L' adhésion à toute forme de thérapeutique est complexe à évaluer. Elle est définie, par exemple, par la prise d'au minimum 80 % des doses de la médication prescrite. La non-adhésion est souvent sous-estimée par les médecins.
Nous avons évalué l'adhésion à la prise de méthotrexate lors de l'instauration d'un agent biologique et avons découvert que plus de 50 % des patients ne le prenaient plus dans les 6 mois suivant sa prescription (1). L'adhésion était mesurée à l'aide du taux de possession moyen de médicaments, qui est le plus souvent dérivé du taux d'acquisition extrait des bases de données administratives des payeurs publics ou privés. Lors de cette analyse, nous avons combiné les 2 sources.
Les raisons avancées par les patients pour expliquer cette non-adhésion étaient les multiples effets indésirables, tels les nausées, les vomissements, la diarrhée, les crampes abdominales, l'inappétence, la fatigue, les céphalées et l'alopécie. Sans être associés à des conséquences morbides majeures, ces effets indésirables sont souvent continuels ou répétitifs, ce qui conduit le patient à suspendre la prise du traitement sans en aviser le médecin. Une céphalée ou une nausée occasionnelle peut être tolérable et acceptable, mais les effets indésirables récurrents, sur une base mensuelle ou annuelle, deviennent une excellente raison de s'en passer. Certains patients continuent même à faire le bilan sanguin demandé dans le but de dissimuler cette décision unilatérale.
Un autre motif invoqué est la crainte que cette médication, qui était à l'origine destinée au traitement du cancer, puisse elle-même provoquer l'apparition de tumeurs malignes. Il arrive d'ailleurs que certains patients l'expriment par le biais d'une question lors de la visite médicale.
Une autre assertion est l'inefficacité de la médication immunosuppressive lors de l'ajout de l'agent biologique. Malgré l'explication qui a été donnée au patient concernant la meilleure efficacité de la combinaison du méthotrexate et de l'agent biologique, il décide unilatéralement d'arrêter la prise de méthotrexate en se disant que, de toute façon, il n'est pas efficace. Le patient ne se souvient pas des raisons motivant la poursuite du traitement, mais se rappelle fort bien que son médecin a dû lui en ajouter un parce que le premier était inefficace. Alors, pourquoi le continuer ? Logique, n'est-ce pas ? Une proportion importante de patients expriment leurs doutes à leur rhumatologue, qui, dans certains cas, prend la décision d'utiliser l'agent biologique en monothérapie. Une revue de notre base de données Rhumadata® présentée au congrès de l'American College of Rheumatology en 2012 a montré que 30 % des agents biologiques chez des patients souffrant d'arthrite rhumatoïde étaient administrés en monothérapie (2). Ce pourcentage témoigne du fait que, d'un commun accord, à la suite d'une discussion entre le médecin et le patient, découle l'adhésion d'un certain nombre de patients. Il demeure cependant que, de leur propre chef et de façon quasi constante, plus de 25 % des patients sous agents biologiques ne se procurent pas leur médication immunosuppressive. Cette population de patients démontre bien la non-adhésion thérapeutique intentionnelle. La littérature médicale est relativement silencieuse à ce sujet. La non-adhésion y est un sujet assez familier, mais je n'ai trouvé que très rarement la mention d'une non-adhésion intentionnelle. La majorité des références tentent d'établir une corrélation entre certaines variables et une diminution de l'adhésion. Une publication récente émanant d'un groupe conjoint de psychologues et de rhumatologues des Pays-Bas tente de fournir les bases des différents éléments comportementaux pouvant avoir une influence sur l'adhésion dans un groupe de patients souffrant d'arthrite et prenant du méthotrexate ou un autre traitement de rémission (3). Selon le Compliance Questionnaire on Rheumatology, un questionnaire validé, 68 % des patients de ce groupe adhéraient à leur traitement de rémission. D'après les auteurs, jusqu'à ce jour, aucun des modèles utilisés n'a permis de préciser les principales barrières à l'adhésion. De plus, ces modèles n'étaient pas destinés au développement d'interventions visant à améliorer l'adhésion. Le questionnaire utilisé (IMAB-Q : Identification of Medication Adherence Barriers Questionnaire) évalue à la fois les barrières à la prise adéquate de la médication et les facilitateurs. Les domaines évalués par une ou plusieurs questions comprennent : les connaissances, la composante émotionnelle, l'attention, la mémoire, les influences sociales, les croyances sur ses propres capacités et les conséquences de la prise ou de la non-prise du traitement, la motivation, l'objectif du patient et les obstacles à la rencontre de ces objectifs, les problèmes pratiques comme l'accès facile à la médication et, finalement, les aptitudes du patient. Chacun des domaines évalue des éléments de barrière et de facilitation au traitement. Le domaine Connaissance, par exemple, permet d'explorer les éléments connus concernant l'efficacité du traitement, mais aussi le profil d'effets indésirables.
Plus de 60 raisons sont présentes dans la liste des barrières. Il est très facile de penser que l'une ou plusieurs d'entre elles sont à l'origine de la décision du patient de ne pas prendre son médicament de manière optimale ou même de l'interrompre, car il croit plus aux effets néfastes de ce dernier qu'à ses effets bénéfiques. Certains patients nient tout simplement l'existence de leur condition articulaire. Les auteurs terminent en précisant que les barrières à l'adhésion sont multiples et qu'il n'existe toujours pas de bon outil pour les évaluer et nous permettre de les aborder préventivement chez un patient.
Alors, que nous reste-t-il à nous, les rhumatologues cliniciens, pour tenter d'améliorer l'adhésion de nos patients ? Une bonne relation médecin-patient permettant un dialogue franc est essentielle et fréquemment rapportée dans la littérature. L'éducation du patient par de multiples intervenants est aussi très efficace. L'unicité du message quant à l'utilisation du méthotrexate de la part de tous les intervenants, incluant médecins, infirmières, pharmaciens et association de patients, est cruciale (4). Il faut éviter à tout prix de créer un doute dans la tête du patient. Le message doit aussi être répété fréquemment, car les patients ont tendance à oublier ces informations. Nous avons développé un document dont le niveau de langage est adapté au patient, que nous lui remettons et qui résume les faits essentiels de l'importance de l'adhésion. Depuis peu, au Québec, nous avons un accès au dossier pharmacologique du patient, qui nous permet de vérifier le taux d'acquisition de ses médicaments et de soulever la question s'il y a un doute sur l'adhésion. Tous ces éléments ont permis d'atteindre une adhésion de 78 % dans un groupe de 150 patients de notre centre de recherche vus de manière consécutive et non sélectionnée. Il est donc possible d'améliorer notre performance. Il faut simplement prendre le temps d'en discuter avec le patient.