Hier
Dans les années 1990, les patients souffrant de lombosciatique aiguë étaient volontiers hospitalisés. Les critères le justifiant étaient essentiellement le caractère très douloureux, la parésie ou la paralysie, l'échec du traitement médical bien conduit, ou encore la difficulté à rester seul et autonome à domicile (1, 2). Outre le repos, il leur était généralement proposé des perfusions d'anti-inflammatoires durant 6 jours, des antalgiques et une infiltration épidurale de bétaméthasone tous les 2 jours. Dans un service comme celui du CHU de Brest, par exemple, 140 patients ont été hospitalisés pour une lombosciatique au cours de l'année 1994 (2, 3).
Nous savions déjà qu'aucun de nos traitements n'était clairement validé, mais nous espérions que leur combinaison limiterait le risque de recours à une intervention chirurgicale, les résultats n'étant à l'époque pas toujours à la hauteur des espoirs des patients, et malheureusement parfois source d'un engrenage dans une prise en charge chirurgicale répétée.
Mais il a ensuite été démontré :
- que le repos n'était pas utile (4), ce qui reste vrai, sauf peut-être pour des douleurs très aiguës (5) ;
- que les AINS n'ont qu'une faible et discutable efficacité dans la lombosciatique (6, 7) ;
- que les antalgiques de palier III ne font guère mieux que les antalgiques de palier I pour soulager les lombosciatiques (8) ;
- que les infiltrations épidurales ont un effet transitoire et modéré sur la lombosciatique (9), alors que quelques effets indésirables graves (hématome, infection) sont possibles ;
- que les infiltrations foraminales sont efficaces (10), mais au prix de quelques cas de paralysie, ce qui justifie que les patients en soient prévenus. Surtout, seules certaines molécules utilisées sont encore autorisées (tel le cortivazol), et elles sont inaccessibles (défaut de production), si bien que les infiltration foraminales ont quasiment été abandonnées ;
- que les preuves du bénéfice des infiltrations par le hiatus par rapport aux autres infiltrations sont insuffisantes.
Il en résulte que, en l'absence de déficit moteur ou de syndrome de la queue de cheval justifiant une chirurgie urgente, le choix se limite aujourd'hui à la patience, avec des antalgiques de palier I (éventuellement accompagnés d'infiltrations, de conseils d'hygiène de vie, d'une rééducation), et à la chirurgie, cette dernière ayant fait la preuve de son efficacité, notamment grâce à l'étude randomisée SPORT (11).
Aujourd'hui
Il n'empêche que, dans certains cas, aujourd'hui comme hier, une douleur atroce, une parésie ou des troubles sphinctériens à surveiller étroitement justifient toujours une prise en charge hospitalière. Mais la discussion médicochirurgicale peut le plus souvent être envisagée dans le cadre d'une consultation ou d'une hospitalisation de jour, si elle est possible sans délai, et permet un accès rapide à certains examens complémentaires, éventuellement l'adaptation des traitements antalgiques, parfois une ou plusieurs infiltrations.
Ce changement très radical de la prise en charge de la lombosciatique a pu affecter certains services qui avaient l'habitude de prendre en charge ce type de pathologie en hospitalisation de semaine ou traditionnelle.
Nous avons proposé de faire un tour de France des attitudes des services hospitaliers de CHU pour ouvrir la discussion sur les choix à faire dans la prise en charge des lombosciatiques au cours de la décennie à venir. Vingt-quatre services ont accepté de répondre à un questionnaire visant à estimer le nombre de patients pris en charge. Il aurait bien sûr été intéressant de faire l'enquête dans les centres hospitaliers généraux, mais leur nombre rend l'exercice plus difficile. Il faut enfin noter que, dans certaines villes, le service de rhumatologie du CHU ne s'occupe pas du tout des pathologies rachidiennes, celles-ci étant prises en charge dans d'autre unités (unité de médecine physique et réadaptation, unité médicochirurgicale de neurochirurgie, etc.), ce qui explique certains chiffres très faibles ou nuls.
En moyenne, 58 patients (de 13 à 145) sont pris en charge en hôpital de jour chaque semaine dans les services de rhumatologie des CHU français. Parmi eux, en moyenne 2 patients (les extrêmes allant de 0 à 25) ont une lombosciatique, ce qui représente de 0 à 45 % des hospitalisations de jour, mais un quart des centres hospitaliers ont l'intention d'accroître ce recrutement (tableau I). Le CHU de Nantes (service dirigé par le Pr Y. Maugars) est celui qui a le plus développé cette prise en charge, en accueillant jusqu'à 25 patients par semaine (avec, selon les besoins, des examens d'imagerie − notamment une IRM −, une consultation de rhumatologie et de neurochirurgie, une infiltration du hiatus sous échographie, une consultation de diététique et de kinésithérapie).
Seuls 10 des 23 CHU interrogés reçoivent en hospitalisation de semaine, accueillant de 1 à 35 patients par semaine, dont 1 à 20 souffrant de lombosciatique. La majorité des services souhaitent garder le même nombre de lits d'hôpitaux de semaine, 5 souhaitent le baisser et 3, l'augmenter.
En hospitalisation continue, le nombre de lits moyen est de 20 (10 à 28), et les lombosciatiques représentent en moyenne 4 hospitalisations par semaine, avec des extrêmes allant de 0 à 8. Un seul centre envisage d'en accroître le nombre, 3 envisagent de le réduire et les autres, de le stabiliser.
Le nombre d'infiltrations faites par service (en externe ou en hospitalisation) est en moyenne de 7, 4 et moins de 1 par semaine pour, respectivement, les épidurales (0 à 40), les infiltrations par le hiatus (0 à 30) et les infiltrations foraminales (0 à 4) [tableau II].
Demain
Demain, chacun verra comment il doit organiser la prise en charge des lombosciatiques dans sa région.
Il est vraisemblable que la part des patients hospitalisés pour une semaine ou en hospitalisation continue, déjà faible, stagne ou diminue. Ces patients pourraient toutefois être reçus en hôpital de jour, et certains centres le font ou l'envisagent, en regroupant des activités d'enseignement (diététique, rééducation), d'imagerie (radiographie, tomodensitométrie, IRM), des gestes techniques (la place des infiltrations, tout comme leur voie, restant débattue) et des avis médicochirurgicaux (qui concluent souvent à l'absence d'indication, d'ailleurs).
La possibilité de prise en charge en hôpital de jour, selon la circulaire “frontière” actuellement en vigueur impose :
- que la prise en charge donne lieu à une admission dans une structure d'hospitalisation individualisée disposant de moyens en locaux, matériel et personnel, et notamment des équipements adaptés permettant de répondre aux risques potentiels du ou des actes réalisés ;
- que la prise en charge soit pluridisciplinaire ou pluriprofessionnelle, en mobilisant au moins 1 professionnel médical (par exemple, un rhumatologue et un neurochirurgien) et 2 autres professionnels médicaux, paramédicaux ou socioéducatifs (par exemple, un diététicien et un kinésithérapeute) ou au moins 2 actes relevant de 2 techniques différentes (ce qui est rare pour une lombosciatique, une seule infiltration échoguidée
ou radioguidée étant faite un jour donné) et qu'elle donne lieu à la rédaction d'un compte-rendu d'hospitalisation ou de la lettre de liaison ;
- que l'état de santé du patient présente un terrain à risque impliquant que des précautions particulières soient prises dans le cadre des examens ou des soins réalisés, ce qui peut être envisagé pour des patients ayant des troubles de la coagulation justifiant une surveillance étroite après une infiltration.
Toutefois, la viabilité économique de la prise en charge peut varier dans le temps, car elle est tributaire des critères définis par cette circulaire, qui est susceptible d'être modifiée.
Peut-être que cet état des lieux permettra de suggérer une position commune dans la prise en charge des lombosciatiques en milieu hospitalier sous l'impulsion de la Société française de rhumatologie ?
Remerciements
Les auteurs remercient les Drs et Prs P. Fardellone (Amiens), E. Legrand (Angers), D. Wendling (Besançon), T. Schaeverbecke (Bordeaux), C. Marcelli (Caen), C. Roux (Paris, Cochin), A. Bohm et J.F. Maillefert (Dijon), A. Baillet (Grenoble), J. Corli et B. Cortet (Lille), P. Vergne et P. Bertin (Limoges), P. Lafforgue (Marseille), M. De Bandt (Martinique), X. Chevalier et P. Claudepierre (Paris, Mondor), Y. Maugars (Nantes), B. Combe et J. Morel (Montpellier), V. Breuil (Nice), B. Fautrel (Paris, La Pitié), E. Gervais (Poitiers), P. Guggenbuhl (Rennes), G. Avenel et O. Vittecocq (Rouen), F. Berenbaum (Paris, Saint-Antoine), A. Amouzougan et T. Thomas (Saint-Étienne) et A. Cantagrel (Toulouse) pour leur aide dans l'obtention des données.