Éditorial

Pathologies émergentes de l’adolescent et du jeune adulte : l’intervention précoce, maintenant !


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Les troubles psychiatriques ne demandent pas la carte d’identité du patient avant de commencer. Il est désormais bien établi que les troubles qui se manifesteront à l’âge adulte commencent tôt dans la vie, à un âge moyen de 14 ans et demi [1]. C’est, en particulier, le cas des troubles psychotiques dont on sait qu’il peut exister des symptômes au seuil diagnostique 1 à 2 ans avant l’accès aux soins, et des symptômes annonciateurs infra­liminaires jusqu’à 5 ans avant l’accès aux soins [2]. Toutefois, il n’est pas bon d’attendre avec des symptômes psychotiques et il est démontré que la durée de psychose non traitée a un impact direct sur le pronostic. Pour répondre à cet enjeu, la méthodologie de l’intervention précoce a été développée depuis les années 1990, et a rencontré un succès mondial.

Lorsque l’on parle d’intervention précoce, il faut préciser que le terme approprié serait celui de détection et intervention précoces, tant il est vrai que ce processus répond à 2 aspirations fondamentales. Premièrement, il s’agit de détecter précocement les personnes les plus à risque de troubles psychotiques, et ce avec des outils fiables, afin de diminuer la durée de psychose non traitée. Deuxièmement, il convient d’intervenir en facilitant l’engagement des jeunes patients dans un processus thérapeutique : ce dernier doit être intensif et répondre à la fois à leurs aspirations profondes et aussi aux bonnes pratiques cliniques lors d’un trouble émergent.

L’évaluation est donc un point important du processus : dans ce numéro de la Lettre du Psychiatre, l’article de F. Bernardin et al. revient en détail sur la subtile manière d’envisager les symptômes émergents et sur les meilleurs outils validés en français pour les caractériser. Cette évaluation doit être répétée dans le temps pour suivre l’évolution clinique. Mais le cœur de l’intervention précoce, c’est avant tout le suivi dans la durée. Ce suivi correspond à une fenêtre d’opportunité de 2 à 5 ans dans la vie d’un jeune : le moment crucial où des symptômes risquent de le faire basculer vers une maladie chronique et potentiellement pourvoyeuse de handicap. Car le secret du processus est de favoriser le plus possible un suivi ambulatoire et intensif, afin d’aider au maintien de chaque jeune dans son environnement social et de ne provoquer aucune rupture de parcours de vie. Ce caractère intensif est assuré par la fonction de case manager : un professionnel (infirmier, travailleur social, psychologue, ou encore ergo­thérapeute) qui sera l’intervenant pivot pour le patient, l’accompagnera dans toutes les démarches et se montrera d’une très grande disponibilité et réactivité. Un case manager a donc peu de patients en file active (10 à 30 maximum), mais il les suit intensément.

L’intervention précoce est efficace : lorsque les troubles sont déjà présents, elle permet d’infléchir considérablement la trajectoire de soins des patients, aussi bien sur le plan clinique que sur le plan fonctionnel. Et lorsque l’intervention vise la en prévention chez les personnes présentant un état clinique à risque, elle permet de diminuer le risque de survenue d’un trouble psychotique constitué. L’article de C. Dondé revient en détail sur ce point : rares sont encore en psychiatrie les dispositifs qui démontrent aussi clairement leur efficacité.

La France a longtemps connu un retard conséquent dans le déploiement de l’intervention précoce, avec seulement quelques centres pionniers, diffusant progressivement cette culture très spécifique. Grâce aux efforts déployés depuis le milieu des années 2010, une vague d’ouverture de centres est apparue, encore amplifiée par l’aide du Fond d’innovation organisationnelle pour la psychiatrie. Le réseau Transition a accompagné cette transformation. Ses objectifs et son fonctionnement sont décrits dans l’article de L. Mathevet et M.O. Krebs : il est la cheville ouvrière du déploiement de l’intervention précoce en France. Car ouvrir un centre d’intervention précoce n’est pas simplement un acte déclaratif : outre le respect d’un certain nombre de fondamentaux, l’intervention précoce, pour fonctionner, doit s’insérer dans le paysage de soins local, en tenant compte de la géographie et de la démographie, et en respectant les cultures de soins. F. Haesebaert connaît bien cette question et décrit dans son article les enjeux de l’implantation des centres ainsi que l’apport tout particulier des communautés de pratique.

En complément de ces initiatives portées par de nombreux soignants enthousiastes et inventifs, la France doit maintenant aller plus loin et étendre un maillage territorial de l’intervention précoce, comme beaucoup de pays l’ont fait. Le pays qui a inventé le secteur psychiatrique saura-t-il déployer le secteur des pathologies émergentes, selon l’expression de F. Haesebaert ? Cette vision optimiste des soins est naturellement efficace pour les patients, mais elle est aussi porteuse d’espoir et de sens pour les soignants. En bref, l’intervention précoce est efficace, bienveillante, audacieuse. Les jeunes en ont besoin… vite !

Références

1. Solmi M et al. Age at onset of mental disorders worldwide : Large-scale meta-analysis of 192 epidemiological studies. Mol Psychiatry 2022;27(1):281‑95.

2. Riecher-Rössler A et al. Early detection and treatment of schizophrenia : How early? Acta Psychiatr Scand Suppl 2006;429:73‑80.


Liens d'intérêt

V. Laprévote déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

M.O Krebs n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

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