout, même si la médecine personnalisée, prédictive et participative connaît des avancées, a-t-elle suffisamment inspiré la psychiatrie, compte tenu de l’arsenal psychotrope ? Sans doute pas, et c’est dans ce contexte que s’inscrit ce dossier de La Lettre du Pharmacologue, conjoint avec La Lettre du Psychiatre.

Ne désespérons pas : il y a encore des marges de progrès dans l’utilisation des psychotropes pour parvenir à une psychopharmacologie personnalisée. La pharmacodynamie des psychotropes n’a sans doute pas révélé tous ses secrets, et la mise en relation des effets cliniques et des données d’imagerie devrait permettre de mieux appréhender les phénomènes de plasticité cérébrale, une des clés d’avenir, tant ont été insuffisamment explorés les mécanismes des effets à long terme de cette classe pharmacologique. L’amélioration du suivi thérapeutique pharmacologique comme une meilleure prise en compte des données de pharmacogénétique sont une voie d’optimisation du rapport bénéfice/risque, surtout si l’expertise des patients est intégrée à cette piste de progrès, que ce soit à l’hôpital ou en ville. L’intelligence algorithmique, couplée à l’intelligence humaine, aidera peut-être à approfondir la pharmacodynamie et la pharmacocinétique des psychotropes et leur relation, en lien avec un meilleur profilage phénotypique des patients.

Même si cela peut apparaître comme un paradoxe supplémentaire des psychotropes, il convient parfois de ne pas hésiter à arrêter des traitements pour se reposer la question du diagnostic, du bénéfice en regard des risques, et de l’attente des patients.

Ce numéro, largement écrit par des jeunes pharmacologues, ouvre des perspectives pour l’écriture d’une nouvelle page de la psychopharmacologie française, qui, ultime paradoxe, se ressourcerait de l’absence d’un progrès pharmacologique classique. Car, comme l’écrivait Nietzsche, tout n’est qu’un éternel retour…


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