“Sans diagnostic, tout traitement est irrationnel.” Cette citation, que nous tenons d'Hippocrate, trouve une résonance particulière s'agissant de la lombalgie. Le diagnostic de lombalgie “non spécifique”, tel qu'il est proposé par nos collègues anglo-saxons dans la série publiée dans le Lancet en 2018, suppose qu'en l'absence de source nociceptive plausible facilement identifiable, il n'en existe aucune et qu'il n'y a pas d'intérêt à mener une enquête anatomique ou à phénotyper les patients souffrant de lombalgie [1]. À l'heure où la plupart des spécialités médicales s'orientent vers une médecine de précision, c'est‑à‑dire vers des traitements personnalisés en fonction du phénotype complet des patients, cette approche d'un symptôme aussi fréquent que la lombalgie a de quoi surprendre et est loin d'être partagée par tous [2]. Depuis 30 ans, la lombalgie non spécifique reste en tête des causes d'années de vie vécues en situation de handicap dans le monde, dans 126 des 195 pays ou territoires étudiés [3]. Cet échec apparent des approches à la fois conceptuelles (par exemple, le modèle biopsychosocial) et thérapeutiques de la lombalgie proposées au cours des dernières décennies pourrait justement s'expliquer par le manque de précision du phénotypage des patients souffrant de lombalgie, d'une part, et par l'imprécision des traitements proposés qui en découle, d'autre part. Il reflète également les limites de la façon dont les enquêtes diagnostiques, les tests cliniques et l'imagerie sont exploités, lesquels manquent de spécificité s'ils sont interprétés de manière isolée. Trois raisons peuvent expliquer ces observations.
- La première raison est que le phénotypage des patients ayant une pathologie de l'appareil locomoteur considérée comme “non spécifique” est complexe en raison de l'hétérogénéité clinique des patients et du caractère multifactoriel à la fois des causes et des conséquences de ces maladies. Son intérêt est aussi controversé : certains auteurs anglo-saxons et scandinaves considèrent le phénotypage comme une démarche “populaire”, voire délétère [1], car il est responsable selon eux d'investigations inutiles et coûteuses et d'une surmédicalisation. Ces derniers prônent au contraire un “déphénotypage”, voire une “démédicalisation”, des patients ayant une pathologie non spécifique de l'appareil locomoteur et un accompagnement global psychosocial en soins primaires de type “positive health” [1], qui comporte un risque évident de dérives holistiques et pseudo-scientifiques.
- La deuxième raison est la difficulté à modéliser en laboratoire des interventions multidimensionnelles complexes et à proposer des modèles précliniques pertinents.
- Enfin, la troisième est la difficulté à évaluer dans des essais cliniques de haut niveau des interventions non pharmacologiques multidimensionnelles complexes.
Dans ce numéro, les auteurs montrent qu'une approche multidisciplinaire et rationnelle du patient souffrant de lombalgie doit permettre de gagner en précision dans le diagnostic étiologique et l'évaluation du handicap et in fine de proposer des traitements non pharmacologiques et pharmacologiques ciblés. Les innovations méthodologiques doivent permettre d'envisager une évaluation scientifique de l'intérêt de ces stratégies fondées sur le phénotypage dans la lombalgie.