Les corticoïdes et les bronchodilatateurs inhalés constituent la pierre angulaire du traitement des pathologies pulmonaires telles que l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) puisqu’ils visent une administration directement dans le tissu cible, se traduisant par une minoration des effets indésirables systémiques. Bien qu’une technique appropriée d’utilisation des inhalateurs et l’observance du traitement soient primordiales pour l’efficacité des thérapies inhalées, des considérations pharmacocinétiques peuvent aussi contribuer à expliquer des différences de réponse clinique, notamment de durée d’action. La présente mise au point vise à rappeler les principales connaissances relatives aux propriétés pharmacocinétiques et au bon usage des médicaments inhalés.
L’efficacité thérapeutique des médicaments inhalés, qu’il s’agisse des bronchodilatateurs (agonistes des récepteurs β2-adrénergiques et antagonistes muscariniques (anticholinergiques)) ou des corticoïdes (CSI) est déterminée par la quantité de médicament déposée dans les voies aériennes et leur affinité pour les récepteurs cibles, qui conditionnent en partie le temps de résidence pulmonaire et l’activité du médicament.
Formulations et dispositifs d’inhalation
La quantité de médicament déposée dans les voies aériennes dépend essentiellement du dispositif d’inhalation. Les inhalateurs utilisés sont principalement des aérosols doseurs pressurisés (pour solution ou suspension) et des inhalateurs de poudre sèche, auxquels il faut ajouter un inhalateur de brumisat (Guide Zephir : http ://www.guidezephir.fr). Ces différents types d’inhalateurs ont des caractéristiques techniques distinctes (prêts à l’emploi ou non, uni- ou multidoses, systèmes d’armement, résistance à l’inhalation, etc.) et génèrent des particules de tailles aérodynamiques différentes. Concernant les aérosols doseurs pressurisés, les gaz propulseurs à base de chlorofluorocarbones (CFC) ont été remplacés par des hydrofluoroalkanes (HFA) permettant, pour les principes actifs en solution et par l’utilisation de buses d’aérosolisation spécifiques, la génération de particules dites ultrafines (diamètre aérodynamique moyen de 1,1 μm versus 2,6 µm pour les dispositifs classiques). Des études cliniques par scintigraphie pulmonaire ont montré que la diminution de taille des particules émises par les aérosols doseurs ou les inhalateurs de poudre réduisait le phénomène d’impaction et de dépôt oropharyngé avec, par exemple pour les CSI tels que la béclométasone ou le ciclésonide, une augmentation du dépôt pulmonaire de 8-20 % à environ 50-70 %, tout en minimisant le dépôt oropharyngé à moins de 30 % de la dose administrée [1]. Cependant, l’amélioration de l’efficacité clinique n’est pas directement corrélée aux résultats de ces études en scintigraphie pulmonaire, réalisées le plus souvent chez des sujets sains et dans des conditions optimales d’administration. En effet, une amélioration du même ordre de la fonction respiratoire, voire une meilleure qualité de vie, est obtenue chez des patients asthmatiques avec une dose quotidienne de béclométasone ultrafine diminuée d’un facteur 2,5 par rapport à la dose de CFC-béclométasone classique [1-3]. En revanche, l’augmentation du dépôt pulmonaire étant associée à une augmentation du même ordre (× 2,5) du passage systémique, il n’y a pas d’amélioration objective du rapport bénéfice/risque pour les spécialités de CSI émettant des particules ultrafines [4]. L’utilisation de particules plus fines de bronchodilatateurs ne semble pas associée à une amélioration du VEMS, car le dépôt dans les voies aériennes proximales des particules émises par les aérosols doseurs classiques est suffisant pour une bronchodilatation optimale [5, 6]. Les spécialités inhalées émettant des particules ultrafines pourraient avoir une meilleure efficacité au niveau des voies aériennes distales dont l’exploration reste difficile dans des études cliniques multicentriques et dont la traduction clinique est insuffisamment établie.
Considérations pharmacocinétiques
L’absorption s’effectue par voie digestive pour la fraction de la dose qui s’impacte dans l’oropharynx, et celle qui s’impacte au niveau des voies aériennes proximales et qui est secondairement drainée au niveau de l’oropharynx par la clairance mucociliaire, voire pour celle déglutie par jetage postérieur à partir des fosses nasales dans le cas d’une nébulisation avec masque bucconasal. Cette absorption est donc dépendante de la biodisponibilité par voie orale. Les données disponibles sont partielles pour les bronchodilatateurs, certaines molécules comme le salbutamol étant connues pour subir un effet de premier passage hépatique important (et donc une biodisponibilité faible) quand d’autres, comme le tiotropium, ont une biodisponibilité comprise entre 10 et 15 % [7]. Concernant les CSI, leur biodisponibilité orale reste faible : les molécules comme le ciclésonide, le furoate de mométasone ou le propionate de fluticasone ont des biodisponibilités < 1 % par cette voie, alors que le budésonide ou le dipropionate de béclométasone atteignent des valeurs comprises entre 11 et 41 % [8]. Cependant, la biodisponibilité par voie orale participe de façon marginale à la biodisponibilité des médicaments par voie inhalée en regard de l’absorption par voie pulmonaire. Pour les médicaments qui ne sont pas absorbés par voie digestive ou qui subissent un effet de premier passage hépatique complet, les concentrations sanguines, voire urinaires (en cas d’élimination essentiellement rénale sous forme inchangée), sont le reflet direct de la dose déposée au niveau pulmonaire. Pour les médicaments inhalés qui sont absorbés par voie digestive, leur absorption intestinale peut être bloquée par une administration orale préalable de charbon activé. Dans ce cas, les concentrations plasmatiques seront directement proportionnelles à l’absorption au niveau des voies aériennes. Pour certains médicaments (exemples : salbutamol, terbutaline), le passage systémique est beaucoup plus rapide par voie pulmonaire que par voie digestive. Ainsi, la mesure des concentrations plasmatiques pendant les 20 à 30 minutes qui suivent le début de l’inhalation est directement proportionnelle au dépôt pulmonaire puisque l’absorption par voie intestinale peut être considérée comme négligeable pendant cet espace-temps. L’élément clé du raisonnement pharmacocinétique appliqué à l’estimation du dépôt pulmonaire est la dose résorbée qui correspond à la fraction du médicament atteignant la circulation systémique [9]. Les propriétés physicochimiques intrinsèques comme la lipophilie, la solubilité ou la capacité de liaison aux acides gras intracellulaires sont des déterminants du temps de résidence pulmonaire. Tous les glucocorticoïdes sont lipophiles, les formes actives les plus lipophiles étant le propionate ou le furoate de fluticasone, le furoate de mométasone et le des-ciclésonide (des-CIC, forme active du ciclésonide). Leur capacité de liaison aux acides gras dépend principalement de la présence d’un groupe hydroxyle en position 21 sur la structure chimique (budésonide, ciclésonide, triamcinolone). La conjugaison aux acides gras intracellulaires est réversible sous l’action de lipases ; elle permet la libération progressive des glucocorticoïdes pour une action locale prolongée. L’affinité des molécules pour leur récepteur intracellulaire est un déterminant, non seulement du temps de résidence pulmonaire, mais aussi de l’efficacité anti-inflammatoire et de la durée d’action. Plus l’affinité pour ce récepteur est grande et plus l’effet anti-inflammatoire s’exprimera pleinement pour de faibles concentrations de glucocorticoïdes. Dans le cas des CSI, l’affinité relative des différentes molécules pour le récepteur glucocorticoïde, comparativement à celle de la dexaméthasone arbitrairement fixée à 100, s’étend d’un extrême à l’autre (12 pour le ciclésonide, 53 pour la béclométasone, 180 pour le flunisolide, 935 pour le budésonide, 1 200 pour le des-CIC, 1 800 pour le propionate de fluticasone et 2 300 pour le furoate de mométasone). Cette affinité de liaison, bien que partiellement impliquée dans le temps de résidence pulmonaire, est corrélée avec le temps nécessaire à l’élimination des molécules de l’organisme, évaluée par la demi-vie d’élimination plasmatique (0,36 h pour le ciclésonide, 0,5 h pour la béclométasone, 1,3 h pour le flunisolide, 2,8 h pour le budésonide, 3,4 h pour le des-CIC, 7-8 h pour le propionate de fluticasone et 5,8 h pour le furoate de mométasone) [8]. En pratique clinique, ces différentes caractéristiques physicochimiques et pharmacologiques n’ont pas d’intérêt dans le choix d’une spécialité inhalée, mais peuvent contribuer à expliquer les posologies unitaires et le rythme d’administration. Ainsi, le traitement de l’asthme comprend habituellement des prises unitaires quotidiennes (ciclésonide, mométasone, furoate de fluticasone) ou biquotidiennes (béclométasone, budésonide, propionate de fluticasone). À posologie quotidienne adaptée à la sévérité de l’asthme, toutes les spécialités inhalées de CSI ont globalement la même efficacité clinique, sous réserve d’une bonne observance et de l’absence d’erreurs critiques dans la technique d’inhalation [10].
Concernant les bronchodilatateurs de la classe des agonistes des récepteurs β2-adrénergiques, la nature des interactions directes entre les ligands et leurs récepteurs membranaires n’explique pas, à elle seule, le délai et la durée d’action [11], qui nécessitent le recours à des modèles pharmacodynamiques faisant appel aux notions d’agonistes complets ou partiels, d’antagonisme fonctionnel, de désensibilisation pour certaines activités non bronchodilatatrices et de conformation active du récepteur, notions qui ne sont pas cliniquement pertinentes pour la prescription de ces molécules. Ainsi, l’efficacité clinique et la durée d’action semblent similaires pour le formotérol et le salmétérol, 2 agonistes à longue durée d’action (12 h), bien que la rapidité de l’effet bronchodilatateur soit supérieure pour le formotérol et qu’il existe une relation dose-effet pour ce dernier, non observée avec le salmétérol [12]. Les antagonistes des récepteurs muscariniques exercent aussi leurs effets sur ces cibles membranaires et la durée de liaison aux récepteurs muscariniques M3 est associée à la durée de leur efficacité clinique [13]. Les molécules pour lesquelles la dissociation des récepteurs s’effectue rapidement ont une durée d’action courte et sont réservées au traitement symptomatique quotidien, parfois en association avec un agoniste β2-adrénergique d’action rapide, ou aux exacerbations d’asthme ou de BPCO (ipratropium, demi-vie de dissociation du récepteur M3 = 0,22 h). Les molécules se dissociant plus lentement sont utilisées en traitement de fond de la BPCO ou de l’asthme, associées ou non à un β2-adrénergique d’action longue. Citons par exemple le glycopyrronium (demi-vie de dissociation du récepteur M3 = 6,1 h) et le tiotropium (27 h). Ces médicaments sont administrés en 1 ou 2 prises par jour [14].
Bien qu’expliquant en partie les effets cliniques de ces molécules, il n’en demeure pas moins que la pharmacocinétique sanguine des médicaments inhalés est d’interprétation complexe et un reflet indirect du dépôt pulmonaire, de la concentration pulmonaire et des risques d’effets indésirables systémiques liés au passage sanguin. Très peu de données sont disponibles sur la cinétique tissulaire après inhalation chez l’homme, car elle nécessite de mesurer les concentrations pulmonaires sur des pièces opératoires de lobectomie ou de pneumonectomie chez des patients ayant reçu une administration du médicament par voie inhalée avant l’intervention chirurgicale. Les concentrations tissulaires, mesurées séparément sur les bronches proximales et distales, permettent logiquement d’estimer l’activité des médicaments dans différentes zones pulmonaires en fonction des données d’affinité pour leurs cibles (récepteur, enzyme, etc.) ou des concentrations efficaces in vitro. Les nouveaux développements méthodologiques, et en particulier ceux des modèles prédictifs fondés sur la physiologie (PBPK models), qui intègrent notamment les données physicochimiques des molécules (lipophilie, solubilité, constante d’ionisation, etc.), les propriétés des formes galéniques, ainsi que les connaissances antérieures disponibles dans les modèles précliniques (voies métaboliques, distribution chez l’animal, etc.), pourraient permettre, grâce à leur approche plus mécanistique, de lever certains verrous et améliorer la compréhension de la pharmacocinétique et de la relation pharmacocinétique-pharmacodynamie (PK-PD) au niveau tissulaire de ces classes thérapeutiques [15].
Hybrides, bioéquivalence et substitution des médicaments inhalés
En France, une spécialité princeps peut être substituée à l’initiative du pharmacien, et dans une même indication, par un médicament générique. Pour les médicaments inhalés à visée pulmonaire, la pharmacocinétique sanguine n’est pas suffisante pour établir une équivalence thérapeutique. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater le très haut niveau d’exigence de l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour établir l’équivalence thérapeutique d’une nouvelle spécialité inhalée par rapport à une spécialité déjà commercialisée, notamment pour permettre la substitution au moment de la délivrance par le pharmacien. Ainsi, l’équivalence thérapeutique pouvant conduire à une autorisation de substitution nécessite de respecter 9 critères très précis, en particulier l’identité du principe actif et un système d’inhalation identique, voire réellement similaire (maniement, résistance, etc.) avec une distribution identique de la taille des particules émises. Il existe des groupes génériques pour le formotérol en poudre pour inhalation en gélule, l’association salmétérol et propionate de fluticasone en aérosol doseur et le salbutamol pour inhalation par nébuliseur. Si un seul de ces 9 critères n’est pas validé, une ou plusieurs études cliniques sont nécessaires, notamment de pharmacocinétique plasmatique [16], voire des études de PK-PD de réalisation et d’interprétation souvent complexes [14] pour que la spécialité soit alors enregistrée comme un hybride de la spécialité de référence. Les situations dans lesquelles la substitution peut être réalisée par le pharmacien au sein d’un groupe hybride, ainsi que les situations pour lesquelles le prescripteur peut exclure le remplacement d’un médicament par son hybride, ont été précisées dans 2 arrêtés du 31 janvier 2023 publiés au Journal officiel qui devraient prendre effet dans quelques mois. L’un de ces 2 arrêtés concerne spécifiquement et exclusivement les médicaments pour le traitement des maladies obstructives des voies respiratoires par voie inhalée, en autorisant la substitution au sein des groupes hybrides constitués des médicaments du système adrénergique (ATC R03A) et des autres médicaments inhalés des pathologies obstructives (ATC R03B), y compris les CSI. Ainsi, la prescription d’une spécialité de référence commercialisée en solution pour inhalation en flacon pressurisé pourra être substituée par la délivrance d’une spécialité disposant du même principe actif mais sous la forme d’une poudre ou d’un système autodéclenché (tableau). Néanmoins, les dosages, les manœuvres d’armement des dispositifs, la technique d’inhalation et les systèmes de vérification par le patient diffèrent selon les dispositifs, ce qui peut avoir des conséquences sur le bon usage et l’efficacité du médicament. Malgré cela, les cas où la substitution ne sera pas autorisée seront circonscrits à :
- la prescription d’une spécialité adaptée à l’administration chez l’enfant de moins de 6 ans lorsque aucune spécialité du même groupe hybride n’aura une forme galénique adaptée (le prescripteur devra dans ce cas indiquer sur l’ordonnance la mention “non substituable (EFG)”) ;
- la contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire présent dans toutes les spécialités disponibles du même groupe hybride, mais absent de la spécialité de référence correspondante (le prescripteur devra dans ce cas indiquer sur l’ordonnance la mention “non substituable (CIF)”).
L’éducation des patients lors de la dispensation sera l’élément clé du succès thérapeutique de la substitution entre spécialités hybrides, les conséquences de l’observance insuffisante et de la mauvaise utilisation des dispositifs étant d’ores et déjà bien documentées pour les médicaments inhalés [10]. De surcroît, substituer un système d’inhalation à un autre sans avoir obtenu l’approbation du patient, même s’il n’y a pas de différence objective d’efficacité entre les 2 systèmes, équivaut à sous-estimer, non seulement l’importance de l’adhésion du patient à son traitement, mais aussi celle de la relation patient-médecin.
Conclusion
Les données de pharmacocinétique sanguine des spécialités inhalées (bronchodilatateurs et CSI) sont difficiles à collecter en regard des concentrations plasmatiques très faibles, d’interprétation souvent complexe, et sont essentiellement utilisées pour évaluer le dépôt pulmonaire et les risques d’effets indésirables systémiques. ■