Pourquoi cibler la lymphopoïétinestromale thymique dans l’asthme sévère ?
Avant d’être reconnue comme un médiateur majeur de la réponse immunitaire de type 2 (dite T2), la lymphopoïétine stromale thymique (thymic stromal lymphopoietin, TSLP) a d’abord été identifiée comme une cytokine-clé associée à la croissance des lignées cellulaires B et à la prolifération des thymocytes, d’où sa dénomination [1]. Quelques décennies plus tard, nous savons désormais que cette cytokine a un rôle majeur dans la maturation, la prolifération, la survie et le recrutement de nombreux types cellulaires, et ce dans des pathologies variées.
Sources et cibles de la TSLP
Au niveau pulmonaire, la TSLP est essentiellement produite par l’épithélium bronchique, mais les cellules dendritiques, les basophiles et les mastocytes peuvent aussi la sécréter. Dans les bronches, à l’instar des interleukines 25 et 33 (IL-25, IL-33), la TSLP est considérée comme une alarmine. Sa production épithéliale, en réponse à un stimulus (virus, bactéries, polluants, allergènes, etc.), contribue à orchestrer la réponse immunitaire et inflammatoire. La TSLP se situe donc très en amont de cette cascade, ce qui en fait une cible thérapeutique de choix. Elle agit sur les cellules B, mais aussi directement sur les cellules dendritiques et les lymphocytes T CD4+, dont elle assure le développement normal, et les T CD8+. Elle interagit également avec d’autres cellules (neutrophiles, mastocytes et basophiles), mais recrute aussi les éosinophiles et les ILC2 (group 2 innate lymphoid cells), qui sont largement impliqués dans la physiopathologie de l’asthme sévère (figure). Sous l’influence de la TSLP, ces différents types cellulaires sécrètent d’autres interleukines “pro-T2” (IL-4, IL-13, IL-5) ou des immunoglobulines E (IgE), dégranulent leur contenu (mastocytes, éosinophiles) ou amplifient l’hyperréactivité bronchique via les cellules musculaires lisses. Bien sûr, une importante communication cellulaire (cross-talk) est également à l’œuvre dans toute cette fine mécanique [2, 3].
Implication de la TSLP dans l’asthme
La recherche translationnelle nous a appris que la TSLP est surexprimée chez les patients asthmatiques [4]. De plus, un taux élevé de TSLP est associé à un taux élevé de cytokines T2 et à un risque accru d’exacerbations [5]. Chez des asthmatiques allergiques, même légers, des tests de provocations allergéniques augmentent les concentrations d’alarmines (IL-25, IL-33, TSLP) dans l’épithélium et la sous-muqueuse des bronches, et cette observation est positivement corrélée au niveau d’obstruction bronchique [6]. Par conséquent, bloquer la TSLP dans l’asthme sévère paraît extrêmement pertinent. Nous présentons ici les données cliniques soutenant l’efficacité clinique du tézépélumab, un anticorps monoclonal IgG2λ humain bloquant la liaison de TSLP à son récepteur (TSLPR).
Efficacité dans l’asthme sévère éosinophilique et non éosinophilique
Dès 2014, dans une étude de preuve de concept randomisée contre placebo, G.M. Gauvreau et al. [7] avaient montré, chez un petit nombre de patients asthmatiques légers, stables, qu’un anticorps anti-TSLP (700 mg par voie intraveineuse toutes les 4 semaines pendant 3 mois) permettait de réduire la bronchoconstriction induite par un test de provocation allergénique (réponses précoce et tardive) à 42 et 84 jours. Les marqueurs de l’inflammation T2 tels que les éosinophiles (expectorations, sang) et la fraction expirée du monoxyde d’azote (FeNO) étaient également diminués à J84.
Puis les premières données d’ampleur portant sur des asthmatiques sévères non contrôlés ont été rapportées dans l’étude randomisée contrôlée de phase IIb PATHWAY [8]. Dans celle-ci, les patients étaient instables, malgré un traitement inhalé optimal (doses fortes de corticoïdes inhalés ou moyennes en association avec un β2-agoniste de long délai d’action) et avaient présenté 2 exacerbations, ou 1 sévère, dans les 12 mois précédant leur inclusion. Trois posologies étaient évaluées contre placebo : 70 mg/4 semaines (faible dose), 210 mg/4 semaines (dose moyenne) et 280 mg/2 semaines (forte dose). Les injections étaient réalisées par voie sous-cutanée (s.c.). Les réductions observées du taux annuel d’exacerbations à 52 semaines étaient respectivement de 62 %, 71 % et 66 %, sans différence significative entre les différentes doses de traitement, malgré une petite supériorité du groupe “dose moyenne”. De plus, des résultats similaires ont été observés quelles que soient la concentration sérique d’éosinophiles (seuil à 250/ mm3) et la mesure du FeNO (seuil à 24 ppb). Le tézépélumab permettait aussi de réduire l’expression des marqueurs T2 tels que l’éosinophilie circulante, le FeNO et les IgE sériques.
Les essais ultérieurs de phase III NAVIGATOR et SOURCE, puis l’extension DESTINATION, ont toujours été conduits chez des asthmatiques sévères, non contrôlés, adultes. 1 061 patients ont été randomisés dans NAVIGATOR et ont reçu soit du tézépélumab (210 mg/4 semaines en s.c.), soit du placebo [9]. Seulement 10 % environ des patients étaient sous corticoïdes oraux quotidiennement à l’inclusion. Sur la population globale de l’étude, le tézépélumab a permis une réduction de 56 % des exacerbations par rapport au placebo. Le point intéressant, qui démarque cette molécule des autres anticorps monoclonaux avec AMM dans l’asthme sévère (mépolizumab, benralizumab, dupilumab), est son efficacité quelle que soit la concentration d’éosinophiles sanguins (analyses préspécifiées). En effet, dans toutes les strates (< 150/mm3 ; 150-300/ mm3 ; 300-450/mm3 et > 450/mm3), le tézépélumab est supérieur au placebo. Toutefois, il existe clairement une réponse plus importante chez les asthmatiques davantage éosinophiliques. Par exemple, les sujets avec moins de 150 éosinophiles/ mm3 ont une réduction annuelle du taux d’exacerbations de 39 %, contre 70 % pour la strate dont les éosinophiles sont supérieurs à 300/mm3. De plus, l’efficacité du tézépélumab était identique quel que soit le statut “allergique” (défini par des IgE spécifiques positives pour des pneumallergènes courants).
L’essai SOURCE est focalisé sur 150 asthmatiques sévères non contrôlés corticodépendants. Le critère de jugement était la réduction, en catégories de pourcentages, de la dose quotidienne de corticoïdes oraux sans perte de contrôle [10]. Après une période de 8 semaines destinée à optimiser la dose de corticoïdes oraux, la posologie médiane était de 10 mg/j, ce qui démontre un effet “prise en charge” majeur. Puis, après 4 semaines d’induction par tézépélumab (210 mg/4 semaines en s.c.) ou placebo, s’ensuivaient 36 semaines dédiées à la décroissance de la corticothérapie systémique, puis 8 semaines d’entretien. L’étude n’a pas atteint son critère de jugement principal dans la population globale, mais seulement dans le sous-groupe de patients avec éosinophiles > 150/mm3 à l’inclusion. Une tendance similaire avait été montrée avec le dupilumab [11]. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ce résultat. Au vu du taux de réduction de la corticothérapie impressionnant dans le groupe placebo (46 % des patients avec une dose réduite de 90 à 100 %), il est possible que la durée de la phase de décroissance, plus longue que dans d’autres études (36 semaines), ait permis d’offrir davantage d’opportunités aux cliniciens et aux patients pour réduire la corticothérapie. Une autre explication est un manque de puissance lié aux difficultés pour recruter des patients corticodépendants à l’heure où 3 biothérapies étaient déjà disponibles sur le marché. Enfin, on peut aussi imaginer que les patients avec éosinophiles < 150/mm3 (un tiers des sujets) pourraient être “non-T2” donc, par définition, moins susceptibles de répondre à la corticothérapie et, par conséquent, plus à même de la réduire, voire de l’arrêter. Toutefois, la phase d’optimisation était là pour vérifier la corticodépendance des participants. L’essai en ouvert WAYFINDER (NCT05274815), dont le critère de jugement principal est simplifié et les critères d’éligibilité légèrement différents, permettra peut-être de démontrer la capacité du tézépélumab à réduire les doses de corticoïdes administrés au long cours.
Enfin, l’étude DESTINATION, l’extension des essais cliniques NAVIGATOR et SOURCE, publiée en début d’année 2023, a permis de démontrer l’efficacité à long terme du tézépélumab et d’asseoir sa sécurité d’emploi, qui avait déjà été éprouvée dans les essais précédents [12]. La force du protocole résidait surtout dans le fait de randomiser de nouveau les patients issus des groupes placebo dans les précédentes études entre un bras traitement et un bras placebo. L’efficacité à 2 ans persistait pour la réduction des exacerbations (−58 % chez les patients initialement dans NAVIGATOR, et −39 % chez ceux issus de SOURCE), sans différence en matière d’effets indésirables modérés ou sévères entre les groupes placebo et traités.
Un résumé des différents essais cliniques passés et en cours est présenté dans le tableau.
Le tézépélumab est-il capable de modifier l’histoire naturelle de l’asthme ?
L’arrivée des biothérapies dans l’asthme a fait naître la notion de rémission, mais pour l’instant aucune d’entre elles n’a réellement démontré sa capacité à infléchir l’histoire naturelle de la maladie ni à modifier les anomalies de l’épithélium bronchique (hyperplasie des cellules caliciformes et hypersécrétion de mucus, membrane basale épaissie, etc.). Outre son action sur les marqueurs T2, des réductions des taux de MMP-10 (matrix metalloproteinase-10), de périostine, de PAPP-A (pregnancy-associated plasma protein A) et de CCL17 (CC chemokine ligand-17) ont également été démontrées [13]. Cela suggère que les effets du tézépélumab s’étendent au-delà de la diminution de l’inflammation, notamment vers les voies impliquées dans le remodelage bronchique. Étant donné ses conséquences bénéfiques pour traiter l’atteinte des voies aériennes distales, cette action potentielle au niveau de la matrice extracellulaire constitue une piste de recherche enthousiasmante.
L’étude CASCADE avait pour ambition d’évaluer l’effet du tézépélumab sur le remodelage bronchique en analysant des biopsies obtenues par fibroscopie avant et après traitement [14]. Hormis une discrète réduction de l’infiltrat éosinophilique dans la sous-muqueuse et une diminution de l’hyperréactivité bronchique, déjà démontrée, les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes. L’état des patients était aussi probablement peu sévère lors de l’inclusion.
L’étude REVERT (NCT05651841) est un essai multicentrique, randomisé contre placebo et coordonné par le Pr A.Bourdin (CHU de Montpellier). L’objectif principal est de démontrer l’effet du tézépélumab sur le remodelage pathologique des voies respiratoires dans l’asthme sévère. Le critère de jugement principal est l’épaisseur de la paroi des bronches, estimée par un paramètre d’imagerie (scanner thoracique), le wall-area index, avant et après traitement. Des modifications transcriptomiques induites par le tézépélumab seront également recherchées par l’analyse de cellules épithéliales des muqueuses nasales prélevées par brossage. L’originalité du schéma de l’étude repose sur le fait que les patients seront randomisés en 3 bras, dont 2 bras en cross-over. Cela permettra de vérifier, en cas de diminution du remodelage bronchique sous traitement, si cet effet se maintient au-delà du passage dans un bras placebo.
Tézépélumab : un traitement adjuvant contre les allergies respiratoires ? L’étude CATNIP
La présence d’un stimulus allergénique peut maintenir un niveau élevé d’inflammation de type 2 chez certains patients asthmatiques. Des résultats intéressants ont été apportés par l’étude CATNIP concernant le potentiel thérapeutique du tézépélumab dans ce contexte [15]. L’objectif était d’évaluer l’impact d’un traitement combiné, associant tézépélumab et immunothérapie allergénique par voie s.c. (allergènes de chat, subcutaneous cat immunotherapy, SCIT), sur la réponse à un test de provocation nasale (nasal airway challenge, NAC), chez des patients souffrant de rhinite allergique sévère, sans asthme persistant. À la semaine 52, le score total des symptômes nasaux induits par le NAC (TNSS) était significativement réduit chez les patients recevant la combinaison tézépélumab/SCIT par rapport à ceux recevant l’immunothérapie SCIT seule. Plus intéressant encore, une tolérance clinique persistait un an après l’arrêt du traitement. Cela pourrait s’expliquer par une régulation négative d’un réseau de gènes liés à l’inflammation de type 2, en particulier une expression réduite de la signature génétique des mastocytes issus de brossages nasaux.
Conclusion
Dans l’asthme sévère, domaine en pleine révolution depuis l’arrivée des premiers anticorps monoclonaux, le tézépélumab a montré son efficacité clinique. Cet effet est observé quelle que soit la concentration des éosinophiles circulants, ce qui le distingue des autres molécules ayant l’AMM dans cette indication. Du fait de son action très en amont dans la cascade de la réponse inflammatoire, les études à venir nous démontreront peut-être sa capacité à infléchir l’histoire naturelle de l’asthme. D’autres résultats sont également attendus avec intérêt dans certaines pathologies inflammatoires T2 comme la rhinosinusite chronique (NCT04851964) ou encore dans la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) (NCT04039113), pathologie dans laquelle les autres biothérapies n’ont pour l’instant pas convaincu. ■