La vape est un produit de consommation courante efficace pour délivrer de la nicotine
L'e-cigarette ou vape est l'outil le plus utilisé [1] pour délivrer de la nicotine de qualité pharmaceutique de façon régulière dans la circulation sanguine. Il a été mesuré par l'équipe de N.L. Benowitz que 94 % de la nicotine du e-liquide vaporisée est délivrée à l'organisme via le poumon [2]. L'efficience des patchs est plus proche de 30 % (les patchs qui annoncent délivrer 21 mg en contiennent 2 à 5 fois plus selon la marque. À titre d'exemple, un patch Niquitin® 21 mg/24 h contient 114 mg de nicotine). Une cigarette contient environ 12 mg de nicotine, mais elle n'en délivre que 1 à 2 mg, soit 15 % de la nicotine contenue, le reste de la nicotine partant dans l'environnement. Donc, en vapotant 1,2 mL d'un e-liquide contenant 19 mg/mL de nicotine, l'usager recevra environ 21 mg de nicotine – comme avec un patch à 21 mg/24 h ou une douzaine de gommes à 2 mg de nicotine. Ainsi, la dose de nicotine nécessaire à la saturation des récepteurs nicotiniques du fumeur dépendant tout au long de la journée peut être délivrée aussi bien par la vape que par les substituts nicotiniques ou le tabac. Si la dose quotidienne de nicotine délivrée est analogue à celle de ces différentes sources de nicotine, la cinétique de délivrance de la nicotine est, quant à elle, différente. Délivrée de façon irrégulière dans le sang à chaque cigarette fumée, la nicotine va provoquer des pics ou shoots, dépassant le niveau de saturation des récepteurs durant un temps court à chaque cigarette, ce qui induit une désensibilisation des récepteurs et une augmentation de leur nombre, entretenant la dépendance nicotinique. Délivrer la nicotine de façon régulière tout au long de la journée avec les substituts nicotiniques ou la vape va également supprimer le manque de nicotine mais, contrairement à la cigarette, ne stimulera pas la multiplication des récepteurs. Chez la grande majorité des fumeurs, cet apport permettra une baisse des besoins de nicotine. Le nombre de récepteurs diminue d'un tiers par mois selon les notices des patchs qui conseillent le plus souvent 4 semaines 21 mg/j, puis 14 mg, puis 7 mg. Cette baisse est souvent similaire avec les e-liquides de l'e-cigarette dès que plus aucune cigarette n'est fumée. Ainsi, chez un fumeur, l'apport régulier de nicotine sans shoot contribue fortement à la décroissance de la dépendance et supprime habituellement le manque et son cortège d'effets indésirables lors de l'arrêt du tabac : irritabilité, boulimie, prise de poids. À noter cependant qu'un petit nombre de fumeurs (10-20 %) gardent un besoin de nicotine inchangé à l'arrêt du tabac et continuent à prendre des gommes à la nicotine ou des fortes concentrations de nicotine dans la vape durant des mois, voire des années. Ce petit groupe d'ex-fumeurs sont particulièrement à risque de rechute tabagique s'ils sont découragés de garder à long terme cet apport de nicotine par la vape.
La différence de cinétique de délivrance de la nicotine explique les effets opposés des produits sur la dépendance
La vape comme les substituts nicotiniques en patchs ou formes orales ont ainsi un effet opposé à celui de la cigarette ou du tabac chauffé (IQOS, I quit ordinary smoking) qui créent la dépendance. Notons qu'en cas d'utilisation mixte tabac fumé + nicotine non fumée, même avec la consommation d'une seule cigarette par jour, l'effet global est celui du maintien ou du renforcement de la dépendance. L'objectif est l'arrêt total de la cigarette dès que l'apport de nicotine non fumée est suffisant.
Il faut également noter que, bien que beaucoup moins addictif que la cigarette, les substituts nicotiniques ou la vape doivent être formellement déconseillés par les médecins chez un patient qui n'a jamais fumé, car ils induisent une tolérance à la nicotine qui fait le lit d'une éventuelle initiation de la dépendance nicotinique. Le fait que moins de 1 % des vapoteurs en Europe soient des personnes n'ayant jamais fumé est cependant très rassurant. Ainsi, à dose quotidienne de nicotine délivrée identique, la vape comme les médicaments d'arrêt ont un effet inverse sur la dépendance à celui de la cigarette ou du tabac chauffé. La crainte de prendre plus de nicotine avec ces produits qu'avec les produits du tabac est alimentée par de rares publications expérimentales aux protocoles éloignés de la réalité de la consommation. Ces études obligent le fumeur ou l'ancien fumeur à consommer plus de nicotine que de besoin, alors qu'en vie réelle ce n'est pas le cas, même s'il peut arriver qu'en soirée sa bouche devienne pâteuse (comme un enfant voulant finir sa première cigarette), son corps l'invite à réduire la dose de nicotine.
Vape et risque respiratoire
Fumer du tabac est responsable d'atteintes respiratoires par :
- augmentation du taux de monoxyde de carbone (CO) qui se fixe sur l'hémoglobine, diminuant le transport d'oxygène, et sur la myoglobine de tous les muscles (y compris les muscles respiratoires), dont il diminue les performances par anoxie. La vape n'émet pas de CO et l'hémoglobine est disponible en 24 heures pour transporter l'oxygène ;
- effet pro-inflammatoire. La vape n'a quasiment pas d'effet pro-inflammatoire systémique et a des effets très inférieurs à la fumée du tabac sur les voies respiratoires. Si le tabac provoque une détérioration de la paroi des bronches et la destruction du système alvéolaire conduisant à la BPCO, l'emphysème et l'insuffisance respiratoire chez le fumeur, l'atteinte apparaît bien moindre avec la vape, voire inexistante ;
- effet local mutagène et cancérogène puissant qui n'existe pas ou très peu avec la vape (un effet de la nicotine est discuté que ce soit avec la vape ou avec la substitution nicotinique mais, s'il existe chez l'homme, ce risque est infime), alors que la fumée du tabac est la cause directe de l'immense majorité des cancers bronchopulmonaires.
Mais le plus important est que le remplacement du tabac par des substituts nicotiniques ou la vape s'accompagne en quelques semaines ou moins d'une diminution importante, voire d'une disparition de la dose de nicotine prise et donc de la disparition de cet effet. Tout fumeur dépendant qui craint les conséquences du tabagisme doit absolument rejeter la cigarette et choisir rapidement de quitter le tabac en passant pour un temps à la nicotine non fumée.
L'accompagnement par l'équipe médicale et soignante
Médecins et soignants doivent accompagner la vape [3] : encourager, et s'ils en ont les compétences, accompagner ceux qui arrêtent seuls avec la vape en n'ayant surtout aucun mot qui puisse faire retourner au tabagisme ; aider ceux qui, bien que vapotant, gardent quelques cigarettes en associant des substituts nicotiniques ou en les conseillant pour augmenter les concentrations de nicotine des e-liquides, en passant au besoin sous sels de nicotine qui permettent de tolérer les concentrations de nicotine nécessaires qui entraînent la toux avec les e-liquides standard ; ne pas hésiter à conseiller la vape en plus de la substitution nicotinique ou traitement par la varénicline si le manque de nicotine n'est pas comblé et que le besoin persiste ; ne pas pousser les vapoteurs à réduire les concentrations de nicotine sans respecter leurs besoins quotidiens en nicotine.
Ainsi, la vape – qui n'est pas un médicament mais un produit de consommation courante –, doit être vue avec intérêt, car même sans aide médicale, elle aide les fumeurs à sortir du tabac avec un niveau de sécurité voisin de celui des médicaments du sevrage tabagique. Mais la vape peut aussi être associée aux médicaments d'arrêt dans le cadre d'un protocole de soins.