Éditorial

Le “forfait au parcours” : une belle idée ou une nouvelle usine à gaz ?


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Le patient atteint d'une maladie chronique est suivi en ville et parfois à l'hôpital. Il voit son médecin généraliste traitant, un ou plusieurs spécialistes et des paramédicaux. Il bénéficie d'une éducation thérapeutique. Il connaît des épisodes de soins aigus nécessitant une hospitalisation, parfois suivie d'une hospitalisation à domicile ou d'un séjour en centre de soins de suite et rééducation. N'est-il pas tentant de regrouper le tout dans un forfait annuel comportant une part fixe et une part variable dépendant de la qualité du parcours et du résultat jugé par le malade lui-même (PREM et PROM)1 ?

Cette version idyllique, assez éloignée de la réalité, est la transposition simpliste à la maladie chronique du modèle de la chirurgie ambulatoire, où un forfait individuel pour un épisode de soin peut regrouper la consultation d'anesthésie, l'opération pour prothèse de hanche ou de genou, le suivi postopératoire et la rééducation, ou correspondre au “bouquet” de prise en charge d'un cancer du sein incluant imagerie, anatomopathologie, chirurgie, oncologie et radiothérapie. Mais cela suppose une pathologie bien définie, un traitement standardisé, un accord du patient pour être pris en charge par des équipes habituées à travailler ensemble selon des protocoles partagés. Et encore faut-il que les professionnels soient d'accord sur les modalités de répartition entre eux dudit forfait.

Rien à voir avec la maladie chronique et ses multiples comorbidités, son évolutivité variable, ses complications, ses divers facteurs psychologiques et sociaux, chez des patients vivant dans des territoires connaissant eux-mêmes une offre de soins très variable. S'il s'agit de forfaits calculés pour chaque patient − une capitation en somme −, il va falloir multiplier les forfaits, comme on a dû multiplier les groupes homogènes de séjour de la T2A (tarification à l'activité), passés en 10 ans de 700 à plus de 2 500, ce qui a conduit à une complexification extrême du codage. Et comment va-t-on répartir le forfait entre tous les intervenants d'un territoire ? Pour gérer cette “superT2A” étendue dans le temps et l'espace, faudra-t-il recourir à des prestataires, chargés à la fois de créer des filières de soins et de servir d'intermédiaires entre la Sécurité sociale et les professionnels ? On ajouterait ainsi une couche supplémentaire au millefeuille bureaucratique national. Les mutuelles en rêvent…

Le débat essentiel devrait porter sur le choix entre le financement individuel (à l'acte, au tarif ou au forfait) et le financement populationnel par un budget. Cette dotation globale annuelle serait modulée selon la file active de patients (nombre de patients déjà suivis et nombre de nouveaux patients) ainsi qu'en fonction de facteurs simples de gravité et/ou de complexité thérapeutique et du degré de précarité de la population. Une dotation globale permettrait, de plus, un intéressement collectif des équipes soignantes si l'ensemble de la dotation annuelle n'est pas entièrement utilisée. Encore faut-il que cette dotation corresponde aux besoins, contrairement à ce qui s'est passé en psychiatrie. Et il serait sage de commencer par des établissements volontaires, hôpitaux, centres de santé et maisons de santé pluriprofessionnelles, d'accord pour définir concrètement entre eux les parcours de soins adaptés entre premier, deuxième et troisième recours. Dans un deuxième temps, la gestion mutuelle de leurs dotations respectives pourrait s'envisager.

Le volontarisme politique actuel, trop pressé, risque de transformer le grand virage ambulatoire en sortie de route. Il est encore temps de changer de direction.


1 PREM : patient-reported experience measures ; PROM : patient-reported outcomes measures.


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