Aucun pédiatre n’ignore que le virus respiratoire syncytial (VRS) est le principal responsable des épidémies annuelles de bronchiolites qui déséquilibrent le fonctionnement des urgences, des services de pédiatrie, ainsi que celui des consultations pédiatriques ambulatoires. Il s’agit, et de loin, de la première cause d’hospitalisation en pédiatrie : selon les années, 30 000 à 40 000 enfants sont hospitalisés pour bronchiolite. Si l’intensité de l’épidémie reste toujours importante, la pédiatrie se retrouve certaines années au bord de l’asphyxie, avec de jeunes patients transférés à des dizaines de kilomètres de leur domicile. L’épidémie ne touchant pas en même temps toutes les régions de France, cela restait en partie possible, mais la saison 2022-2023, du fait de la dette immunitaire, a été confrontée à une épidémie plus précoce, plus intense, plus prolongée, qui a touché sur une longue période toutes les régions (figure, voir sur le PDF). On a frôlé la catastrophe, et cette situation a certainement contribué à la prise de conscience, par les autorités de santé, de l’état de délabrement des urgences et des services de la pédiatrie, ce qui a donné lieu aux Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant. Il n’est pas acceptable que ce type de situation se reproduise. La mise à disposition dès le 15 septembre 2023 du nirsévimab, premier anticorps monoclonal à forte affinité et longue demi-vie dirigé contre le VRS, est susceptible de changer la donne. En effet, une première étude (MELODY) publiée dans le New England Journal of Medicine [1] ayant inclus près de 1 500 nouveau-nés retrouve une efficacité de 74,5 % (IC95 : 49,6-87,1 ; p < 0,001) sur les infections respiratoires basses à VRS dans les 6 mois suivant l’injection.
Les résultats préliminaires d’une deuxième étude (HARMONIE) réalisée dans 3 pays européens (Angleterre, France, Allemagne) et ayant enrôlé plus de 8 000 enfants lors de la saison 2022-2023 après la levée des mesures d’hygiène imposées liées à la pandémie de Covid-19 et dans lesquels l’épidémie due au VRS avait été particulièrement marquée confirment complétement le niveau d’efficacité du nirsévimab : les hospitalisations sont réduites de 83,21 % pour les bronchiolites à VRS, et de 58,04 % pour l’ensemble des infections respiratoires pendant la saison du VRS (IC95 : 39,7-72).
Depuis le 15 septembre 2023, le nirsévimab est disponible en France et complètement pris en charge par l’État sans avance de frais.
Si une proportion significative de nouveau-nés et nourrissons de moins de 6 mois reçoivent cette immunisation, il est hautement probable que cela diminuera de façon très significative la pression sur les hospitalisations et les soins non programmés en pédiatrie durant la période hivernale.
Qui doit être immunisé ?
- Tous les nourrissons nés depuis la fin de la dernière saison épidémique, soit officiellement nés après le 6 février 2023.
- Tous les enfants nés durant la période épidémique. En pratique, dès que le médicament est disponible, si possible en maternité.
- Les prématurés, quel que soit leur terme, et les nourrissons vulnérables avec comorbidités, telles que définies par la HAS.
- Tous les enfants de moins de 6 mois au début de la saison VRS (habituellement octobre-novembre).
L’effet préventif du nirsévimab est démontré uniquement pour les bronchiolites à VRS sévères, qui, le plus souvent, donnent lieu à une hospitalisation. Cependant, les manifestations cliniques induites par l’infection à VRS chez l’enfant sont loin de se limiter aux bronchiolites. Bien plus souvent, les enfants ne présentent qu’une rhinopharyngite ou une otite, des bronchites, des pneumonies… De plus, des études suggèrent que les bronchiolites à VRS précoces favoriseraient la survenue ultérieure d’asthme. Mais le concept le plus récent et le plus intéressant est le rôle de l’infection à VRS dans les infections à pneumocoques. Plusieurs études suggèrent qu’une part importante (30 à 60 %) des infections invasives à pneumocoques sont attribuables à une infection à VRS préalable, en particulier chez le petit nourrisson [2, 3]. On ne connaît pas encore l’impact du nirsévimab sur l’ensemble de ces pathologies.
D’autres données concernant le VRS sont importantes à prendre en compte [4, 5].
Le VRS est un petit virus à ARN monocaténaire enveloppé comportant au moins 2 sous-types A et B. À l’intérieur de ces 2 sous-types, des souches présentant des mutations sont fréquentes et peuvent devenir prédominantes d’une année sur l’autre, d’une région à l’autre. D’une façon générale, ces souches restent globalement sensibles à l’immunité induite par une infection précédente, par la vaccination ou par les anticorps monoclonaux. Parmi les protéines exprimées par le virus, 2 d’entre elles jouent un rôle important :
- la protéine G, qui permet l’adhésion aux cellules respiratoires ;
- la protéine F (de fusion) qui se présente sous 2 formes : préfusionnelle ou post-fusionnelle.
C’est cette protéine F, dans sa forme préfusionnelle, qui est la cible des anticorps monoclonaux ou des vaccins disponibles ou en cours de développement.
L’immunité induite par l’infection ne dure pas et des réinfections surviennent tout au long de la vie, généralement sous des formes moins graves. À l’exception du sujet âgé, chez lequel le VRS redevient une cause de morbidité et de mortalité importante, comparable à la grippe ou au pneumocoque suscitant aussi le développement de vaccins pour les seniors [6].
Depuis longtemps, on observe que les épidémies de bronchiolite surviennent chaque année à la même période dans une même région. Cette période correspond généralement au moment où le taux d’anticorps maternel anti-VRS (mesuré sur le sang du cordon) est le plus faible. On sait aussi que plus le taux d’anticorps maternel est faible, plus le nouveau-né ou le jeune nourrisson risque une forme grave de la maladie, et donc une hospitalisation. Ce rôle des anticorps maternels a été souligné par l’intensité de l’épidémie de VRS après la levée des mesures liées à la crise de Covid-19 en 2022, qui était corrélée à des taux d’anticorps maternels très bas [7].
Ces épidémies de VRS, dont on connaît parfaitement les périodes de survenue, leur intensité ainsi que le chaos qu’elles provoquent au sein de l’ensemble de la filière de pédiatrie, méritent que l’on mette en place des mesures de prévention pour les sujets qui payent le plus lourd tribut, c’est-à-dire les petits nourrissons et les sujets âgés. Bien entendu, les mesures d’hygiène “respiratoires” telles qu’elles ont été appliquées aux phases les plus aiguës de la pandémie de Covid-19 ont une efficacité certaine. Ces mesures sont aussi nécessaires lors de la phase aiguë de l’épidémie de VRS pour protéger les plus fragiles contre les formes graves : hygiène des mains, évitement des milieux fermés très fréquentés, port du masque autour des plus fragiles…