Le tube digestif a un jour été bien considéré. Il détenait le courage : on disait de ceux qui en avaient qu'ils avaient des tripes ; il renfermait la réflexion la plus profonde et immédiate, l'instinct, le gut feeling. Et puis le cerveau a pris le dessus, sur tout, y compris sur le déclenchement des maladies ; le psychosomatique était né, on était au XIXe siècle. Mais il était difficile d'admettre que le “moi” était en cause, qu'il créait le mauvais, la maladie. On a alors cherché l'agent causal − le coupable − ailleurs, et le microbiote était un suspect bien commode. Il ne s'est pas méfié, on l'appelait encore “la flore intestinale”, à une époque où le mutualisme et la collectivité étaient des organisations positives, promues pour apporter des avantages à tous. Les temps ont changé, les micro-organismes qui constituent le microbiote étaient très nombreux, bientôt plus nombreux que nos propres cellules, difficiles à identifier, et étrangers à nous-mêmes. C'est devenu soudain plus clair, ils devaient être la cause de tout. On vient même de les accuser d'être des intermédiaires dans l'affaire de l'ostéoporose postménopausique. Mais quels sont les faits suggérant une telle culpabilité ?
Dans leurs travaux récemment publiés, J.Y. Li et al. (1) ont tout d'abord rapporté que le déficit estrogénique entraînait, dans un modèle murin, une augmentation de la perméabilité intestinale, stimulant ainsi dans l'intestin grêle et la moelle osseuse l'activation de cellules Th17 et la production de cytokines stimulatrices de l'ostéoclastogenèse telles que TNFα, IL-17 et RANKL. Ils ont ensuite montré, chez des souris germ-free, que ce déficit hormonal était incapable d'induire cette augmentation de cytokines stimulant l'ostéoclastogenèse et donc la classique augmentation de la résorption osseuse et la perte osseuse associée à cette situation, suggérant que le microbiote intestinal jouait un rôle central dans cet enchaînement d'événements. Ils ont cependant révélé que tous les micro-organismes n'étaient pas coupables et que l'on pouvait manipuler positivement le microbiote. Ainsi, l'administration de probiotiques tels que Lactobacillus rhamnosus chez des souris déficientes en estrogènes était capable de réduire tout à la fois la perméabilité intestinale et l'inflammation intestinale et médullaire, et de protéger de toute perte osseuse induite par l'ovariectomie.
Quelques années plus tôt, K. Sjögren et al. (2) avaient été les premiers à montrer que ces souris germ-free avaient un statut osseux modifié, avec une masse osseuse accrue et une activité ostéoclastique réduite. Ces auteurs suggéraient déjà que cette observation semblait bien liée à l'absence de microbiote, puisque la colonisation intestinale s'accompagnait d'une normalisation à la fois du statut osseux et du nombre de cellules T CD4+ et de précurseurs ostéoclastiques CD11b+/GR1 dans la moelle osseuse.
Alors, certes, le modèle est particulier, certes, l'administration de probiotiques peut augmenter la masse osseuse indépendamment d'un déficit estrogénique et en l'absence d'une résorption augmentée (1), certes, d'autres auteurs ont montré qu'ils pouvaient aussi augmenter l'absorption digestive du calcium (3) et qu'ils étaient capables de stimuler la production de cytokines anti-inflammatoires (4). Il n'en reste pas moins qu'un lien potentiel entre microbiote, système immunitaire et tissu osseux sous une dépendance hormonale constitue une histoire fascinante et représente une voie pour expliquer de nombreux phénomènes encore mal compris, jusqu'à la prépondérance féminine de certaines pathologies.
Mais revenons un instant au phénotype osseux intriguant de ces souris germ-free. M. Schwarzer et al. (5) constatent que ces souris sont 4 % plus petites que les souris sauvages, avec une réduction de la longueur fémorale et de l'épaisseur corticale. Plus étonnant encore, ils observent que la différence dans les courbes de croissance n'apparaît qu'après le sevrage des animaux. Ces données conduisent cette équipe lyonnaise de l'École normale supérieure à explorer l'hypothèse que le microbiote joue un rôle dans la croissance, et notamment celle du squelette. Ils démontrent dans une très élégante publication que le microbiote favorise la croissance en facilitant la production d'IGF1 (Insulin-like Growth Factor-1) et l'activité de l'axe somatotrope après le sevrage. Ils montrent ensuite que le microbiote digestif permet de maintenir un certain niveau de croissance dans une situation de malnutrition de ces souris en amplifiant la réponse à l'hormone de croissance (GH), alors que la croissance des souris germ-free est totalement arrêtée. Ils montrent enfin, à travers des souris germ-free dont l'intestin a été monocolonisé, que des souches spécifiques de Lactobacillus plantarum peuvent reproduire les effets du microbiote de souris sauvages sur la croissance de ces animaux, y compris dans une situation de malnutrition chronique, prévenant ainsi en partie leur retard de développement dans ces circonstances.
Ces travaux ouvrent de toute évidence des perspectives majeures alors que 180 millions d'enfants souffrent de malnutrition dans le monde. Ils sont à mettre en perspective avec ceux de L.V. Blanton et al. (6) publiés dans le même numéro de Science. Ces auteurs ont en effet mis en évidence, à partir de l'analyse du microbiote d'enfants malawites âgés de 6 et 18 mois, que l'immaturité de ce microbiote était directement dépendante de l'éventuelle malnutrition des enfants, y compris chez les plus jeunes, du fait d'un défaut de concentration de certains oligosaccharides dans le lait de mères également malnutries (7). De surcroît, la transplantation de ces microbiotes immatures d'enfants malnutris chez des souris germ-free entraînait une croissance altérée, comparée à celles d'animaux transplantés avec un microbiote d'enfants en bonne santé. Là encore, l'addition de souches spécifiques, ici Ruminococcus gnavus et Clostridium symbiosum, au microbiote immature d'enfants malnutris améliorait la croissance des animaux receveurs.
Au final, ces différentes études suggèrent que la manipulation du microbiote pourrait constituer une approche thérapeutique d'avenir à la fois dans le développement et le maintien d'un squelette en bonne santé. Il faut maintenant démontrer
que ces résultats sont applicables à l'être humain et que la tolérance de cette approche est bonne. Ces travaux rappellent aussi que notre relation avec le microbiote est avant tout une formidable symbiose.