Au cours de la dernière décennie, l’exploitation du système immunitaire à l’encontre des cellules cancéreuses s’est avérée une stratégie thérapeutique pertinente dans plusieurs pathologies néoplasiques, notamment le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC). En effet, les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI), tels que les anticorps monoclonaux bloquant PD-1 ou PD-L1, ont révolutionné le paradigme de traitement du CBNPC de stade avancé, en permettant un contrôle de la maladie particulièrement durable chez certains patients. Les ICI sont désormais un standard thérapeutique pour la prise en charge de 1re ligne du CBNPC métastatique [1] et pour le traitement de consolidation après radiochimiothérapie dans le CBNPC de stade III non résécable [2].
L’utilisation de l’immunothérapie dans le CBNPC de stade précoce est un concept émergent, avec d’ores et déjà des résultats extrêmement encourageants, pour ne pas dire spectaculaires ! Dans un article de synthèse récent, G. Mountzios et al. ont passé en revue les données disponibles dans la littérature concernant l’emploi des ICI en situation pré-, post- ou périopératoire chez les patients souffrant d’un CBNPC résécable [3]. Avant de détailler le schéma et les résultats des principaux essais thérapeutiques rapportés à ce jour, les auteurs ont rappelé le rationnel biologique soutenant l’utilisation des ICI dans ces différentes situations (figure).
En situation adjuvante, nous savons que la chimiothérapie ne confère qu’un avantage modeste dans le CBNPC de stade précoce, avec un bénéfice en survie globale de l’ordre de 5 % à 5 ans comparativement à la chirurgie seule. L’immunothérapie adjuvante a le potentiel d’améliorer ces résultats en exploitant le fait que le traitement postopératoire par ICI est principalement dirigé contre la maladie micrométastatique, laquelle est caractérisée par une faible masse tumorale et une faible divergence sous-clonale. De plus, la chirurgie affecte la réponse immunitaire. En effet, les effets sur l’immunité des stress chirurgical et postopératoire immédiat ont été bien caractérisés par, d’abord, une immunosuppression médiée par l’augmentation de cytokines et de facteurs de croissance liés au stress, tels que les catécholamines, les prostaglandines et les cytokines inflammatoires (IL-6, IL-8, IL-10 et TNF). L’inflammation postopératoire déclenche ensuite l’activation et l’expansion des cellules T régulatrices, des macrophages associés à la tumeur et des cellules myéloïdes suppressives, conduisant à une immunosuppression persistante à la fois dans le microenvironnement tumoral et au niveau systémique. Ces réponses inflammatoires de stress postopératoire pourraient potentiellement être combinées avec une stimulation immunitaire pour surmonter les effets prométastatiques et proangiogéniques directs de la chirurgie, inverser l’immunosuppression et améliorer les réponses immunitaires antitumorales. Dans ce scénario idéal, un traitement adjuvant par ICI, peu de temps après la chirurgie, a le potentiel d’inverser le microenvironnement postchirurgical immunosuppresseur, d’améliorer l’immunité antitumorale et de cibler les cellules tumorales qui auraient pu être excrétées dans la circulation au cours de l’intervention chirurgicale, éliminant ainsi la maladie micrométastatique. Dans ce contexte, les ICI ont également le potentiel d’entrer en synergie avec la chimiothérapie adjuvante, qui peut induire la destruction des cellules tumorales, augmenter l’exposition des néoantigènes et accroître ainsi l’activité antitumorale des ICI.
Une 2e stratégie thérapeutique porte sur l’administration néoadjuvante des ICI, seuls ou en association avec la chimiothérapie. Cette approche présente des avantages théoriques : l’efficacité de l’immunothérapie serait maximisée du fait que la tumeur primitive est toujours présente et qu’elle comporte à la fois une charge élevée de néoantigènes et une hétérogénéité limitée. Vraisemblablement, la présence de la tumeur entière pendant un traitement néoadjuvant par ICI permet une large réponse des lymphocytes T en raison de l’exposition à un large répertoire d’antigènes tumoraux. Dans les modèles précliniques, une charge tumorale élevée et une hétérogénéité limitée des antigènes ont été associées à de meilleurs résultats des ICI, ce qui suggère que le contexte néoadjuvant serait le moment optimal pour l’utilisation de l’immunothérapie dans les maladies de stade précoce. Il est important de souligner que le traitement néoadjuvant par ICI offre également une fenêtre d’opportunité unique pour identifier et évaluer des biomarqueurs prédictifs d’efficacité. De plus, le degré de réponse pathologique au traitement néoadjuvant pourrait, quant à lui, fournir une indication précoce du bénéfice clinique. Par ailleurs, les ICI peuvent être associés à une chimiothérapie en situation néoadjuvante pour améliorer la libération de néoantigènes et favoriser une réponse immunitaire plus robuste. Enfin, la diminution de la tumeur primitive sous l’effet du traitement néoadjuvant pourrait avoir un effet bénéfique sur les interventions chirurgicales, en termes de résection complète et d’épargne parenchymateuse notamment.
Une 3e stratégie consiste à utiliser les ICI en périopératoire, c’est-à-dire en combinant l’administration préopératoire et postopératoire de l’immunothérapie. Cette approche a une justification biologique intéressante : la combinaison des ICI avec la chimiothérapie dans le cadre néoadjuvant maximise à la fois la réduction de la tumeur et le contrôle systémique avant la chirurgie, et la monothérapie par ICI est également administrée dans le cadre adjuvant pour préserver les résultats chirurgicaux et potentiellement éliminer la maladie micrométastatique qui n’aurait pas été éradiquée par la chimio-immunothérapie préopératoire. Les approches périopératoires ont été de plus en plus étudiées ces dernières années et les 1ers résultats d’essais cliniques randomisés ont été rapportés tout récemment, avec des résultats fort intéressants.
Laquelle de ces 3 stratégies s’imposera à l’avenir comme le standard de traitement dans le CBNPC de stade précoce ? Le standard sera-t-il le même pour tous les patients ? Encore beaucoup de questions auxquelles la recherche clinique et la recherche translationnelle auront à répondre dans les prochaines années !