Le nombre de fractures ostéoporotiques augmente en raison du vieillissement de la population et de l'augmentation du nombre de sujets âgés et fragiles. Les fractures prévalentes sont le principal facteur de risque de fracture incidente, même en prenant en compte l'effet de l'âge et de la diminution de la densité osseuse : le risque de fracture de l'extrémité supérieure du fémur ou d'une vertèbre est multiplié par 2 en cas d'antécédent de fracture ostéoporotique, et un antécédent de fracture vertébrale multiplie par 4 le risque de récidive. Mais cette augmentation du risque n'est pas constante dans le temps : elle est plus importante dans les suites immédiates du 1er événement fracturaire. Cela a conduit au concept d'“imminent fracture risk” (1), que l'on pourrait traduire en français par “risque de fracture à court terme”, pour éviter le terme alarmiste d'“imminent”.
Récidives précoces des fractures ostéoporotiques
Les fractures prévalentes de l'ESH (extrémité supérieure de l'humérus), des vertèbres ou de l'ESF (extrémité supérieure du fémur) augmentent le risque d'autres fractures ostéoporotiques essentiellement au cours de la 1re année (2). Près de la moitié des récidives fracturaires (41 % chez les femmes et 52 % chez les hommes) surviennent dans les 2 ans suivant la 1re fracture (3).
Le suivi de 4 140 femmes de 50 à 90 ans a confirmé que 23 % des récidives fracturaires surviennent dans l'année suivant le 1er événement, et 54 % dans les 5 ans (4). Dans une population de plus de 18 000 hommes et femmes, 20 % des récidives fracturaires se produisent au cours de la 1re année, 34 % dans les 2 ans (5). Le suivi de plus de 377 000 femmes âgées de plus de 65 ans après une fracture montre que 10 % connaissent une récidive au cours de la 1re année, 18 % dans les 2 ans, et 31 % dans les 5 ans (6). Ainsi, le risque relatif de fracture en cas de fracture prévalente est d'environ 2 dans la plupart des études, mais varie dans le temps : le risque de récidive de fracture majeure dans l'année suivant la 1re fracture est 2,7 fois plus élevé que le risque fracturaire de la population générale dans une grande étude islandaise (5), et 5 fois plus élevé, en considérant l'ensemble des fractures, dans une étude de population générale aux Pays-Bas (4).
Le risque précoce existe quelle que soit la fracture initiale. Le niveau de preuve le plus élevé de cette observation a été établi pour les fractures vertébrales. Dans le groupe placebo d'un essai thérapeutique conduit chez des femmes âgées en moyenne de 74 ans, avec un T-score moyen du rachis de −2,6, et dont plus de la moitié avaient au moins 1 fracture vertébrale, 19 % des patientes ont eu une récidive de fracture vertébrale dans l'année suivant la 1re fracture vertébrale incidente (7). Par comparaison, l'incidence des fractures vertébrales n'a été que de 4,6 % chez des femmes ayant les mêmes caractéristiques, mais dont la fracture vertébrale prévalente était de date inconnue. Sur les 4 ans de suivi de plus de 3 300 femmes âgées en moyenne de 74 ans ayant une densité osseuse très basse (T-score de −3 au rachis) et recevant seulement du calcium et de la vitamine D, le risque de nouvelle fracture vertébrale au cours des 2 dernières années de suivi était 2 fois plus élevé chez les patientes ayant eu une fracture vertébrale dans les 2 premières années que chez les patientes sans fracture incidente dans cette période initiale (8). Ces données sont confirmées pour les fractures périphériques : dans la Study of Osteoporotic Fractures, qui a porté sur plus de 8 000 femmes ménopausées, le lien déjà connu entre fracture de l'ESH et fracture de l'ESF a été confirmé ; toutefois, le risque de fracture de l'ESF est multiplié par 5,7 au cours de l'année suivant la fracture de l'ESH par rapport à celui des patientes n'ayant pas souffert d'une telle fracture, et n'est plus significatif au-delà de la 1re année (9). L'âge intervient dans ce risque précoce : le risque de récidive fracturaire précoce est 3 fois plus élevé chez les femmes âgées de 80 à 89 ans que chez celles âgées de 50 à 59 ans (10). Parmi 184 patients institutionnalisés, âgés en moyenne de 89 ans, ayant souffert d'une fracture de l'ESF, 6 % ont de nouvelles fractures au cours des 6 premiers mois, et 12 % au cours de la 1re année (11). Le taux de récidive de fracture de l'ESF dans une cohorte de plus de 169 000 patients âgés est de 9 % au cours de la 1re année, et la mortalité est plus élevée dans cette population (12).
Peut-on évaluer un risque précoce chez des patients n'ayant pas encore eu de fracture ?
Ce point a été étudié à partir d'une grande base de données administrative américaine, dans laquelle le diagnostic d'ostéoporose (mais pas la valeur du T-score) est disponible, ainsi que les fractures incidentes. Les déterminants de la 1re fracture ostéoporotique présents dans l'année qui précède étaient, sans surprise, les chutes, mais aussi les altérations des fonctions cognitives et la prise de traitements agissant sur le système nerveux central (13).
Comment s'explique une récidive précoce ?
La 1re explication possible de ce phénomène est que, paradoxalement, le traitement de la fracture et les soins postfracturaires peuvent être une cause d'augmentation du risque de chute et de fracture : troubles cognitifs provoqués par l'anesthésie, risque de chute augmenté par la rééducation, les plâtres, les aides à la marche (1)…
Surtout, les risques osseux qui sont à l'origine du 1er événement ne sont le plus souvent pas éliminés. La suppression des facteurs de risque de chute n'est pas toujours réalisée, comme l'a montré une étude portant sur 168 000 sujets, âgés en moyenne de 80 ans, hospitalisés pour fracture par fragilité osseuse : 70 % de ces sujets recevaient au moins 1 traitement associé de manière certaine à l'augmentation du risque de chute, donc de fracture, et cette proportion était inchangée à la sortie de l'hôpital (14). Dans cette étude, l'événement fracturaire n'a pas été un moment privilégié de prise en compte du risque de récidive et de sa prévention.
Les traitements sont-ils efficaces sur le risque précoce de récidive ?
Plusieurs études prospectives randomisées contre placebo ont démontré l'effet antifracturaire des traitements antiostéoporotiques. Les patientes de ces essais cliniques ont été sélectionnées en raison d'une augmentation du risque de fracture, fondée sur une densité osseuse basse, et/ou la présence d'une fracture vertébrale. Mais, dans la quasi-totalité de ces essais cliniques, la date de survenue des fractures prévalentes est inconnue. La seule étude prospective réalisée dans un contexte de fracture récente est celle concernant l'acide zolédronique, chez des patientes ayant souffert d'une fracture de l'ESF dans les 6 mois précédents : elle a montré une diminution significative du risque fracturaire (15). Dans les autres essais cliniques, l'incidence des fractures est très faible au cours de la 1re et de la 2e année, puisque la plupart des patientes incluses n'avaient pas eu de fracture très récente. On peut seulement constater, au-delà de la signification statistique, que les courbes d'incidence fracturaire des groupes traités et des groupes placebo divergent après 6 ou 12 mois, pour les fractures vertébrales, et 18 à 24 mois, pour les fractures périphériques. Dans l'étude comparant le risédronate et le tériparatide, une analyse post hoc montre que le caractère récent de la fracture vertébrale à l'inclusion ne modifie pas le bénéfice du traitement antifracturaire (16). Dans ces situations de risque précoce, les traitements non pharmacologiques n'ont pas été étudiés. Les essais de prévention des chutes ont des résultats variables sur le risque de fracture, mais il est certainement utile de mettre en place un programme individualisé (17, 18) de prévention des chutes chez ces sujets fragiles.
Conclusion
Une fracture récente est un facteur de risque fracturaire plus important qu'un antécédent de fracture. Cela a 2 conséquences pratiques, dans la décision thérapeutique individuelle et dans l'organisation des soins, et encourage à mettre en place systématiquement des parcours spécifiques (filières fractures) apportant la meilleure prise en charge, pharmacologique et non pharmacologique, chez les sujets ayant récemment eu une fracture (19).