L'ostéoporose reste aujourd'hui une maladie chronique largement sous‑diagnostiquée et insuffisamment traitée, ou mal traitée si l'on considère la fréquente prescription d'une simple supplémentation en calcium et en vitamine D chez les patients le plus à risque de fracture, en l'occurrence ceux venant d'avoir une première fracture ostéoporotique. De nombreux facteurs concourent à cette mauvaise prise en charge, et on peut citer pêle-mêle une prise en compte insuffisante du retentissement de cette maladie sur la qualité de vie des patients, sur leur perte d'autonomie et sur le risque accru de morbimortalité, la difficulté à bien appréhender, pour les malades et leurs médecins, le rapport bénéfices/risques des traitements, la médiatisation d'événements indésirables sévères mais rares, l'absence de bénéfice immédiat perçu par les patients sous traitement, etc.
On peut indiscutablement ajouter à cette liste la complexité du parcours de soins d'un patient après la survenue d'une fracture ostéoporotique non vertébrale. Ce parcours débute le plus souvent aux urgences d'un établissement hospitalier, se poursuit le cas échéant en salle d'opération, puis en service d'orthopédie. Il peut se prolonger par un séjour en soins de suite et de réadaptation avant, dans le meilleur des cas, le retour au domicile du patient, sous la responsabilité du médecin traitant et de différents professionnels de santé (kinésithérapeute, infirmière, pharmacien), qui assurent alors sa prise en charge. Cette segmentation du parcours de soins est liée à la spécificité de chacune de ces étapes et dépend des compétences respectives des différentes équipes médicales, qui ont pour objectifs principaux la consolidation de la fracture et la récupération la plus complète possible des capacités fonctionnelles et de l'autonomie du patient. Mais aucune de ces différentes étapes n'est réellement dédiée à l'identification de la maladie chronique sous-jacente, à son diagnostic et à l'instauration de son traitement à la fois pharmacologique et non pharmacologique, comme le ferait, par exemple, un cardiologue gérant à la fois l'événement coronarien aigu chez un malade et les comorbidités sous-jacentes ayant favorisé sa survenue : hypertension artérielle, hypercholestérolémie, etc.
Ce phénomène est d'autant plus problématique que la communication des informations entre les intervenants des différentes phases de ce parcours de soins reste aujourd'hui succincte et certainement perfectible.
La première solution apportée à ce problème a été de créer des filières intraétablissement, une idée originale venue d'Écosse sous l'acronyme FLS, pour fracture liaison service [1], avec la mise en place d'une structure et de professionnels de santé dédiés pour la faire fonctionner, structure destinée à coordonner la prise en charge du malade entre les services d'urgence, d'orthopédie, de radiologie et ceux prenant en charge la pathologie osseuse et le risque de chute. Ces FLS ont ensuite été modélisés [2], allant d'un niveau d'intervention très élevé, avec instauration du traitement et suivi du patient, jusqu'à de simples recommandations, en passant par des niveaux intermédiaires de délégation d'instauration thérapeutique ou de suivi aux médecins traitants. De nombreuses évaluations en recherche clinique ont montré l'efficacité de ces programmes avec un taux de patients traités plus élevé [3], une observance thérapeutique plus longue [4], une réduction du risque de fracture ultérieure dans certains de ces travaux et même une réduction de la mortalité à la suite d'une première fracture [5], soulignant combien mieux prendre en charge un patient de manière coordonnée améliore globalement son état de santé.
Mais le FLS ne peut être la solution à toutes les situations, particulièrement dans un pays comme la France où la taille des établissements hospitaliers prenant en charge des patients pour fracture est extrêmement inhomogène et les ressources médicales disponibles au sein de ces établissements très variables en fonction de l'environnement – rural ou urbain –, de la taille de l'agglomération et du mode de fonctionnement – public ou privé. En clair, si la cinquantaine de FLS identifiés en France peut jouer un rôle significatif dans la prise en charge des patients ostéoporotiques qu'ils sont amenés à suivre, cela ne peut représenter qu'un faible pourcentage de l'ensemble des patients ayant une fracture.
D'autres solutions de coordination des soins sont donc indispensables. C'est ce qui a été imaginé avec le programme PRADO, déjà présent dans les services d'orthopédie, pour faciliter le retour à domicile des patients hospitalisés pour des chirurgies programmées et son extension aux patients hospitalisés pour une fracture de fragilité. Dans ce programme, les agents délégués par l'Assurance maladie sont à la fois en charge de sensibiliser le patient à la nécessité d'évaluer et de traiter l'ostéoporose sous-jacente à la fracture qu'il vient d'avoir et de s'assurer qu'à la sortie de l'hôpital le patient sera revu dans un délai court par son médecin traitant, qui, lui-même, pourra mettre en place et suivre une prise en charge – pharmacologique et non pharmacologique – adaptée. Cette démarche a priori intéressante n'a pour l'instant pas rencontré le succès espéré il y a maintenant plusieurs années, lors de son lancement, et elle semble encore très disparate selon les centres. Elle est notamment confrontée à la nécessité de la prise en compte du problème par les équipes des services d'orthopédie elles-mêmes, ainsi que par le malade ou son entourage familial, pour enclencher le programme. Or, cette période postopératoire immédiate, a fortiori en cas de fracture sévère, n'est souvent pas le moment le plus propice pour parler d'ostéoporose, alors que tous sont concentrés sur les suites de la fracture, la douleur, la perte de repères et le spectre de la perte d'autonomie.
Une autre solution actuellement expérimentée dans le cadre de la stratégie “Ma santé 2022” est d'imaginer une coordination du parcours de soins du patient dans laquelle le coordinateur n'est plus intrahospitalier, comme c'est le cas dans un FLS, mais extrahospitalier, au sein d'une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Cette solution a pour avantage d'être beaucoup plus adaptable et taillée sur mesure, en fonction des moyens disponibles dans le territoire qu'elle couvre. Elle permet aussi, au sein de chacune des CPTS établies, de définir le rôle respectif des différents intervenants : le médecin généraliste, le kinésithérapeute, le dentiste et le rhumatologue comme spécialiste des pathologies osseuses pour les cas complexes. Ces structures multidisciplinaires doivent permettre non seulement d'améliorer l'utilisation transversale des compétences de chacun, mais aussi de faciliter la communication et la formation de tous. Les premières évaluations des expérimentations en cours devraient débuter prochainement.
En conclusion, si coordonner le parcours de soins d'un patient atteint d'ostéoporose est un élément aujourd'hui important dans l'amélioration de la prise en charge de sa maladie, c'est bien la diversité des solutions proposées qui est intéressante, car c'est celle qui est la plus adaptée à l'environnement médical et aux ressources disponibles qu'il faut développer pour optimiser ces parcours.