Les anticorps monoclonaux thérapeutiques (mAb) ont révolutionné le traitement de nombreuses pathologies chroniques. À l’instar des lymphomes non hodgkiniens et des pathologies inflammatoires chroniques en rhumatologie et en gastro-entérologie, l’asthme sévère a été parmi les premières pathologies considérées comme pouvant bénéficier de l’essor des mAb. Ainsi, le premier mAb chimérique développé à la fin des années 1990 dans l’asthme sévère (CGP 51901) était dirigé contre les immunoglobulines E (IgE), mais il n’a jamais vu le jour. Il a fallu attendre 2003 pour que le premier mAb anti-IgE, l’omalizumab (Xolair®), soit mis sur le marché. Ce fut le seul mAb dans cette indication pendant plus d’une décennie. La seconde moitié de la décennie 2010 a été particulièrement prolifique avec le développement de plusieurs anticorps dirigés contre d’autres cibles thérapeutiques : mépolizumab (Nucala®) et reslizumab (Cinqaero®) contre l’interleukine 5 (IL-5) respectivement en 2015 et 2016, benralizumab (Fasenra®) contre la sous-unité α du récepteur de l’IL-5 (IL-5Rα) et dupilumab (Dupixent®) dirigé contre l’IL-4Rα en 2018, et plus récemment tézépélumab (Tezpire®) contre la lymphopoïétine stromale thymique (TSLP) en 2021. Il existe aujourd’hui 5 mAb indiqués dans l’asthme sévère (tableau I), le reslizumab n’étant actuellement plus commercialisé en France.
Éléments de physiopathologie de l’asthme sévère
Cette partie ne prétend pas décrire la physiopathologie de l’asthme de façon exhaustive, mais présente les principales cibles des mAb aujourd’hui exploitées. L’asthme est une maladie inflammatoire chronique des voies aériennes associant des symptômes respiratoires paroxystiques et une obstruction des voies aériennes d’importance variable. La pathogénie de l’inflammation chronique des voies aériennes, résultant de l’interaction entre les gènes d’un individu et son environnement, fait intervenir un grand nombre de médiateurs immuno-inflammatoires [1]. Parmi les sous-types de réactions inflammatoires, la plus fréquente et la plus connue est caractérisée par une inflammation de type 2, une terminologie qui renvoie à des mécanismes allergiques faisant intervenir la réponse dite “T-helper 2” (figure 1). Ce phénotype est déterminé par une hyper-réactivité de cellules immunitaires principalement lymphocytes Th2, mastocytes et éosinophiles. Au sein du type 2, on distingue les asthmes allergiques et non allergiques.
L’asthme allergique est dû aux réactions d’hypersensibilité immédiate. Un allergène est présenté par une cellule présentatrice de l’antigène (CPA, notamment les cellules dendritiques) aux lymphocytes Th2 de façon spécifique. Les mécanismes non allergiques font intervenir une réaction non spécifique face à une agression de l’épithélium bronchique par des agents environnementaux (polluants, germes) avec sécrétion d’alarmines (IL-25, IL-33, TSLP) destinées à activer les cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2). En réponse à ces stimuli, les lymphocytes Th2 et les ILC2 sécrètent :
- les IL-4 et IL-13, qui participeront à l’activation de la synthèse d’IgE par les plasmocytes (susceptibles d’activer et de dégranuler les mastocytes), à l’activation et au remodelage de l’épithélium bronchique et à une stimulation de la sécrétion de mucus ;
- l’IL-5 qui, se fixant sur l’IL-5R exprimé par les éosinophiles, sera impliquée dans l’activation des éosinophiles et l’apparition des lésions de l’épithélium bronchique qui en découlent.
Cibles et mécanisme d’action des anticorps monoclonaux dans l’asthme sévère
Les cibles thérapeutiques potentielles dans l’asthme sont ainsi nombreuses (figure 1) et font l’objet de recherches intenses. Aujourd’hui, seules certaines d’entre elles sont ciblées par des mAb, qui ont tous été jugés comme ayant un service médical rendu (SMR) important et une amélioration mineure du service médical rendu (ASMR IV) (tableau I).
Ainsi, l’omalizumab agit sur le versant allergique de l’asthme de type 2. Il neutralise les IgE circulantes et les empêche de se fixer sur leurs récepteurs (FcεRI) exprimés à la surface des cellules immuno-inflammatoires (mastocytes). Il a montré une bonne efficacité dans le contrôle de l’asthme persistant sévère d’origine allergique, ainsi que dans d’autres manifestations allergiques (notamment l’urticaire chronique spontané). A contrario, le tézépélumab cible l’alarmine TSLP et permet de bloquer en amont la cascade non allergique de l’asthme. Agissant sur le versant non allergique de l’asthme, son efficacité ne se limiterait donc pas au type 2 [2].
Plusieurs anticorps ciblent la voie de l’IL-5 et permettent une diminution des symptômes et du nombre de crises. Le mépolizumab et le reslizumab neutralisent l’IL-5, alors que le benralizumab bloque l’IL-5Rα. Ce dernier a bénéficié d’une modification de sa portion Fc (afucosylation) qui augmente sa capacité à détruire les cellules cibles par cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) grâce au recrutement des cellules natural killer (NK) notamment, entraînant donc une forte déplétion des éosinophiles circulants [2].
N’ayant pas d’effet significatif sur les éosinophiles, le dupilumab, IgG4 non cytotoxique, se fixe sur la sous-unité IL-4Rα, commune aux récepteurs de l’IL-4 et de l’IL-13, exprimée par l’épithélium bronchique lors des réactions immuno-inflammatoires de type 2. Il bloque la signalisation conjointe IL-4/IL-13. Il est de plus indiqué dans le traitement d’autres manifestations immuno-inflammatoires de type 2, notamment les dermatites atopiques. Pour traiter l’asthme de type 2, il semble nécessaire de bloquer conjointement les voies IL-4 et IL-13. En effet, des anticorps monoclonaux neutralisant l’IL-13 seule (lébrikizumab, anrukinzumab, tralokinumab) ou l’IL-4 seule (pascolizumab) se sont montrés décevants dans le traitement de l’asthme sévère et ont vu leur développement arrêté dans cette indication. Enfin, des anticorps monoclonaux ciblant l’IL-33 (itépékimab, étokimab) ou son récepteur (melrilimab) semblent prometteurs et sont actuellement en développement [2].
Si l’omalizumab, le mépolizumab et le reslizumab ont montré des profils d’efficacité et de sécurité similaires [2, 3], le dupilumab et le tézépélumab pourraient avoir une efficacité légèrement supérieure aux précédents dans les asthmes éosinophiliques sévères [3, 4]. De nouvelles études sont toutefois nécessaires pour confirmer la place respective de chacun de ces mAb dans l’arsenal thérapeutique, notamment des études comparatives.
Pharmacocinétique des anticorps monoclonaux dans l’asthme allergique
Les mAb développés dans l’asthme de type 2 ont tous vu leur pharmacocinétique décrite à l’aide de modèles non linéaires à effets mixtes (approche de population). Des modèles bicompartimentaux ont été utilisés pour tous, sauf l’omalizumab, pour lequel la pharmacocinétique de la forme libre fut décrite à l’aide d’un modèle monocompartimental (tableau II). Seuls l’omalizumab [5] et le dupilumab [6] ont une décroissance des concentrations terminale non linéaire, ce qui traduit une influence considérable de l’antigène cible sur leur pharmacocinétique. Cependant, la faible demi-vie d’élimination du benralizumab (14 jours) comparée aux autres mAb (25-28 jours pour le tézépélumab par exemple [7]), fait suspecter une élimination médiée par la cible, même si aucune non-linéarité de son élimination n’a été rapportée [8].
Même s’il s’agit du mAb le plus ancien, l’omalizumab a été l’objet de l’analyse pharmacocinétique la plus élaborée. Les cinétiques conjointes de l’omalizumab et des IgE libres (cibles) et totales (complexe omalizumab-IgE) ont été décrites à l’aide d’un modèle pharmacocinétique d’élimination médiée par l’antigène cible [5] (target-mediated drug disposition, TMDD) incluant l’approximation de quasi-équilibre . Notons que l’omalizumab est à ce jour le seul anticorps dont la dose initiale dépend de la quantité d’antigène cible : une dose d’environ 30 μg/kg/UI/mL d’IgE initiale, administrée par voie sous-cutanée toutes les 4 semaines, ou 15 μg/kg/UI/mL d’IgE toutes les 2 semaines chez les patients nécessitant les doses les plus élevées. L’élimination médiée par la cible du dupilumab a été décrite par le modèle de Michaelis-Menten, forte simplification des modèles TMDD . La non-linéarité induite par les cibles de l’omalizumab et du dupilumab est cependant peu intense comparée à celle d’autres mAb tels que le cétuximab (anti-EGFR) ou le tocilizumab (anti-IL-6R) [8].
Relation concentration-effet et modélisation pharmacocinétique-pharmacodynamie (PK-PD)
La description de la relation concentration-réponse par modélisation PK-PD permet de faire le lien entre la pharmacocinétique du mAb et son efficacité. La multiplicité des stratégies de modélisation résulte essentiellement de la métrique utilisée pour décrire l’efficacité. Il peut s’agir d’une variable binaire ou discrète (exemple : réponse/non-réponse), d’un délai d’apparition d’un événement (exemple : rechute ou décès) ou du niveau d’un biomarqueur (exemple : concentration de la cible, numération cellulaire).
Dans le cadre des mAb indiqués dans l’asthme sévère, les métriques utilisées sont la concentration d’IgE avant traitement, la numération des éosinophiles, le taux d’exacerbations asthmatiques (asthma exacerbation rate, AER), le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS), la fraction expirée de monoxyde d’azote (FeNO), et un questionnaire de contrôle de l’asthme (Asthma Control Questionnaire, ACQ).
L’omalizumab a la particularité d’avoir bénéficié d’un développement pharmacocinétique et PK-PD entièrement fondé sur la modélisation TMDD. Pour l’omalizumab, le modèle TMDD renvoie à un modèle PK-PD dans la mesure où l’antigène cible (IgE) est également le biomarqueur d’efficacité, ce qui est exceptionnel dans le domaine des mAb. Le modèle suggère qu’une concentration d’environ 20 mg/L d’anticorps serait suffisante pour diviser la concentration initiale d’IgE par 10 [5].
La description de l’influence des concentrations sur les métriques FeNO, VEMS, AER et ACQ sont des modèles dits “directs” ou “Emax” (figure 2). Ces modèles permettent de décrire un lien direct entre les concentrations et l’effet lorsque celui-ci est mesuré à l’aide d’une métrique continue. Le paramètre caractéristique à estimer est la concentration induisant 50 % de l’efficacité maximale (notée C50). La C90, concentration induisant 90 % de l’efficacité maximale (effet “quasi maximal”), correspond à la C50 multipliée par environ 10. Les valeurs estimées de la C50 sont similaires pour tous les mAb, car comprises entre 1,7 et 2,9 mg/L, ce qui porte la C90 à environ 20-30 mg/L, une valeur semblable à ce qui est rapporté pour l’omalizumab (cf. supra). À noter que les auteurs ont montré que certains modèles Emax dérivent du mécanisme de “temps-dépendance”, après avoir estimé le délai pendant lequel les concentrations sont supérieures à une valeur induisant 50 % de l’effet (noté T50). D’un mAb à l’autre, les valeurs de T50 sont variables, comprises entre 3 et 13 jours (tableau II).
L’influence de la pharmacocinétique sur la numération des éosinophiles sanguins au cours du temps a été évaluée pour les 3 anticorps ciblant la voie de l’IL-5 (benralizumab [9], mépolizumab [10], reslizumab [11]) à l’aide de modèles indirects.Ces modèles décrivent un renouvellement (turnover) de la métrique d’effet (souvent un biomarqueur ou un score d’activité clinicobiologique) en supposant que la concentration du mAb module la production ou la destruction du score biomarqueur. Les anticorps dirigés contre l’IL-5 sont ainsi supposés inhiber la production des éosinophiles, voire les éliminer dans le cas du benralizumab (figure 2). Les valeurs de C50 (et de C90) seront interprétées comme les concentrations induisant 50 % (et 90 %) de la diminution de la production des éosinophiles (et donc une diminution de 50 % de leur numération à l’état stationnaire).
L’utilisation de la numération des éosinophiles est intéressante à 2 titres :
- la déplétion de la numération fait partie intégrante du mécanisme d’action de ces mAb ;
- cette numération est prédictive de la sévérité de la maladie, aussi bien pour la fréquence que pour l’amplitude des crises [12].
Les mAb anti-IL-5 ont des C50 proches de 1 mg/L, avec des valeurs de C90 de 8 à 15 mg/L, tandis que la C50 du benralizumab (anti-IL-5Rα) est 10 fois plus faible. La puissance du benralizumab est sans doute due à ses propriétés cytotoxiques directes par ADCC et lui permet d’être administré à une posologie plus faible que les autres mAb, malgré une demi-vie plus courte. Toutefois, la comparaison des C50 doit être considérée avec une grande prudence, car les modèles PK-PD utilisés sont différents (tableau II).
Conclusion
Aujourd’hui, 6 mAb ont obtenu une AMM pour le traitement de l’asthme sévère et 5 sont encore disponibles en France. Relativement récents, chacun a fait l’objet d’un développement pharmacocinétique et PK-PD rigoureux. Ils ont des profils d’efficacité et de sécurité similaires, même si le recul est faible pour le plus récent d’entre eux (tézépélumab). Une vigilance particulière pour le respect des posologies, telles que mentionnées dans le RCP, doit avoir lieu pour l’omalizumab et le dupilumab en raison de leur élimination terminale non linéaire. ■