L'exploration du métabolisme phosphocalcique (EMPC) doit être réalisée non seulement dans l'exploration d'ostéopathies fragilisantes mais aussi en présence de symptômes évocateurs d'anomalies de la calcémie et de la phosphatémie ainsi qu'en présence de lithiases rénales et de calcifications des tissus mous.
Les symptômes évocateurs d'anomalies de la calcémie et de la phosphatémie sont souvent peu importants, même en présence d'anomalies biologiques très significatives, et très peu spécifiques, donc souvent négligés. C'est le cas de l'asthénie, des troubles digestifs en présence d'une hypercalcémie, des fourmillements en présence d'une hypocalcémie, ou des myalgies en présence d'une hypophosphatémie. Ces symptômes doivent cependant inciter à faire des dosages des paramètres phosphocalciques de base, car une cause doit toujours être recherchée et traitée en cas d'anomalie.
En ce qui concerne les lithiases rénales, malgré leur fréquence élevée, les diagnostics étiologiques sont parfois peu étayés, alors qu'une hypercalciurie (principal facteur de risque de lithiase), associée ou non à une anomalie de la calcémie ou de l'hormone parathyroïdienne (PTH), conduira à des diagnostics et des prises en charge très différents : parathyroïdectomie (PTX) en cas d'hyperparathyroïdie primaire (HPP), ce qui représente 5 à 10 % des étiologies des lithiases rénales, ou prise de thiazidiques en cas d'hyperparathyroïdie secondaire (HPS) due à une fuite rénale de calcium. Des tests spécifiques, en particulier celui à l'hydrochlorothiazide, aideront à différencier ces 2 diagnostics [1]. Ces 2 situations imposent de rechercher un retentissement osseux dont l'évolution, comme celle du risque lithiasique, sera favorable avec une prise en charge adaptée à la cause. Une fuite rénale de phosphate, isolée ou associée à d'autres fuites électrolytiques rénales, découverte dans un contexte de lithiase rénale, fera rechercher des tubulopathies, dont certaines sont associées à un risque fracturaire et/ou à un tableau d'ostéomalacie influencé favorablement par un traitement spécifique : phosphore, correction de l'acidose, etc. [2].
Dans l'exploration d'une ostéopathie fragilisante, quand on la découvre ou lors d'une aggravation brutale non prévisible, une mesure des concentrations des paramètres phosphocalciques de base sanguins et urinaires, des hormones calciotropes (PTH, vitamine D), des marqueurs du remodelage osseux, de la concentration de phosphatase alcaline (PAL) sera réalisée en pratique courante et pourra être complétée au besoin par le dosage de l'hormone régulant l'homéostasie du phosphate, FGF23, et dans des structures spécialisées, par des tests dynamiques et des recherches génétiques ciblées permettant des diagnostics étiologiques et des prises en charge, là encore, très différentes. Par exemple, une hypercalcémie avec PTH normale haute, donc inadaptée, est le plus souvent une HPP, mais s'il s'y associe une excrétion fractionnelle basse du calcium des urines des 24 heures, cela peut révéler une hypercalcémie hypocalciurique familiale (HHF) génétique bénigne. Sa confirmation s'appuiera sur des tests de charge calcique intraveineuse [3] et des recherches génétiques [4] réalisées en milieu spécialisé. Cette HHF, associée à un risque osseux non lié à cette particularité génétique, ne sera pas un obstacle aux traitements classiques de l'ostéoporose postménopausique, alors qu'en cas d'HPP ces traitements n'ont pas montré d'efficacité sur le risque fracturaire, à la différence de la PTX. On pourra les utiliser, en privilégiant les bisphosphonates seulement en cas de contre-indication de la PTX ou d'aggravation osseuse malgré une PTX, pour ne pas perdre le bénéfice de l'épargne fracturaire démontrée de la PTX isolée, par l'ajout d'un bisphosphonate [5].
Devant un tableau d'ostéomalacie (y compris de fissures de fatigue à répétition), on devra rechercher des causes rares de fuite rénale de calcium et de phosphate et d'hypophosphatasie, en ne négligeant pas un taux bas de PAL et en s'aidant, si nécessaire, de tests génétiques [2]. En cas d'élévation persistante de la PTH associée à un risque fracturaire élevé, après avoir écarté les causes habituelles d'HPS, des tests de charge calcique orale [6] ou intraveineuse [3] aideront aux diagnostics difficiles de malabsorption du calcium [7] et d'HPP normocalcémique [8]. Toutes ces pathologies doivent être identifiées car elles rendent délicate, voire contre-indiquent, l'utilisation d'antirésorbeurs.
Devant des calcifications des tissus mous, articulaires, la découverte d'une chondrocalcinose, même si celle-ci ne constitue pas une indication de PTX quand elle est associée à une HPP (à condition d'avoir fait une EMPC), conduira à rechercher une densitométrie basse, des fractures vertébrales pouvant être passées inaperçues constituant alors une indication de PTX. Devant des calcifications para‑articulaires volumineuses, la découverte d'une hyperphosphatémie conduira à une recherche d'anomalie des gènes impliqués dans les calcinoses tumorales [2]. Ces quelques situations soulignent l'intérêt pratique qu'il y a à réaliser dans de bonnes conditions (à jeun le matin !) une EMPC. Une ou plusieurs anomalies de la calcémie, de la phosphatémie, de la calciurie, de la phosphaturie ou des hormones calciotropes peuvent être retrouvées. Une bonne interprétation est liée à une bonne connaissance de l'homéostasie du calcium et du phosphate [9] et des contraintes analytiques des différents dosages disponibles en pratique courante. Les limites de certains dosages doivent être connues : ainsi, la calcémie totale est beaucoup moins précise que la calcémie ionisée (réalisable seulement dans des centres spécialisés) pour le diagnostic d'HPP [10]. Les corrections par l'albumine apportent peu ou pas d'amélioration de la sensibilité au diagnostic [11]. Il faudra donc ne pas négliger une calcémie à la limite supérieure de la norme associée à une PTH anormale. Une bonne interprétation de l'anomalie ou de l'association d'anomalies passe, en particulier, par une confrontation des couples calcémie/PTH. Une bonne utilisation des normes, tout particulièrement pour la PTH, permettra de ne pas négliger des formes modérées d'HPP à PTH normale ou normocalcémique. En effet, ces formes présentent des risques, notamment fracturaires, équivalents à ceux des formes de présentation biologique plus importante,
et évoluent favorablement après PTX [12].
La démarche diagnostique doit utiliser graduellement les différents outils, tels que les paramètres phosphocalciques de base sanguins et urinaires ainsi que les hormones calciotropes. Du fait de la fréquence de l'insuffisance en 1,25-OH-D, avant d'envoyer dans un centre spécialisé, il sera nécessaire de corriger durablement cette anomalie qui rend toujours délicate l'interprétation des explorations dynamiques. Le dosage de la 1,25‑OH-D, qui est compliqué, ne devrait être prescrit qu'en 2e intention devant :
- une hypercalciurie (avec ou sans hypercalcémie) et une PTH basse ou normale basse pour éliminer une élévation de la 1,25-OH-D liée à une granulomatose ou à une hypersensibilité à la vitamine D ;
- un diabète phosphaté primitif pour savoir si la 1,25-OH-D est élevée (réponse physiologique à une hypophosphatémie) ou non (ce qui peut orienter vers une tumeur sécrétant une phosphatonine comme le FGF23) ;
- un rachitisme vitaminorésistant (RVR) pseudocarentiel (dans le RVR de type 1,
du fait de mutations inactivatrices du gène CYP27B1 codant pour la 1α-hydroxylase, la concentration de 1,25-OH-D est effondrée, alors qu'elle est élevée dans le RVR de type 2, du fait de mutations du gène codant pour le VDR).
Une anomalie isolée ou des anomalies complexes non expliquées facilement pourront être explorées dans des structures spécialisées permettant de réaliser des tests dynamiques (charge calcique orale [6, 7] ou intraveineuse [3], test à la PTH [13], etc.) et des recherches génétiques. Des prises en charge adaptées au diagnostic du trouble du métabolisme phosphocalcique seront alors possibles. Pour obtenir la meilleure efficacité dans la prévention de la récidive d'une lithiase rénale, de fractures ou d'une ostéomalacie, le traitement médicamenteux ou chirurgical devra cibler la cause et non le symptôme.