Éditorial

Le prix du tabac : une arme de santé publique efficace si elle est bien maniée


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Les données sont claires ! Une bonne gestion des taxes et donc du prix du tabac sauve plus de vies que les médicaments d'arrêt du tabac. Les actions de santé publique sont plus efficaces pour réduire les dégâts du tabac que la médecine personnalisée. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) place l'augmentation bien conduite des taxes du tabac comme la mesure la plus efficace pour réduire le fardeau du tabagisme, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement (1).

Il est donc légitime d'analyser comment les prix du tabac sont construits en France, ce d'autant que le gouvernement français a annoncé en 2017 un prix du paquet de cigarettes à 10 € en 2020.

Le prix d'un paquet de 20 cigarettes,comme le prix de tout type de tabac, est fixé en France par les cigarettiers, qui déclarent plusieurs fois par an les prix des produits qu'ils souhaitent vendre. Les prix sont publiés au Journal officiel afin qu'ils soient les mêmes dans tout l'Hexagone. Outre la TVA de 20 %, les prix tiennent compte des 2 taxes spécifiques du tabac dites “droits d'accises”, qui sont des outils complexes. Les droits d'accises incluent une taxe d'un montant en euros identique pour tous les paquets de cigarettes (taxe fixée pour 1 000 cigarettes : 48,75 € fin 2017, soit 0,97 € par paquet) et une autre taxe proportionnelle au prix de vente final dite “ad valorem” (49,7 %). L'arsenal fiscal est complété par un outil très utilisé en France, qui est le minimum de perception pour 1 000 cigarettes (231 € fin 2017, soit 4,62 € de droits d'accises pour 20 cigarettes). En théorie, ce minimum de perception empêche les cigarettiers de vendre à plus de quelques centimes en dessous d'un prix minimum (≈ 7,35 € le paquet) s'ils ne veulent pas voir monter le pourcentage de taxes très au-dessus des 81 %.
Ainsi, pour une cigarette à 7,30 € le paquet, existera une petite surtaxe de 1,60 centime d'euro liée au fait que les droits d'accises n'atteignent pas pour ce prix le minimum de perception. Cette “surtaxe” devient considérable en dessous de 7 € le paquet. Pour les paquets de 20 vendus à 6,70 € (les moins chers fin 2017), il ne reste que 0,32 € par paquet au cigarettier, ce qui couvre tout juste le coût de fabrication estimé à 0,16 €, ainsi que les coûts de distribution et de commercialisation.

La remise aux buralistes est, fin 2017, de 9,44 % du prix de vente final. Cette marge aux marchands de tabac est supérieure à celle des autres pays européens. Par ailleurs, les cigarettiers, via la distribution des cigarettes aux buralistes pas la société Logista®, contribuent à financer depuis 2017 le Fonds de lutte contre le tabac. Les cigarettiers contribuent aussi à de nombreuses remises aux buralistes, à leur caisse de retraite, et payent différents droits pour eux. La complexité de nombreuses remises aux buralistes est régulièrement dénoncée par la Cour des comptes, qui s'interroge sur la pertinence de maintenir leur statut de préposé de l'administration (figure) [2].

L'efficacité, en termes de santé publique, du recours aux taxes dépend de l'augmentation ressentie des prix par le consommateur.

En analysant les données des augmentations de prix depuis 2000 et en faisant l'approximation que ces augmentations ont eu lieu au 1er janvier, que leur effet sur la consommation est immédiat et dure 1 an, on observe des résultats très différents selon le mode d'augmentation des prix. Une élasticité moyenne de l'ordre de 0,82 (baisse de 8,2 % des ventes pour une augmentation de 10 %) a été observée sur les 3 années où l'augmentation a été supérieure à 10 %. Rapportée à 10 % d'augmentation de prix, cette baisse des ventes est de l'ordre de 23 % les 6 fois où l'augmentation a été de 5 % à 7,5 %. Il n'a pas été observé de variations significatives des ventes de tabac les années sans augmentation de prix ou avec une augmentation de moins de 5 %. Ainsi, il apparaît clairement que 2 augmentations des prix de 5 %, soit 10 %, sont plus de 3 fois moins efficaces qu'une augmentation en une fois de 10 %. Entre 7,5 % et 10 %, il y a une barrière psychologique qui conduit ou non au changement de comportement d'achat : cela est vrai pour le tabac, mais le phénomène existe aussi pour l'achat d'essence ou d'autres biens. De très faibles augmentations répétées inférieures à 5 %, comme cela a été fait de 2007 à 2012, “gaspillent” une mesure de santé publique au profit du seul enrichissement de l'industrie du tabac alors que l'État est, dans tous les cas de figure, perdant aussi longtemps que le tabagisme ne régresse pas, car les taxes du tabac ne couvrent pas la moitié des dégâts sanitaires induits. La Sécurité sociale serait très bénéficiaire s'il n'y avait pas de tabagisme, et ce malgré la suppression des 13 milliards d'euros de recettes qui lui reviennent sur les taxes du tabac.

L'augmentation significative des prix est une arme de santé publique, alors que le prix de vente du tabac lui-même joue un rôle moins important. Un prix élevé du tabac en France par comparaison avec des pays qui ont une frontière commune avec la France augmente les achats transfrontaliers légaux de ceux qui vivent près d'une frontière, et ne modifie que de façon plus discrète la contrebande et la contrefaçon, qui ne constituent qu'une faible part des achats de tabac hors buraliste.

Il est donc important d'avoir des augmentations par marches suffisantes, ce qui sera pleinement réalisé en 2018, après une première augmentation en novembre 2017 du minimum de perception qui conduit à une augmentation du pourcentage de taxe pour tous les paquets de 7,30 € ou moins. L'augmentation des prix de 2018 devrait être de plus de 10 % et conduire à une baisse de 3 à 4 milliards du nombre de cigarettes vendues annuellement en France, sauvant ainsi chaque année la vie de 3 000 à 4 000 fumeurs, si l'on accepte l'approximation du Pr Gérard Dubois que 1 million de cigarettes vendues conduit à un décès. Cette augmentation conduira aussi à une augmentation des recettes de l'État (300 à 400 millions d'euros), de la remise aux buralistes (de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros) et probablement des revenus des cigarettiers.

On ne peut que se réjouir de l'augmentation des prix annoncée par la ministre et confirmée par le PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) d'environ 1 € en mars 2016 (+14 %), surtout si cette augmentation des prix est associée à la mise en œuvre pleine de l'ensemble des mesures du Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) [3].

On ne peut que se réjouir en tant qu'acteur de santé publique d'un paquet à 10 € en 2020, mais on ne peut que regretter l'augmentation par palier de 50 et 40 centimes tous les 6 mois qui est annoncée pour 2019 et 2020 (augmentations de 4 % à 6 %). Cette augmentation par 4 petites marches entraînera, si les Français réagissent de la même façon que depuis 2000, 3 fois moins de baisse du tabagisme, 3 fois moins de décès liés au tabac que le permettrait le décalage des augmentations prévues en avril pour les coupler avec celles prévues en novembre de chaque année (tableau).

Mais, quoi qu'il en soit, les pneumologues doivent dès 2018 saisir l'occasion de l'augmentation significative des prix pour traiter tous les malades atteints de la dépendance tabagique, une maladie chronique curable par le pneumologue, qui a tous les outils pour réduire totalement l'envie de fumer, même si la motivation n'est pas là, par l'apport de varénicline ou de nicotine non fumée à doses adaptées sous forme de substituts nicotiniques ou de vaporette. Avec une substitution parfaite, la sortie du tabac peut et doit être un plaisir (4). Les augmentations des prix sont autant d'occasions d'initier en consultation des arrêts du tabac.

FIGURES

Le prix du tabac : une arme de santé publique efficace si elle est bien maniée - Figure
Tableau. Bénéfices attendus des augmentations du prix du tabac en fonction de ce qui a été observé en France avec différentes marches d’augmentation des prix depuis 2000.

Augmentation des taxesÉlasticité
(baisse des ventes pour 10 % d’augmentation
de prix)
Bénéfice sur la santé publique à court/moyen/long termeIntérêt à moyen/long terme pour le budget de l’ÉtatBénéfice
à court/moyen terme pour
les cigarettiers
Bénéfice
à court/moyen terme pour
les buralistes
> 10 %–8,2 %+++++++++++
5-8 %–2,3 %++++++++++
< 5 %0,9 %0– – –+++

Références

1. OMS. Directives pour l’application de l’article 6 de la convention-cadre de l’OMS. http://www.who.int/fctc/treaty_instruments/Guidelines_article_6_fr.pdf

2. Rapport public annuel 2013 de la Cour des comptes, tome 1. Le soutien de l’État aux ­débitants de tabac : des aides injustifiées.
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/2_4_1_soutien_Etat_debitants_de_tabac.pdf.

3. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNRT2014-2019.pdf

4. Dautzenberg B. Le plaisir d’arrêter de fumer. Paris : First éditions, 2017: 160 pp.


Liens d'intérêt

Pas de liens d’intérêts sur le thème si ce n’est un procès en appel avec la Confédération des buralistes.

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