Pourquoi une stratégie T2T dans le LES ?
Grâce à un diagnostic plus précoce et à des progrès dans la prise en charge, le pronostic du LES s’est considérablement amélioré au cours des dernières décennies, avec un taux de survie dépassant actuellement 90 % à 10 ans [6, 7]. Pour autant, la maladie reste associée à une morbimortalité significative, liée en particulier à la persistance d’une activité et de poussées itératives chez de nombreux patients, ainsi qu’à la mauvaise tolérance de certains traitements, notamment des corticoïdes (encadré, voir sur le PDF) [2, 6-8, 9‑13]. C’est dans ce contexte, et en s’inspirant de l’approche adoptée dans d’autres maladies chroniques, qu’un groupe d’experts internationaux a formalisé, en 2014, 11 recommandations concernant la mise en place d’une stratégie T2T dans le LES [3]. Ces recommandations indiquent en particulier que la prévention des séquelles doit être un objectif thérapeutique majeur et que les corticoïdes associés au traitement au long cours du lupus doivent être utilisés à la dose la plus faible possible pour maintenir le contrôle de la maladie et, si possible, être totalement arrêtés [3]. Le principe d’une stratégie T2T dans le LES a, par la suite, été adopté par l’EULAR dans ses recommandations de 2019, tandis que se sont poursuivis les travaux pour définir la cible thérapeutique optimale [4, 14, 15].
Quelle cible thérapeutique dans le cadre d’une stratégie T2T ?
L’objectif cible recommandé est d’atteindre la rémission, dont une définition a récemment été proposée par le groupe DORIS (definition of remission in SLE), ou, si cela n’est pas possible, d’atteindre au moins un état de faible activité de la maladie, conformément au critère LLDAS (lupus low disease activity state) développé par le consortium APLC (the Asia Pacific lupus collaboration) (tableau, voir sur le PDF) [3, 4, 14, 16]. Les critères de rémission DORIS ont été établis au vu des conclusions de plusieurs revues de la littérature (sur l’utilité d’inclure ou non la “sérologie lupique” dans la définition de la rémission, sur le choix du score d’activité, etc.), tandis que le LLDAS, après avoir été défini de manière consensuelle, a été proposé sur la base d’une 1re étude de validation menée chez 191 patients, étude qui a montré que les patients qui restaient au moins pendant 50 % du temps d’observation (3,9 ans en moyenne) avaient environ 2 fois moins de risque de développer des séquelles que ceux qui n’atteignaient pas cette cible [4, 16].
Point important : la rémission selon DORIS n’implique pas l’absence de traitement (étant donné qu’il s’agit d’un objectif rarement atteignable au cours du lupus), ni non plus de durée minimale de maintien spécifique (même si une rémission “durable” paraît un objectif souhaitable) [4].
Quelles sont les preuves actuellement disponibles à l’appui de l’approche T2T du LES ?
Au cours du LES, plusieurs études observationnelles ont montré que l’atteinte d’une rémission selon les critères DORIS ou celle du LLDAS s’associe à une diminution significative du risque d’accumulation de séquelles (figure, voir sur le PDF) [2, 18]. Ainsi, par exemple, dans une étude réalisée chez 1 356 patients, le risque de nouvelles atteintes d’organes était diminué d’environ 50 % chez les patients en rémission pendant au moins 25 % de la durée de suivi (n = 1 681 ; p < 0,0001) ainsi que chez ceux en LLDAS pendant au moins 50 à 75 % de leur suivi (n = 1 513 ; p < 0,0001) [19]. Certaines données issues d’études de cohorte suggèrent également un bénéfice possible de la rémission ou du LLDAS en termes d’amélioration de la qualité de vie et de réduction de la mortalité [18, 20, 21]. De plus, dans le contexte des essais cliniques, le LLDAS et la rémission commencent à être intégrés en tant que critères secondaires de jugement ou d’analyses post hoc, avec, pour le LLDAS, des résultats positifs allant dans le sens des données observationnelles [2].
Dans l’état actuel des connaissances, la stratégie T2T est‑elle applicable en clinique ?
La rémission selon les critères DORIS semble être un objectif obtenu de façon durable chez environ 10 à 40 % des patients en fonction des études [2]. Logiquement, le LLDAS, qui repose sur des critères moins exigeants, est plus facilement atteignable [2, 6]. Ceci étant, même si ces données constituent un élément supplémentaire en faveur de la stratégie T2T, plusieurs étapes sont encore à franchir pour aboutir à son implémentation en pratique quotidienne :
- tout d’abord, comme cela a été fait dans la PR, il reste à démontrer dans une étude randomisée contrôlée que la stratégie T2T avec intensification thérapeutique, si les objectifs ne sont pas atteints, procure des bénéfices significatifs comparativement à une approche thérapeutique conventionnelle [2, 5]. Ce type d’étude permettra non seulement de prouver la relation causale entre rémission/ LLDAS et amélioration du pronostic, mais également de valider les cibles thérapeutiques actuellement définies pour leur adoption comme critères principaux dans les essais thérapeutiques dans le LES et leur intégration dans les recommandations de pratique clinique [2]. Dans ce contexte, les résultats de l’étude LUPUS-BEST actuellement en cours sont très attendus [5] ;
- autre difficulté à surmonter, celle concernant l’utilisation des scores d’activité de la maladie et particulièrement celle du score PGA, pour lequel un manque de reproductibilité existe [22]. Dans ce domaine, le tout récent consensus international sur la standardisation de l’utilisation du PGA devrait permettre d’améliorer les pratiques [22] ;
- enfin, seront également à définir plus précisément le temps adéquat pour atteindre la cible sous traitement, le rythme optimal de surveillance de la maladie, la durée minimale nécessaire de maintien à l’objectif cible, et la stratégie d’adaptation thérapeutique la plus pertinente pour atteindre la cible.
Même si des défis restent à relever, la stratégie T2T dans le LES n’en apparaît pas moins comme une approche extrêmement prometteuse, ce d’autant que l’arsenal thérapeutique tend à s’enrichir, parallèlement à une meilleure compréhension physiopathologique de la maladie [2, 6, 23].