Les critères de classification ont été développés pour aider les chercheurs à homogénéiser les populations des études. Leurs conceptions utilisent souvent comme “gold standard” le diagnostic d'un clinicien ou d'un groupe d'experts, si bien que les considérer comme une référence par rapport au clinicien entraîne un raisonnement circulaire (1). Pour autant, les cliniciens ont besoin d'un support pour parler le même langage, et les critères de classification servent à cela, si bien qu'ils modifient l'avis des cliniciens, au point qu'au bout du compte, ce sont bien eux qui finissent par homogénéiser les concepts.
Les spondyloarthrites (SpA) constituent l'un des exemples les plus intéressants dans la discordance et le changement au cours du temps des concepts des cliniciens et des critères. En effet, pour les cliniciens des années 1950, la SpA était une maladie essentiellement masculine, qui enraidissait le rachis, était généralement associée au HLA-B27 (Human Leucocyte Antigen B27), et se traduisait radiologiquement dans presque tous les cas par une sacro-iliite radiographique (2). Les critères de New York pouvaient s'appliquer à la plupart des cas après plusieurs années de recul. Mais la découverte d'un lien physiopathologique et épidémiologique avec des affections proches a justifié le concept de “spondylarthropathie”, rebaptisée ensuite “spondyloarthrite”, qui permettait de regrouper les arthrites réactionnelles, le rhumatisme psoriasique, les rhumatismes des entérocolopathies mais aussi des formes inclassées qui partageaient des caractéristiques communes. Trois types de critères (Amor, ESSG puis ASAS) [3-5] ont été édictés, et un problème de spécificité a été soulevé dans la mesure où, appliqués sans discernement, ils faisaient entrer dans le groupe des patients n'ayant pas de SpA selon le clinicien. En réalité, la concordance entre les 3 critères n'est pas si mauvaise, mais un nombre non négligeable de patients ne répondent pas aux 3 critères, seulement à 1 ou 2 des 3 types (6, 7). Et la détection des formes frustes a permis de démontrer que la maladie touche autant les femmes que les hommes (8), le sexe étant plus un facteur de risque d'évolution vers l'enraidissement qu'un facteur de risque de développer la maladie. Alors qui a une SpA ? Les patients remplissant au moins 1 type de critères ou ceux qui remplissent les 3 ?
Ne nous y trompons pas. Le principal problème n'est pas celui des discordances entre les critères mais leur mauvaise utilisation. Ces critères appliqués à la lettre conduisent forcément à des erreurs de diagnostic. Devant une suspicion de SpA axiale, 3 questions doivent être posées.
- La première question à laquelle il faut répondre est celle de la présence de l'un des 2 groupes de signes rhumatologiques indispensables à l'inclusion dans le concept. Car on se place alors dans un contexte de pathologie rhumatismale inflammatoire. Il s'agit :
– de douleurs lombaires inflammatoires de survenue progressive avant 45 ans.
Si le début a été progressif avant 45 ans, et que les critères de Berlin ou de Calin sont remplis, alors on peut qualifier la douleur d'inflammatoire. Un patient qui présente une lombalgie aiguë immédiatement après un effort de soulèvement, ou une douleur de début tardif, est a priori à ne pas considérer comme ayant une SpA ;
– d'arthrites, dactylites ou enthésites inflammatoires authentifiées par un rhumatologue ou, mieux encore, par un liquide articulaire inflammatoire à la ponction.
La polyenthésopathie non inflammatoire et les arthralgies n'ont pas le poids d'un signe objectif.
- La deuxième question est celle de la présence de signes extra-articulaires associés et de leur caractère objectif. Car, plus il y a de signes extra-articulaires certains, plus les chances que le patient appartienne au groupe des SpA est élevé. Un patient qui a une uvéite antérieure à bascule confirmée par un ophtalmologiste a bien une uvéite. Il en va de même des diagnostics de psoriasis et d'entérocolopathie posés respectivement par un dermatologue et un gastroentérologue. Mais ni un diagnostic d'uvéite, ni un diagnostic de psoriasis, ni un diagnostic de colite rapportés par un patient ne doivent être tenus pour certains. Il en va de même pour un diagnostic familial, tant il est fréquent que 2 patients rapportent une SpA familiale alors que chaque médecin consulté a appuyé son diagnostic sur le fait qu'un autre membre de la famille était concerné.
- La troisième question est celle de la présence d'une sacro-iliite. Un patient qui a une sacro-iliite radiographique bilatérale indiscutable a une SpA. La difficulté réside dans la frontière entre l'indiscutable et le discutable. En cas de doute radiographique, le scanner est l'examen roi. Si la radiographie est normale, l'IRM est la plus performante, mais son interprétation est difficile en cas de grossesse récente, d'âge supérieur à 40 ans ou de pathologies mécaniques multiples (9). Même les sujets sains (9) ont un risque non négligeable de remplir les critères de l'ASAS (Assessment of Spondyloarthritis international Society) ; il faut donc éviter de demander une IRM sur un tableau peu évocateur et demander au moins 1 atteinte évidente (1 cm de diamètre) pour retenir une inflammation magnétique comme significative.
En ayant répondu à ces questions, on peut conclure s'il y a formellement ou non un des signes d'entrée indispensables au diagnostic (lombalgie inflammatoire, arthrite, dactylite ou enthésite inflammatoire) et soit des signes extra-articulaires formels évocateurs, soit une sacro-iliite. Si la réponse aux 3 questions est positive, le cas est simple. Sinon, il faut beaucoup de prudence avant de conclure. Le typage HLA est alors d'une aide modeste. On peut considérer qu'il faut au moins 1 type de critère rempli et le diagnostic clinique pour retenir l'existence d'une SpA (6). Mais, dans les formes douteuses sans sacro-iliite, la question n'est pas forcément de savoir s'il y a ou non une SpA, mais s'il faut ou non discuter l'utilisation des anti-TNF. La sensibilité aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou même aux antalgiques et à la rééducation est un point fondamental, car tant que l'on peut s'en contenter, le traitement est finalement peu différent, que la pathologie soit ou non une SpA. S'il y a une SpA sans sacro-iliite radiographique, le traitement ne sera différent que s'il y a une inflammation en IRM ou biologique (élévation de la CRP non expliquée par une autre cause, notamment l'obésité). En effet, les anti-TNF ont un rapport bénéfice/risque trop faible et n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) en l'absence d'inflammation documentée. C'est d'ailleurs la principale modification des nouvelles recommandations de la Société française de rhumatologie (SFR), qui stipulent : “Pour les formes axiales, les biomédicaments (anti-TNF, anti-IL-17), en général anti-TNF, doivent être envisagés chez les patients ayant une maladie active malgré les AINS. Dans les SpA axiales non radiographiques, en l'absence d'inflammation biologique et IRM, un biomédicament n'est pas indiqué, sauf cas particulier” (10).