La pollution atmosphérique est l'une des nombreuses catastrophes environnementales d'origine anthropique qui se produisent actuellement dans le monde. Il s'agit de la présence dans l'air ambiant (de l'intérieur et de l'extérieur des locaux) d'un mélange divers et complexe de produits chimiques ou de matières biologiques pouvant détériorer la santé et la qualité de vie des êtres humains ou des autres organismes vivants (animaux et plantes).
Des polluants hétérogènes et dispersés
Les polluants chimiques sont nombreux et incluent des gaz (dont le dioxyde d'azote [NO2], l'ozone [O3], le monoxyde de carbone [CO], le dioxyde de soufre [SO2], les composants organiques volatiles [COV], etc.) ainsi que la matière particulaire, un mélange de particules solides ou liquides en suspension dans l'air, qui est la plus nocive sur le plan sanitaire (1). Les polluants sont émis par les activités industrielles, les transports (routiers et non routiers), les activités résidentielles, les activités domestiques (chauffage en particulier), l'agriculture, la sylviculture, etc. (2). Ils peuvent avoir aussi une origine naturelle (émissions par la végétation, l'érosion du sol, les volcans, les océans, les tempêtes de sable, les incendies).
Les polluants observés dans l'atmosphère ne sont pas tous émis directement par ces sources. Il y a des polluants secondaires qui résultent de réactions physicochimiques entre les polluants primaires et d'autres constituants de l'atmosphère. L'ozone est un polluant secondaire, formé dans la basse atmosphère à partir d'un mélange de précurseurs gazeux composé d'oxydes d'azote et de COV, émis par les activités humaines mais aussi par la végétation (2). Les particules aussi peuvent être secondaires. Elles sont caractérisées par leur taille et leurs propriétés aérodynamiques : particules respirables d'un diamètre aérodynamique inférieur à 10 µm (PM10), particules grossières d'un diamètre aérodynamique entre 2,5 et 10 µm (PM2,5-10), particules fines d'un diamètre aérodynamique inférieur à 2,5 µm (PM2,5) et particules ultrafines d'un diamètre aérodynamique inférieur à 0,1 µm (PM0,1). Les PM10 proviennent de sources telles que les poussières des routes, les poussières agricoles, les émissions d'usure des pneus, la combustion du bois, les travaux de construction et de démolition et les activités minières. Les PM2,5 se forment à partir du gaz et de la condensation de vapeurs à haute température pendant la combustion et les activités industrielles.
Les émissions de la combustion, dont les transports en zone urbaine et périurbaine, représentent plus de la moitié de la pollution atmosphérique par les PM2,5 et la plupart de la matière organique particulaire primaire. Les constituants chimiques courants des particules comprennent les sulfates, les nitrates, l'ammonium, d'autres ions inorganiques (tels que des ions de sodium, de potassium, de calcium, de magnésium et de chlorure), le carbone organique et élémentaire, les métaux (y compris le cadmium, le cuivre, le nickel, le vanadium et le zinc) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Autrement dit, des composants qui sont hautement préjudiciables pour la santé. Dans la matière particulaire, on trouve également des composants tels que des allergènes, des moisissures et des composés microbiens, dangereux pour les personnes qui y sont sensibles. Il a été constaté que les PM, en particulier les PM2,5 et toutes les particules plus petites, peuvent rester longtemps en suspension dans l'air, parcourir des centaines de kilomètres et pénétrer facilement dans les bâtiments. Ainsi, les individus ne sont jamais au courant de leur exposition réelle.
Un problème de santé publique ubiquitaire
La pollution atmosphérique est désormais reconnue comme un problème de santé publique ubiquitaire, qui sévit tantôt dans les pays en voie de développement, tantôt dans les pays industrialisés, selon des modalités différentes.
Dans les pays en voie de développement, des millions de personnes sont exposées de manière chronique à des polluants atmosphériques, à des concentrations largement au-dessus des valeurs seuils des principaux polluants de l'air, engendrant des risques de santé qui sont établis par l'OMS. Dans les pays industrialisés aussi des millions de personnes sont exposées de manière chronique, mais dans ce cas, pics de pollution mis à part, à des concentrations qui ne sont pas considérées comme dangereuses (3). Le type de pollution varie également entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés : dans le premier cas sont observés des particules grossières et des gaz irritants, dont le SO2 ; dans le second, du NO2 et des PM2,5, et principalement des particules ultrafines (PM0,1) engendrées par le trafic contenant des HAP.
D'importants effets sanitaires
La pollution atmosphérique est à l'origine d'effets sanitaires à court et à long terme, et cela, même à des niveaux d'exposition faibles, témoignage du fait qu'il n'y a pas de seuil de concentration de déclenchement des effets sanitaires dans le cas de la pollution atmosphérique (3). Tout dépend de la susceptibilité individuelle, certains groupes de la population étant plus à risque, tels que les enfants en bas âge, les patients atteints de pathologie cardiorespiratoire, les personnes âgées, les individus habituellement exposés à la pollution atmosphérique de façon excessive du fait de leur résidence ou de leur travail (1).
Parmi les effets sanitaires les plus documentés sont relevés une incidence plus élevée d'hospitalisations cardiorespiratoires et un risque augmenté de mortalité par maladie cardiovasculaire et par cancer du poumon (3). L'OMS estime qu'environ 58 % des décès prématurés liés à la pollution de l'air extérieur résultaient en 2016 de cardiopathies ischémiques et d'accidents vasculaires cérébraux, 18 %, de bronchopneumopathies chroniques obstructives ou d'infections aiguës des voies respiratoires inférieures, tandis que les 6 % restants sont imputables au cancer du poumon. Ces effets sont causés principalement par les particules en suspension, et les cancers, notamment par les particules, semi-volatiles et gazeuses, qui contiennent des composés organiques tels que les HAP, induisant mutagénicité et dommages génétiques. Les personnes vivant dans les pays à revenu faible ou moyen payent un tribut disproportionné à la pollution de l'air extérieur : 91 % des pathologies surviennent dans ces pays, les régions de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental supportant le plus lourd fardeau. Les coûts socioéconomiques associés sont immenses.
D'après la Banque mondiale, la pollution de l'air coûte à l'économie mondiale plus de 5 000 milliards de dollars par an en coûts de protection sociale, les dommages les plus dévastateurs se produisant dans les pays en développement (4). Le chiffre relatif au bien-être intègre un certain nombre de coûts associés à la pollution de l'air, tels que les dépenses de santé.
Tous les organes sont touchés
Mais la pollution atmosphérique peut frapper aussi d'autres organes du corps humain que le système cardiorespiratoire (3, 5, 6). En France métropolitaine, une étude très récente montre que l'exposition aux PM2,5 et au NO2 a un impact à long terme (12 ans) sur la morbidité et la mortalité toutes causes confondues, et les différences avec la morbidité et la mortalité cardiorespiratoires montraient la part importante d'autres effets sanitaires dans le phénomène (7). En 2018, une estimation globale fait état de 9 millions de décès toutes causes confondues attribués à la seule pollution atmosphérique particulaire par les PM2,5 extérieures (8). Cela représente 16 % des décès dans le monde, soit 3 fois plus de décès que ceux provoqués par le sida et la tuberculose combinés, et 15 fois plus que tous les décès provoqués par les guerres et les autres formes de violence. Ces résultats suggèrent que l'exposition aux PM2,5 est liée à des causes de décès supplémentaires par rapport à celles évoquées par le “Global Burden of Diseases” (8).
Il faut noter que toutes ces estimations sont réductrices, car elles n'intègrent pas d'informations sur les risques provenant des sources de particules de l'intérieur des locaux. Au total, plusieurs parties du corps humain peuvent subir les conséquences de la pollution atmosphérique et tomber malades. Cela est confirmé par plusieurs études récentes réalisées dans des bases de données très importantes (3, 5, 6, 9).
Plusieurs voies de pénétration
Ces effets de la pollution atmosphérique au niveau de plusieurs organes peuvent être expliqués par les différentes voies de pénétration des polluants atmosphériques (inhalation, contact dermique, ingestion) et par plusieurs mécanismes de celle-ci. La voie de l'inhalation est certainement la plus importante. Les gaz qui se dissolvent facilement (comme le chlore et l'ammoniac) irritent immédiatement les voies aériennes supérieures, les parties les plus périphériques du poumon n'étant atteintes que lorsque ces gaz sont inhalés en profondeur.
Les gaz qui ne se dissolvent pas facilement (comme le NO2 ou l'O3) n'entraînent pas immédiatement de signes d'exposition (irritation du nez et des yeux), mais sont plus facilement inhalés en profondeur dans les poumons, où ils peuvent entraîner une inflammation
des petites voies respiratoires (bronchiolite) ou une accumulation de liquide (œdème pulmonaire). Les particules, après avoir été inhalées, atteignent les organes par le franchissement de la barrière alvéolocapillaire via les voies aériennes supérieures et inférieures (PM2,5, PM0,1, HAP) et par le passage de la barrière hémato-encéphalique (BHE), qui joue un rôle crucial dans le fonctionnement cérébral, via le plexus olfactif (PM0,1, HAP). Une fois que les particules ont pénétré dans les alvéoles pulmonaires, elles passent la barrière alvéolocapillaire, se retrouvent dans le sang et peuvent ainsi atteindre plusieurs organes, dont le cerveau.
Les gaz peuvent également passer du débit sanguin au cerveau, où ils endommagent et tuent des cellules nerveuses. Mais les particules peuvent aussi atteindre le cerveau en franchissant la BHE située à l'interface sang-cerveau. Cette barrière, qui sert à protéger le cerveau des agressions extérieures, est constituée de divers types cellulaires, notamment les cellules endothéliales qui, reliées les unes aux autres par des “jonctions serrées”, assurent son étanchéité. Les polluants peuvent pénétrer dans le cerveau par le nez lorsque ces jonctions serrées cèdent et que l'étanchéité diminue. De plus, la BHE n'existe pas sur le trajet de nerfs qui ont leur origine dans la cavité nasale : le nerf olfactif et une partie du nerf trijumeau. De ce fait, la voie nasale peut constituer une voie d'entrée directe vers le cerveau pour les polluants utilisant ces nerfs comme des rails d'acheminement. La conséquence directe de ces phénomènes est l'atteinte de plusieurs organes et une vaste gamme d'effets sanitaires associés (tableau).
Une prévention est possible
Pour protéger la santé publique et réduire les coûts socioéconomiques, il est essentiel de lutter contre la pollution de l'air.
Alors que la plupart des sources de pollution de l'air extérieur échappent totalement au contrôle des individus et nécessitent une action concertée, aux niveaux local, national et régional, des responsables des secteurs des transports, de l'énergie, de la gestion des déchets, de l'urbanisme et de l'agriculture, la diminution de l'exposition directe aux polluants atmosphériques peut et doit revenir aux individus et à leur médecin. Sur les conseils du personnel soignant, les patients peuvent apprendre comment être informés sur les niveaux des polluants à éviter, sur l'évitement des sources, sur les comportements à changer, voire être encouragés à adapter leur traitement (10).
Ce numéro thématique de La Lettre du Pneumologue présente un état des lieux des principales conséquences sanitaires de la pollution atmosphérique dès la vie in utero afin d'offrir une vision globale de la problématique liée à la pollution de l'air, de plus en plus indispensable à l'exercice du métier des soignants.
Bonne lecture !