La polyarthrite rhumatoïde (PR) est une maladie inflammatoire fréquente, potentiellement sévère, mais pour laquelle la multiplication récente des options thérapeutiques et l'évolution des concepts thérapeutiques (traitement à la cible : treat to target, ou T2T ; suivi rapproché : tight control) ont, d'une part, élargi l'arsenal thérapeutique, et, d'autre part, modifié le pronostic, en particulier fonctionnel, de la maladie. Ces concepts ont également conduit à une augmentation de l'exigence de résultat thérapeutique dans la PR, avec l'individualisation d'une population de patients en réponse insuffisante (pour lesquels un faible niveau d'activité de la maladie n'a pas été atteint) à plusieurs traitements d'action lente.
L'absence d'atteinte de la cible thérapeutique mène au renforcement du traitement ou à un changement de cible dans le cadre d'un suivi rapproché, et cela peut conduire à un turnover rapide des différentes classes thérapeutiques disponibles. Cette situation peut traduire une gravité ou une sévérité plus importante de la maladie. L'EULAR a proposé de catégoriser ces patients comme étant “difficiles à traiter” (D2T : difficult to treat).
Une définition proposée [1, 2]
La reconnaissance de cette catégorie de patients est fondée sur 3 dimensions de la maladie : l'échec des traitements antérieurs, l'activité de la maladie, la perception de la difficulté prise en charge par le médecin et/ou le patient (encadré, voir sur le PDF).
On voit ainsi que, en cas d'échec du traitement, sont pris en compte le nombre et le mécanisme d'action des traitements, le niveau d'activité de la maladie mesurée grâce aux scores d'évaluation chiffrée, mais aussi, plus largement, la perception que la maladie du patient est difficile à traiter.
Des caractéristiques épidémiologiques [3]
En appliquant la définition proposée, on observe que cette situation n'est pas exceptionnelle : elle concerne 5 à 20 % des patients atteints de PR selon les séries rapportées dans la littérature, et elle est assortie d'un coût socioéconomique de la maladie plus élevé.
Il s'agit en fait d'un ensemble hétérogène comportant 3 sous-groupes :
- des patients non adhérents et insatisfaits ;
- des patients avec syndrome douloureux résiduel et obésité ;
- des patients atteints de PR véritablement réfractaires au traitement.
Des facteurs de risque de D2T ont été individualisés, en particulier un statut socioéconomique bas, de même que des facteurs associés à cet état de D2T :
- une limitation des options thérapeutiques du fait des effets indésirables des traitements et des comorbidités ;
- un désaccord entre le médecin et le patient sur le souhait d'intensification thérapeutique ;
- une fibromyalgie et une faible résilience.
Des points à considérer ou pseudo-recommandations [2]
Un groupe de travail de l'EULAR a émis des “points à considérer”, assez proches de recommandations concernant la prise en charge de tels patients.
Ils se déclinent en 2 principes généraux : les patients concernés sont ceux qui répondent à la définition D2T et qui suivent les recommandations pour la prise en charge de la PR formulées par l'EULAR. La présence ou l'absence d'inflammation doit être établie pour guider les décisions thérapeutiques.
11 points sont détaillés.
- En cas de D2T, il faut évaluer la possibilité d'un diagnostic différentiel ou de la présence d'une pathologie associée imitant la maladie.
- En cas de doute sur l'activité inflammatoire, l'exploration ultrasonique peut être envisagée.
- Les indices composites et l'évaluation clinique doivent être interprétés avec prudence en cas de comorbidités, en particulier d'obésité et/ou de fibromyalgie.
- L'adhésion thérapeutique doit être discutée et optimisée.
- Après échec d'un 2e traitement ciblé (ou plus), et en particulier après 2 agents anti-TNF, un traitement ciblé avec un mode d'action différent doit être considéré.
- Lorsqu'un 3e traitement ciblé (ou plus) est envisagé, la dose maximale en fonction de l'efficacité et de la tolérance devrait être utilisée.
- Les comorbidités influant sur la qualité de vie doivent être considérées et prises en charge.
- Les rhumatologues doivent prendre en charge les patients porteurs d'une hépatite virale en collaboration avec les hépatologues.
- En plus du traitement pharmacologique, les interventions non pharmacologiques (activité physique, support psychologique, éducation) doivent être envisagées.
- Des informations, une éducation et un soutien approprié doivent être proposés au patient pour éclairer leur choix sur les objectifs et le traitement.
- Il convient d'envisager de proposer des programmes d'automanagement, d'information et d'éducation afin d'améliorer la capacité de prise en charge de la maladie par le patient.
Commentaires
On voit, tant dans la définition que dans les points à considérer, que cet état de difficulté à traiter ne se limite pas simplement à un nombre de traitements inefficaces ou à un score d'activité de la maladie. Il convient de bien prendre en compte les divers aspects de la difficulté, liés au patient lui-même, aux différentes comorbidités, à l'adhésion thérapeutique et au suivi rigoureux du traitement. La démarche proposée dans les points à considérer est avant tout clinique et empreinte de bon sens. Comme dans d'autres situations, il est essentiel d'analyser la ou les causes d'échec d'un traitement. Cela revient à définir de façon plus précise, d'une part, l'échec, avec une justification du nombre de traitements non efficaces – le seuil proposé ici de 2 paraît arbitraire –, d'autre part, la durée d'exposition au traitement, qui a son importance.
L'intérêt du concept de D2T est de permettre l'individualisation, la standardisation et le dépistage d'un sous-groupe de patients nécessitant une attention particulière : une meilleure prise en charge personnalisée au départ pourrait permettre d'éviter d'arriver à l'état D2T [4]. Cette stratification permet de caractériser les patients ayant une PR réfractaire avec inflammation persistante (justifiant l'escalade thérapeutique) par rapport aux autres situations de réponse inadéquate, sans inflammation, et qui relèvent plus de l'adaptation des mesures non pharmacologiques. Cela permet également d'envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques au-delà ou indépendamment des autorisations de mise sur le marché classiques (“combothérapie”, entre autres). On peut citer en exemple l'intérêt des inhibiteurs de JAK, qui semblent plus efficaces que d'autres traitements ciblés après échec de plusieurs traitements préalables [5]. Par ailleurs, cela incite à analyser le rôle éventuel de l'ordre des cibles thérapeutiques utilisées et à étudier la caractérisation immunopathogénique des formes réfractaires, comparativement aux bons répondeurs.
Finalement, cet acronyme souligne l'importance d'une évaluation et d'une prise en charge holistique du patient atteint de PR pour une meilleure gestion des traitements ciblés dont nous disposons actuellement.