Bien qu’il s’agisse du plus “doux” des examens complémentaires, l’échographie dans les rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) peut être source de conflits :
- entre les intérêts universitaires de ses zélateurs et leur propre pratique (tous ne se servant sans doute pas au quotidien des algorithmes et scores proposés) [1] ;
- entre le temps requis pour la pratique d’un score échographique (de 15 à 20 minutes) et celui restant pour apprécier le retentissement du RIC en termes de douleurs (pouvant être dues aussi à des neuropathies sensitives intriquées), de gêne fonctionnelle, d’inflammation systémique, etc. ;
- entre auteurs des publications, quant au choix du groupe optimal d’articulations ou enthèses à échographier dans les études ;
- entre les prédictions ou promesses passées d’une très probable amélioration par l’échographie du devenir des patients et son très faible impact ultérieur dans la “vraie vie” ;
- entre les intérêts à court terme des industriels du médicament (à pousser les experts à suggérer de traiter dès l’apparition de prémices échographiques, ou à viser ensuite des “rémissions échographiques”) et les intérêts des patients‑cotisants.
Des dépenses prématurées et/ ou inefficientes en médicaments onéreux, pour seulement “traiter des images”, pourraient indirectement contribuer à réduire encore plus le numerus clausus de médecins formés en rhumatologie.
Vont être brièvement abordés dans cet article : la valeur ajoutée de l’échographie au diagnostic des polyarthrites rhumatoïdes (PR) ; idem pour les spondyloarthrites ; l’absence d’intérêt encore démontré de l’échographie pour prédire ou prévenir la survenue d’un rhumatisme en cas de psoriasis ou de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) isolés ; le peu d’incidences de l’échographie sur les choix thérapeutiques et le devenir des patients ; le manque de spécificité de l’échographie pour donner du sens au concept de “rémission échographique” ; mais aussi l’utilité certaine de l’échographie pour détecter des comorbidités comme les pathologies microcristallines ; et pour améliorer l’efficience des gestes locaux, en guidant non seulement l’aiguille, mais aussi et surtout l’opérateur, seules les articulations avec présence d’un signal doppler répondant bien aux infiltrations.
La valeur ajoutée de l’échographie pour le diagnostic positif des PR est minimisée dans les essais cliniques par sa trop bonne sensibilité et par l’usage monolithique des scores
L’échographie a des performances proches de l’IRM et est bien plus accessible [2, 3], elle est seulement moins sensible pour la détection des ténosynovites des fléchisseurs (50 % versus 87 % en IRM). En contrepartie, la spécificité de l’échographie pour la détection d’arthrites versus sujets sains est très imparfaite, a fortiori si tous les aspects du doppler sont retenus comme anormaux (alors qu’un échographiste chevronné sait n’en retenir que les plus pathologiques) et si toutes les articulations sont échographiées systématiquement, sans cibler préférentiellement celles qui ont les plus fortes valeurs prédictives positives pour le diagnostic de PR (comme la 5e tête métatarsienne, ou la gaine synoviale de l’extenseur ulnaire du carpe).
La valeur ajoutée de l’échographie pour le diagnostic des enthésites et des spondyloarthrites est encore plus pénalisée par son excès de sensibilité et son manque de spécificité, et par la difficulté à standardiser l’examen
L’examen échographique des enthésites et la manière de scorer les résultats font encore moins consensus que pour l’examen échographique des arthrites, les résultats dépendant aussi de la machine et de la manière dont l’opérateur interprète l’enthèse (il faudrait limiter l’examen à la zone exacte où le tendon, le ligament ou la capsule pénètrent l’os). Dans les études, l’échographie est apparue aussi sensible pour dépister les enthésites qu’elle l’est pour les synovites, mais elle demeure moins spécifique, notamment pour différencier les douleurs des enthèses des fibromyalgies de celles en lien avec une spondyloarthrite. En effet, il a été rapporté la présence d’enthésites en échographie chez 22,5 % [4], voire 35 % [5] des fibromyalgies isolées étudiées, même si seulement 8 % de ces dernières prenaient le doppler [4]. Une fréquence élevée d’enthésites échographiques a aussi été retrouvée dans les lupus (68 %) [6], diverses pathologies métaboliques (dialysés, goutte, etc.), et même chez 34 % à 44 % [6] des sujets sains. Il faudrait donc ne se fier, éventuellement, qu’aux résultats de l’échographie dans certaines localisations plus spécifiques des spondyloarthrites, telles les insertions du tendon d’Achille sur le calcanéum ou du quadriceps sur le sommet de la rotule [4], mais en se rappelant qu’elles peuvent aussi être concernées par des atteintes “métaboliques”.
Intérêt encore non prouvé de l’échographie pour prédire la survenue ultérieure des rhumatismes psoriasiques et des rhumatismes associés aux MICI
Même si plus de 15 études ont été réalisées chez les patients souffrant seulement de psoriasis, il n’a pas encore été montré que l’échographie était plus performante que le suivi clinique pour prédire ou prévenir la survenue d’un rhumatisme psoriasique. Cela était d’autant moins crédible que même une fois des signes rhumatologiques apparus, la pratique systématique de l’échographie n’améliore que très peu les performances des critères CASPAR : leur justesse (accuracy) ne progresse en réalité que de 89,3 % (critères CASPAR n’utilisant que des données cliniques) à 93,6 % (critères CASPAR utilisant les critères cliniques + l’échographie) [7].
Huit études ont aussi tenté de détecter par échographie des enthésites encore infracliniques (et 3 sur 8 des arthrites) chez des patients souffrant de MICI. Il est probable que, là aussi, l’échographie n’a sans doute pas d’intérêt tant que les patients ne se plaignent pas de leurs articulations ou enthèses.
L’intérêt de l’échographie pour guider les choix thérapeutiques face à une polyarthrite débutante reste encore incertain
Au vu d’un seul examen échographique d’une polyarthrite débutante, l’aire sous la courbe pour prédire la survenue d’une PR ne progresse que peu (de 0,738 à 0,872) [8], et cette corrélation ne perdure pas dans le temps. Il faudrait en fait répéter les scores à chaque visite pour leur donner un peu plus de valeur prédictive [9, 10]. La majorité des études prospectives randomisées a, de même, montré que l’échographie ne modifiait que peu ou pas le comportement des prescripteurs et le devenir des patients.
Dans l’étude randomisée ARCTIC, une rémission clinique à 2 ans sans progression structurale avait pu être obtenue chez seulement 22 % des patients bénéficiant d’un monitoring clinique et échographique versus 19 % des patients avec monitoring seulement clinique [11]. De même, dans l’étude TaSER, les résultats cliniques à 18 mois ont été les mêmes dans les 2 bras : baisse du DAS44 de respectivement –2,58 (suivi clinique) et –2,69 (suivi clinique et échographique), avec très peu de progression radiologique [12]. Trois autres études randomisées de stratégie ont de même conclu que les données de l’échographie ne modifiaient que peu (médecins juniors), ou très peu (médecins seniors), les choix thérapeutiques dans les PR, ou le devenir des patients à 6 mois, tant en termes de PRO (patient-reported outcomes) que de survenues de poussées [13].
En fin de compte, le principal intérêt de l’échographie dans les PR débutantes pourrait être de sensibiliser la détection précoce d’érosions, au moins aux mains et aux poignets (sensibilité de 61 % pour une spécificité de 95 %, les performances étant optimales à la seconde métacarpophalangienne).
La vérification de la qualité de la rémission des polyarthrites est également obérée par la trop bonne sensibilité et le manque de spécificité de l’échographie
Un hypersignal doppler est encore observé dans 60 % des cas de PR en rémission clinique, et une rémission échographique stricte n’a été constatée que chez 7 % des cas de PR en rémission DAS28-CRP durable [14], ceci étant en partie dû au fait que les synovites d’arthrose prennent souvent le doppler. Une méta-analyse de 19 travaux menés avant 2014 avait conclu que, chez 1 369 PR en rémission, des anomalies échographiques étaient présentes chez 85 % des patients, avec positivité du doppler dans environ la moitié des cas (44 % des patients) [15]. Comme cette prévalence augmente avec l’ancienneté de la PR, une partie du signal doppler pourrait résulter aussi des arthroses secondaires. Toutefois, la prise de doppler reste bien corrélée au taux résiduel de calprotectine, de VS et de CRP, et est associée à un risque majoré de :
- rechute dans l’année (multiplié par 4,5) ou au bout de 2 ans (multiplié par 9) [15] ;
- survenue d’une progression structurale (odd ratios allant de 9 à 12 selon les méta-analyses).
Reste que seule une minorité de patients progressent désormais sur le plan structural, et que la plupart des patients en rémission durable bénéficient souvent déjà d’un traitement maximal, si bien que ces échographies de patients en rémission n’ont pas beaucoup de sens en général.
Mais l’échographie reste très utile pour repérer la coexistence de certaines pathologies avec les RIC
Par exemple, d’autres sources possibles de talalgies peuvent être décelées dans les spondyloarthrites chez 26 % des patients (tendinites, bursites) et mériter parfois des gestes locaux. Dans le contexte des PR, l’échographie peut aider à déceler l’apparition d’une pathologie microcristalline (goutte, chondrocalcinose), voire une pseudopolyarthrite rhizomélique venue se “greffer” sur la polyarthrite, à confirmer des syndromes canalaires et à guider des biopsies au Tru-Cut® (qui ramènent du tissu synovial analysable dans 99 % des cas).
Et l’échographie est d’une grande utilité pour optimiser l’usage des infiltrations de corticoïdes
Une étude randomisée a conclu à la bien meilleure efficacité des gestes échoguidés pour les ténosynovites, la rémission à 4 semaines ayant été obtenue dans 64 % des cas versus 25 % dans le groupe traité par injection intramusculaire. Dans une autre étude randomisée, sur 244 articulations (PR dans 76 % des cas), l’échographie réduisait les douleurs liées au geste de 81 % et elle avait un meilleur résultat final sur la douleur (réduite de 35 % par rapport aux injections faites sans guidage) ainsi que sur le taux de répondeurs cliniques, sans induire de surcoût, au contraire [16]. Toutefois, l’intérêt essentiel de la réalisation des infiltrations sous échographie pourrait être de guider non seulement l’aiguille, mais aussi, voire surtout, l’opérateur, dans le choix de la ou des articulations à infiltrer sélectivement, à savoir seulement celles avec hypersignal doppler (en particulier aux métatarsophalangiennes et articulations intracarpiennes) [17].
Conclusion
L’échographie ne peut à l’évidence pas remplacer le rhumatologue pour le diagnostic d’un rhumatisme inflammatoire, et la valeur ajoutée de scores échographiques effectués de manière systématique est bien minime pour le diagnostic des PR (et encore plus minime pour celui des spondyloarthrites). Il n’y a pas non plus de preuves qu’un monitoring par des scores échographiques aide à faire un meilleur usage des traitements et à améliorer l’état des patients à moyen terme.
Toutefois, les essais cliniques ne rendent pas grâce à l’échographie de sa valeur ajoutée pour le diagnostic d’un rhumatisme inflammatoire dans les mains d’un clinicien ayant la double compétence d’être aussi un bon échographiste et sachant utiliser l’échographie à bon escient. Dans ce contexte, l’échographie ostéoarticulaire est sans doute moins chronophage et plus performante que ne le suggère la littérature. De ce fait, et même si l’approche “industrielle” (protocolisée/ universitaire) de l’utilisation de l’échographie dans les RIC a été décevante, et que certains cliniciens chevronnés peuvent à raison la considérer comme contingente, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’échographie peut aussi être un très bon outil pour aider l’artisan qu’est le rhumatologue clinicien à hâter le diagnostic, et donc le traitement, de certains RIC.
L’utilité de l’échographie pour le suivi des PR sera développée plus spécifiquement dans ce numéro par la mise au point de Gaël Mouterde et Alain Cantagrel.