Au cours des dernières décennies, l’évolution rapide du paysage médical a été marquée par un changement fondamental dans la manière dont la médecine est conçue, mise en œuvre et évaluée. Jadis considérée comme une discipline où les praticiens détenaient le monopole du savoir, la médecine a connu une transformation significative vers un modèle plus inclusif, intégrant activement la voix et l’expertise des patients. Cette transition vers une approche participative, souvent désignée sous le terme de “médecine participative”, a révolutionné la manière de conceptualiser et de mener la recherche clinique, et surtout, elle a ouvert la voie à l’autonomisation des patients.
Au cœur de cette évolution se trouve le concept d’“empowerment” des patients, un catalyseur essentiel dans l’autonomisation des individus dans un contexte où l’essor d’Internet et l’augmentation de la longévité ont permis de démocratiser l’accès au savoir scientifique. Les différentes crises de la fin du XXe siècle, comme celle du sang contaminé, ou encore l’épidémie du sida des années 1980, ont ainsi été le berceau de cette remise en question de l’autorité hégémonique exercée par le corps scientifique. Le modèle de Montréal [1], qui met en avant l’expertise pratique des patients, a ainsi contribué à reconfigurer la dynamique traditionnelle des soins de santé vers une approche plus collaborative et centrée sur le patient. Ce dernier n’est plus un simple objet de soins, mais devient un véritable partenaire de sa prise en charge. Plus encore, cette connaissance empirique, fondée sur son vécu unique de sa maladie, justifie son implication au-delà de sa simple prise en charge.
Depuis 2002, de nombreuses publications sur l’engagement des patients ont vu le jour, témoignant de l’impact considérable qu’a suscité cette nouvelle approche au sein de la communauté scientifique. Ainsi est né au Québec le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public (CEPPP), lequel promeut une relation égale entre les patients, le public, les chercheurs, les décideurs et les cliniciens. Les patients, à savoir ceux qui vivent avec leur maladie, sont source de connaissances complémentaires de celles des professionnels de la santé. À l’échelle mondiale, plusieurs initiatives, telles qu’INVOLVE au Royaume-Uni (1996), le Patient-Centered Outcomes Research Institute (PCORI, 2009) aux États-Unis ou la Stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP, 2014) au Canada, reconnaissent la valeur ajoutée qu’apportent les patients à la recherche, et ce, à toutes ses phases.
En France, des initiatives telles que le Groupe de réflexion avec les associations de malades (Gram), le Collège des relecteurs, le Comité de patients en recherche clinique de la Ligue contre le cancer ou le Comité de représentants de personnes soignées SIRIC encouragent la participation active des patients. La loi Kouchner de 2002, avec notamment la création de France Assos Santé dont les missions sont inscrites dans le Code de la santé publique, a permis de renforcer les droits collectifs des patients et des usagers du système de santé. Des organisations telles que l’Union francophone des patients partenaires (UFPP) proposent désormais des formations à ces patients, afin de structurer leurs savoirs, avant de les encourager à prendre part à différents projets de recherche universitaire. Catherine Tourette-Tourgis a ainsi créé “l’Université des patients”, formations diplômantes de patients experts en 2009 à l’Université Pierre-et-Marie-Curie dans le cadre de la fondation partenariale de l’université.
Ainsi, si le concept de “patient partenaire” varie selon les organismes et n’a, pour ainsi dire, pas de définition légale officielle dans l’Hexagone, l’implication des patients dans la coconstruction des projets de recherche est de plus en plus encouragée (voire obligatoire) par les “financeurs”, avec notamment les projets européens IMI et H2020.
Quelle place les patients partenaires occupent-ils aujourd’hui dans les différentes études cliniques ?
Dans le domaine de la recherche, les patients partenaires assument divers rôles cruciaux qui contribuent à façonner et à améliorer les projets de recherche (tableau I). En tant que force motrice (driving force), ils sont les initiateurs de projets de recherche, identifiant les priorités et mobilisant les ressources nécessaires. En qualité de cochercheurs (coresearchers), ils collaborent étroitement avec les chercheurs professionnels pour concevoir, mettre en œuvre et interpréter les études, partageant ainsi leurs expériences et leurs expertises. En tant qu’évaluateurs (reviewers), ils participent à l’examen critique des protocoles de recherche et des articles scientifiques pour garantir l’intégration des perspectives des patients. Leur rôle de conseillers (advisors) consiste à fournir des conseils et des orientations pour rendre la recherche plus accessible, pertinente et éthique du point de vue des patients. Ils peuvent ainsi favoriser les inclusions. En tant que fournisseurs d’informations (information providers), ils partagent leurs connaissances et expériences pour aider les chercheurs à mieux comprendre les besoins et préoccupations des patients. Enfin, en tant que sujets de recherche (research subjects), ils participent activement en fournissant des données sur leur propre santé et leur vécu afin de répondre aux questions des chercheurs. Ces diverses contributions des patients partenaires sont essentielles pour promouvoir une recherche plus inclusive, pertinente et respectueuse des besoins des patients. De plus, ces derniers, souvent impliqués dans des associations, participent à la communication et à la dissémination des connaissances.
Malgré tout, on ne dénombre que peu de publications évaluant la différence en termes de rôle des patients en tant que partenaires dans la recherche versus ceux participant simplement à la recherche. Une revue publiée en juin 2021 [2] s’est ainsi intéressée aux niveaux définis par le spectre d’engagement entre les patients et les chercheurs (tableau II). La majorité des 119 articles inclus dans cette revue ont été publiés au Royaume-Uni (47 %), suivis du Canada (29 %) et des États-Unis (12 %), la plupart étant parus après 2016 (spectre allant de 2010 à 2020). Parmi ces articles, 61 ont défini le rôle du patient partenaire comme étant “membre de l’équipe de recherche” (51 %), 42 comme “membre d’un groupe consultatif” (35 %), 5 comme “membre du comité de pilotage” (4 %), 4 comme “membre d’un groupe de travail” (3 %) et 7 n’ont pas défini le rôle du patient partenaire.
Mais, concrètement, que faut-il mettre en œuvre pour retirer un maximum de bénéfices de cette nouvelle approche partenariale ?
L’importance des échanges initiaux entre chercheurs académiques et patients pour définir leurs rôles respectifs constitue le fondement incontournable de toute collaboration fructueuse. La construction d’une relation de qualité nécessite ainsi un investissement conséquent dans l’établissement d’une implication précoce, stable et respectueuse des patients partenaires, au sein d’un environnement dénué de stigmatisation et de jugement, afin de créer ainsi un espace sûr pour tous les participants. Reconnaître et valoriser l’expérience vécue des patients, consacrer le temps nécessaire à tisser les liens d’une confiance mutuelle au sein de l’équipe de recherche tout en privilégiant une écoute active sont autant de démarches essentielles pour favoriser l’inclusion des patients partenaires à toutes les étapes du projet. En outre, impliquer le public dans la gouvernance et la prise de décision offre une voix significative aux parties prenantes, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance et d’engagement envers le processus de recherche. Les avantages tirés de cette collaboration, tels que l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences pour les patients, participant à leur autonomisation, et l’amélioration de la qualité des rapports finaux pour les chercheurs, en contribuant à renforcer la légitimité de la recherche, sont nombreux et significatifs.
Des initiatives éducatives telles que l’Académie européenne de patients sur l’innovation thérapeutique (EUPATI) [3], ainsi que des collaborations avec des organisations comme PatientsLikeMe® [4], jouent un rôle crucial dans le renforcement de la participation des patients. Par ailleurs, les revues médicales et les sociétés professionnelles ont une fonction déterminante dans la sensibilisation et l’éducation des patients.
Il semble cependant que l’établissement de partenariats authentiques et efficaces entre chercheurs et patients partenaires en recherche soit entravé par divers obstacles. Outre le manque de coordination entre les acteurs et les structures responsables de l’éthique et de l’intégrité de la recherche, des problèmes tels que le tokénisme et un biais inconscient envers les patients partenaires sont fréquemment rencontrés [5]. Le tokénisme se manifeste comme une pratique consistant à inclure une personne ou un groupe de personnes dans une activité ou un processus, afin de donner une illusion de diversité ou d’inclusion, mais sans réellement leur accorder de véritable rôle, prendre en compte leur perspective ou reconnaître leur contribution. De plus, l’intégration tardive des patients partenaires dans le processus de recherche est un défi majeur, compromettant leur capacité à influer sur la conception et la mise en œuvre de l’étude, et donc à réellement trouver leur place et prendre part à l’étude. Ils sont confrontés à un manque de ressources réservées à leur participation, telles qu’un budget alloué et du temps dédié à la présentation du projet. Un patient partenaire recruté parmi les fédérations ou organismes est déjà formé pour participer ; en revanche, il faut prendre du temps pour lui expliquer le projet de recherche et ses objectifs. Enfin, une communication médiocre, des chercheurs eux-mêmes confrontés à un manque de temps et de ressources, ainsi qu’un possible sentiment d’illégitimité à contribuer à l’investigation d’une étude scientifique chez certains patients peuvent également compromettre la qualité de cette collaboration. Il est donc essentiel d’améliorer la communication entre chercheurs et patients partenaires, en favorisant un dialogue ouvert et transparent, un respect mutuel, et en offrant un soutien accru sous forme, par exemple, de ressources financières, de considération et, si nécessaire, de temps accordé au patient partenaire s’il ressent le besoin d’obtenir des explications nécessaires à la bonne compréhension du projet.