Éditorial

Concept de rémission dans l’asthme : un entretien avec le Pr Marc Humbert


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En 2014, nous éditions ensemble dans La Lettre du Pneumologue un numéro spécial consacré à la rémission, inspiré par nos collègues rhumatologues qui avaient développé ce concept avec beaucoup de succès dans la polyarthrite rhumatoïde. Aujourd’hui, presque 10 ans plus tard, il n’y a plus une session dédiée à l’asthme où l’on ne parle pas de rémission. Qu’avons-nous donc appris durant cette période ?

Le concept de rémission de l’asthme et le développement des biothérapies nous offrent l’opportunité de souligner qu’une révolution est bel et bien en marche pour nos patients. Nous savons maintenant que maîtriser l’inflammation est possible et que cela peut transformer le présent et l’avenir des asthmatiques. Nous avons appris à bien définir ce que l’on entendait par rémission et ainsi à mieux cerner quels étaient les critères de suivi les plus utiles pour décrire la trajectoire de la maladie asthmatique. Simultanément, nous avons développé de façon pragmatique le phénotypage de nos patients, ce qui permet une médecine de précision, aujourd’hui couronnée de succès. C’est un message d’espoir pour les patients, les aidants et les soignants.

Aujourd’hui, comment définir raisonnablement la rémission ?

Tous les pneumologues qui prennent en charge des asthmatiques sévères rapportent des expériences relativement inédites de patients décrivant “ne plus avoir d’asthme” ou “avoir oublié qu’ils étaient asthmatiques”. On a parlé initialement de “super-réponse”, mais la rémission mérite une définition plus précise que ce terme accrocheur. Elle serait associée au maintien d’une excellente réponse sur une durée prolongée, sans doute d’au moins 1 année. Pendant cette période, on souhaite qu’il n’y ait que peu ou pas de symptômes d’asthme, mais de manière beaucoup plus pertinente pour l’avenir, qu’il n’y ait plus d’exacerbations et que la fonction respiratoire soit maintenue dans des valeurs optimales (valeurs normales ou les meilleures possibles) sans aucun recours aux corticoïdes systémiques. On comprend mieux aujourd’hui, là aussi grâce à l’expérience partagée avec nos collègues rhumatologues, le poids immense que représentent les corticoïdes systémiques dans le fardeau de l’asthme (tableau).

Ces objectifs sont-ils réellement atteignables ?

Quand on évalue les critères d’efficacité d’un traitement de l’asthme, on s’aperçoit qu’environ 30 à 40 % des patients recevant une biothérapie remplissent les critères de rémission après 1 à 2 ans. Il est toujours fascinant de constater que ces critères de rémission peuvent aussi être atteints dans le bras placebo de certaines études, soulignant l’importance de l’observance chez les asthmatiques. En effet, on peut raisonnablement penser que les patients parfaitement contrôlés et remplissant tous les critères de la rémission dans le bras placebo de ces études bénéficiaient d’un traitement inhalé parfaitement observé et d’un suivi optimal. Ainsi, la régularité du traitement et sa qualité d’administration sont sans doute des éléments à prendre en compte dans la rémission.

Les comorbidités doivent-elles intégrer la définition de la rémission ?

Pour reprendre l’exemple de la polyarthrite rhumatoïde, il semble légitime de considérer toutes les pathologies ou comorbidités s’inscrivant dans le même continuum pathologique. On peut envisager que les comorbidités partageant le même mécanisme physiopathologique que l’asthme puissent être intégrées effectivement à cette définition. Et on pense instantanément à la plus fréquente d’entre elles, la rhinosinusite chronique avec ou sans polypose nasosinusienne. On pourrait ainsi parler de rémission des manifestations cliniques de l’inflammation de type 2.

Au-delà de l’espoir et de l’ambition, à quoi peut bien servir en routine clinique le concept de rémission ?

Si elle peut être mesurée de façon précise et reproductible, la rémission peut représenter un outil utile en recherche clinique pour comparer probablement de manière indirecte les différentes options thérapeutiques à notre disposition en fonction des biomarqueurs prédictifs, notamment lorsque des patients sont éligibles à plusieurs biothérapies. En pratique clinique, la rémission peut être utilisée pour sécuriser le meilleur choix de prise en charge.
Il est possible que ce concept puisse aider à la décision de l’arrêt ou du remplacement d’un traitement par un autre, ou même de l’instauration d’une biothérapie, ou encore de la nécessité d’une discussion collégiale pour atteindre une rémission sur tous les organes atteints par l’inflammation de type 2. Il est encore trop tôt à mon sens pour adopter cette conduite de recherche de la rémission à tout prix qui exposerait potentiellement à des remplacements incessants de biothérapie, stratégie thérapeutique probablement peu recommandable.

La plupart des observateurs estiment que, dans le concept de rémission, il faut que la maladie ne soit plus détectable et que le traitement ne soit plus nécessaire. Est-ce un objectif raisonnable à fixer pour l’avenir ?

Il faut reconnaître que nous n’en sommes pas encore là ! Des études, pour la plupart néerlandaises, ont montré que les patients qui entrent spontanément en rémission sans traitement gardent toutes les caractéristiques de l’asthme, ce qui les expose probablement à une future récidive clinique, à savoir une hyper-réactivité bronchique, un remodelage des voies aériennes et une inflammation de type 2 persistante. Si aujourd’hui nous sommes capables d’induire dans un peu plus d’un tiers des cas une rémission clinique, durable dans le temps, essentiellement grâce aux biothérapies, on comprend que la maîtrise de l’inflammation n’est souvent pas suffisante et que l’asthme n’est pas une maladie uniquement inflammatoire. Sans doute reviendrons-nous avec d’autres marqueurs, qu’ils soient biologiques, fonctionnels ou d’imagerie. On pense notamment à l’hyper-réactivité bronchique et à l’épaisseur des bronches au scanner thoracique, par exemple, qui pourraient nous aider à prédire quels patients sont à risque d’évolution péjorative et à développer des stratégies visant à cibler ces caractéristiques fondamentales de l’asthme.

Tableau. La définition de la rémission est-elle vraiment claire ? D’après A. Menzies-Gow et al. [1].

Rémission clinique sous traitementRémission clinique sans traitement
Pendant une période de 12 mois ou plus :
• Absence de symptômes significatifs de l’asthme maintenue dans le temps sur la base d’un outil de mesure validé (par ex. un questionnaire)
• ET optimisation et stabilisation de la fonction pulmonaire
• ET patient et professionnel de santé d’accord pour parler de rémission
• ET aucune corticothérapie systémique pour le traitement des exacerbations ou le contrôle de la maladie à long terme
Mêmes critères maintenus sans aucun traitement de l’asthme depuis 12 mois ou plus
Rémission complète sous traitementRémission complète sans traitement
Rémission clinique + critères suivants :
• Résolution objective de l’inflammation liée à l’asthme préalablement observée (telle que éosinophiles du sang ou de l’expectoration induite, FeNO et/ou autres mesures pertinentes)
• ET, dans un contexte de recherche approprié : absence d’hyper-réactivité bronchique
Mêmes critères maintenus sans aucun traitement de l’asthme depuis 12 mois ou plus

Références

1. Menzies-Gow A et al. An expert consensus framework for asthma remission as a treatment goal. J Allergy Clin Immunol 2020;145(3);757-65.


Liens d'intérêt

M. Humbert et A. Bourdin déclarent avoir été consultants pour AstraZeneca, Chiesi, GSK, Novartis et Sanofi.

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