L'adolescence est une étape majeure du développement de la vie, au cours de laquelle se construisent l'identité et l'avenir social et professionnel. Pour l'adolescent malade, il s'agit également d'apprendre à s'autonomiser et de devenir progressivement responsable de sa maladie, de ses traitements, et d'appréhender les enjeux et l'impact de sa maladie sur sa vie. Cet apprentissage, au même titre que l'éducation thérapeutique, fait partie du soin et doit être accompagné, et donc organisé, par l'équipe soignante. Il se fait pendant cette longue période dite de transition, définie comme “un mouvement intentionnel et planifié des adolescents et des jeunes adultes atteints de handicap physique ou de maladie chronique du système de soins de santé centré sur l'enfant à celui pour adultes” [1]. Cette transition permet de préparer au mieux l'adolescent à prendre en charge sa maladie au sein de sa propre vie.
L'asthme touche environ 15 % des adolescents en France [2]. Alors qu'il est couramment admis dans l'imaginaire populaire que “ça va passer à l'adolescence”, la rémission ne concerne en réalité que 21 % des enfants asthmatiques dans une série suédoise [3]. Il faut donc considérer qu'une partie non négligeable des asthmatiques dès l'enfance vont le rester à l'âge adulte, et 6,7 % d'entre eux auront une forme sévère de la maladie [4]. Il semble indispensable d'organiser cette longue période qu'est la transition entre l'adolescence et l'âge adulte, afin, d'une part, de maintenir un contrôle optimal pendant la période de fragilité qu'est l'adolescence, et d'autre part, d'éviter toute rupture de suivi, notamment chez les patients atteints d'asthme sévère.
L'adolescent asthmatique : des éléments à prendre en compte pour adapter la relation
La maladie asthmatique chez l'adolescent n'a pas vraiment de caractéristiques particulières : elle est encore majoritairement associée à l'allergie à cet âge [5], mais c'est aussi à cet âge qu'apparaissent les rares phénotypes d'asthme éosinophilique non allergique [6]. Le comportement de l'adolescent vis-à-vis de sa maladie est une particularité majeure nécessitant que les soignants adaptent leur prise en charge. Pour l'adolescent asthmatique, la maladie est souvent vécue comme une entrave à la vie normale, à un âge où il est important de se conformer à la norme. Dans une enquête réalisée en France, 44,4 % des adolescents considéraient leur maladie comme une gêne dans leurs activités de loisirs, 13 % comme une gêne dans leurs études et 18 % comme un handicap dans leur vie de tous les jours [7]. Ces interférences de l'asthme avec leur vie quotidienne contribuent à une faible adhésion aux soins et à une mauvaise observance des traitements chez les adolescents. Le rejet des soignants, la répugnance à prendre des traitements en public ou à parler de sa maladie en dehors de la famille, le déni des conséquences du mauvais contrôle, le goût pour les conduites à risque [8], doivent être pris en compte pour créer une alliance thérapeutique différente, adaptée à cet âge, mais nécessaire pour maintenir un traitement optimal. Simplifier le traitement et utiliser des outils de rappel pour les prises, sur smartphone notamment, sont des éléments pratiques recommandés pour faciliter l'observance. Il est également recommandé par l'EAACI [9] d'intégrer la famille dans l'alliance thérapeutique et de l'impliquer pour aider l'adolescent dans la gestion de son traitement, tout comme il est recommandé d'encourager l'adolescent à parler de son asthme à ses amis.
L'anxiété et la dépression sont plus fréquentes chez les adolescents asthmatiques que chez les adolescents non asthmatiques, ces symptômes étant rapportés chez 50 % des asthmatiques dans certaines séries. Elles peuvent favoriser le début des addictions, notamment la consommation de tabac et de cannabis. Enfin, les conflits familiaux sont également plus fréquents chez les asthmatiques [9] et peuvent contribuer au mauvais contrôle de l'asthme [10]. Tous ces éléments psychologiques et socioéconomiques ayant un impact sur le contrôle et la qualité de vie doivent donc être évalués de façon systématique et pris en charge [9] (encadré).
Un nécessaire besoin de formation et de structuration des filières de soins pour organiser la transition
Il n'y a pas d'âge idéal pour commencer la transition, mais il est actuellement recommandé d'engager le processus assez tôt, entre 11 et 13 ans [9], en s'adaptant bien sûr à la maturité de chaque enfant et de ses parents. L'objectif de cette période de transition est de s'assurer que l'adolescent, puis le jeune adulte, a compris sa maladie et maîtrise les ressources nécessaires à son suivi : identification des différents traitements et de leur rôle, identification des symptômes et maîtrise du plan d'action, mais aussi capacité à gérer le stock des médicaments (à prévenir les parents que l'inhalateur est vide puis être capable de les acheter soi-même, par exemple), à prendre un rendez-vous médical et à parler de sa maladie avec le médecin en dehors de la présence des parents. L'ensemble des compétences et connaissances nécessaires à la transition peuvent être évaluées par le questionnaire Good2Go, validé en français [11]. Il existe peu de données sur les souhaits des jeunes asthmatiques sur cette période. Néanmoins, une étude suédoise publiée en 2019 a rapporté la perception de 16 jeunes adultes ayant un asthme sévère lors de leur passage dans un service d'adultes. Ils y décrivent 4 préoccupations principales : l'envie d'avoir des responsabilités, le besoin d'être impliqué, le fait de se sentir exclu du système de soins et le manque d'engagement des médecins adultes [12].
Selon les recommandations, cette transition doit être structurée et multidisciplinaire, et inclure le pédiatre, le pneumologue d'adultes, l'équipe d'éducation thérapeutique, le médecin traitant et toutes les personnes impliquées dans le suivi médical (psychologue, addictologue, etc.). En réalité, en France, comme en Europe, peu de structures dédiées à la transition existent (mentionnons, par exemple, à l'AP-HP, AD'venir, la plateforme de transition de l'hôpital universitaire Robert-Debré (https ://advenir-robertdebre.aphp.fr/) et La Suite, celle de l'hôpital Necker (http ://www.la-suite-necker.aphp.fr/)), ce qui rend les récentes recommandations de l'EAACI intéressantes mais difficilement applicables en pratique. Le manque de formation du personnel de santé sur la prise en charge de cette tranche d'âge est encore criant [13] : dans une enquête récente auprès de 1 179 professionnels de santé prenant en charge des adolescents asthmatiques ou allergiques, 76 % reconnaissaient n'avoir jamais eu de formation spécifique à la prise en charge à cet âge, et l'immense majorité n'aborde jamais en consultation la question de la sexualité, de la drogue ou de la dépression. Pour un pneumologue d'adultes peu habitué aux adolescents, il semble important de se former aux particularités de ces jeunes patients, qui peuvent parfois sembler déroutants au premier abord, pour arriver à trouver le ton juste.
Cependant, en ces temps où les moyens hospitaliers se font rares, il ne faudrait pas que des recommandations très ambitieuses, comme celles de l'EAACI, dissuadent les soignants de mettre en place le suivi de cette période de transition. En l'absence de service de médecine de l'adolescent sur lequel s'appuyer ou de protocole dédié, la transition des jeunes asthmatiques peut tout à fait être organisée par d'autres moyens, notamment dans le cadre d'une “école de l'asthme”. Il est alors recommandé de dédier des séances d'éducation thérapeutique du patient (ETP) aux adolescents, le rôle des “pairs” étant très important, quand le corps médical peut être rejeté. En dehors d'une structure hospitalière, prendre l'habitude de questionner l'adolescent sur ses projets professionnels, s'enquérir de sa santé mentale, d'une éventuelle consommation tabagique, aborder la question de la maladie à l'âge adulte, de la contraception, etc., sont autant de façons de préparer la transition qui ne nécessitent pas forcément beaucoup de moyens mais une écoute attentive vis-à-vis de certaines questions spécifiques.
Tout au long de cette période, il est important que les parents demeurent impliqués, acteurs de cette acquisition progressive de l'autonomie, tout en s'effaçant peu à peu. Commencer la consultation avec les parents, puis leur proposer de sortir, peut être une façon de les aider dans ce processus.
Changer d'équipe : en pratique ?
Pour les patients asthmatiques, notamment les plus sévères, “faire la transition” revient aussi à changer d'équipe médicale, du fait du passage de la pédiatrie à la médecine d'adultes, ce qui implique une étape supplémentaire à préparer.
En pratique, chaque équipe de pneumopédiatrie travaillant avec une équipe de pneumologie d'adultes pour la transition s'organise en fonction des caractéristiques locales, sans recommandations spécifiques : 2 équipes sur le même site feront volontiers des consultations communes, quand 2 équipes éloignées géographiquement auront plus volontiers recours à des téléconsultations, voire à des consultations alternées pédiatre/adulte, jusqu'à la transition définitive. Cependant, certains points semblent particulièrement importants à souligner. Premièrement, la confiance entre les médecins qui prennent en charge l'adolescent et ceux qui vont le prendre en charge doit être réelle et manifestée au jeune avant son passage : parler du futur correspondant (en le nommant, voire en montrant une photo) est un élément qui contribue à la confiance au moment du changement d'équipe. La transmission, en amont de la première consultation, d'un dossier résumant l'histoire médicale, mais aussi les éléments éducatifs, psychologiques et sociaux, est un élément majeur de la transition, rassurant l'adolescent sur le fait que la nouvelle équipe connaît son histoire et qu'il n'aura pas à “tout raconter”, y compris un historique dont il n'a pas toujours le souvenir. Enfin, convenir ensemble d'une date pour la première consultation “chez les adultes” est une étape supplémentaire dans le processus de transition vers l'âge adulte. La plupart du temps, elle se fait en période de stabilité, mais elle peut quelquefois être accélérée chez un adolescent manifestant un rejet de l'équipe de pédiatrie. Pour les jeunes patients asthmatiques non sévères ne nécessitant pas un suivi hospitalier, le processus de passage vers un correspondant libéral proche du domicile peut se faire selon des modalités similaires.
Du côté des “médecins d'adultes”, un certain nombre d'éléments peuvent aider à réussir le passage : donner le premier rendez-vous à une date convenue avec le pédiatre, pour éviter une première déconvenue à l'adolescent qui ne réussirait pas à prendre son premier rendez-vous à l'hôpital ; programmer cette consultation idéalement pendant les vacances scolaires, pour ne pas imposer des absences nuisibles à la scolarité ou aux stages professionnels ; montrer que le dossier médical a bien été transmis et qu'il est connu ; éviter de changer le traitement et le plan d'action lors de la première consultation pour ne pas déstabiliser le jeune et sa famille. Pour les jeunes patients sous biothérapie, le passage chez les adultes est souvent associé à la possibilité d'arrêter un traitement jugé contraignant. Il ne faut bien sûr pas contourner cette question, sans nier le fait qu'il n'y a pas de réponse, actuellement, à la durée optimale d'une biothérapie. C'est sans doute l'occasion d'aborder la problématique de la maladie chronique à l'âge adulte, qui ne doit pas empêcher les projets futurs. Il est important de rappeler au jeune qu'un asthme contrôlé autorise une vie “normale”, incluant la possibilité de faire du sport, de voyager, d'avoir des enfants, etc., au prix d'un traitement pris régulièrement.
Enfin, le passage en médecine d'adultes ne signifie pas la fin de la transition, dont certains considèrent qu'elle se poursuit jusqu'à l'âge de 25 ans environ [9]. Chez l'adolescent devenu jeune adulte, il faudra bien sûr continuer de veiller à la prise des traitements, à les adapter au contrôle de l'asthme et aux souhaits du patient, à aborder la question des éventuelles addictions, les projets de parentalité, les projets professionnels, les difficultés sociales et économiques, comme finalement pour tout patient asthmatique.
Conclusion
L'adolescent asthmatique, comme tous les adolescents malades, a besoin d'être accompagné dans cette période de fragilité, pour éviter toute rupture de suivi qui serait délétère pour le contrôle de sa maladie. À cet âge, une prise en charge “globale” prend tout son sens et aborde notamment les addictions, la sexualité et les projets professionnels. Cette transition doit être personnalisée, c'est-à-dire adaptée à chaque jeune, mais aussi à chaque structure de soins selon son fonctionnement et ses caractéristiques locales. La création de liens de confiance entre les pédiatres et les pneumologues d'adultes est une première étape fondamentale dans le succès de cette transition. ■