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Éditorial

L’intelligence artificielle est-elle une menace ou une opportunité pour les radiologues ?


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L’accélération du développement des capacités de calcul informatique et les avancées algorithmiques récentes ont permis de voir s’imposer l’intelligence artificielle (IA) comme une technologie émergente incontournable dans nos métiers de la santé.

Cette marche technologique forcée n’est pas près de s’arrêter et va probablement s’accélérer dans les 10 prochaines années, avec des avancées infotechnologiques et biotechnologiques au moins équivalentes à celles observées au cours des 100 dernières années. Certains pressentent ainsi une “quatrième révolution industrielle”.

Les champs d’application de l’IA, en particulier dans le domaine médical, apparaissent d’ores et déjà infinis, sans que nous puissions aujourd’hui réellement en appréhender les limites exactes.

La radiologie sera en premier lieu concernée par des innovations disruptives qui émergeront dorénavant tous les ans.

Le médecin radiologue ne peut ignorer cette marche inéluctable et doit d’ores et déjà se préparer à évoluer.

Certains se sont avancés à prédire l’extinction pure et simple de notre spécialité, les radiologues devenant pour eux inutiles et inadaptés face à la puissance de raisonnement et de calcul de la machine. Cette vision consiste à considérer le médecin radiologue comme un simple producteur de comptes-rendus sans autre valeur ajoutée.

Le radiologue de demain, s’il ne veut pas être trop rapidement obsolescent, devra s’attacher à produire de la valeur ajoutée et à être encore plus que maintenant au cœur de la coordination du parcours de soins des patients, tout en restant un acteur essentiel de l’information du patient.

Nous devons donc, en tant que médecins radiologues, répondre de manière encore plus efficiente aux attentes de nos correspondants médicaux, ce qui passe par une plus grande spécialisation et une plus grande compréhension des problématiques propres à chaque spécialité médicale. La relation entre le rhumatologue et le radiologue ostéoarticulaire spécialisé est très certainement le modèle vertueux d’une coopération pertinente où chacun apprend de l’autre, au service des malades. À ce titre, les jeunes rhumatologues et radiologues en formation devraient, selon moi, ne pas se retrouver contraints et en compétition concernant leurs stages de formation, qu’il s’agisse de leur initiation aux outils diagnostiques ou aux techniques de prise en charge thérapeutique sous contrôle radiologique, scanographique ou échographique. Nous devons apprendre à changer notre point de vue corporatiste dans l’intérêt d’une coopération plus efficiente au service des malades.

Certains, comme nous à Thonon-les-Bains, ont anticipé cette évolution et créé des établissements de santé regroupant des spécialités médicales libérales sous la forme de sociétés médicales plurispécialités permettant la mise en commun de moyens humains, de compétences et d’équipements médicaux, en particulier des équipements lourds. Nous sommes même allés jusqu’à intégrer l’hôpital dans ces structures afin de dynamiser les réseaux ville-hôpital et de mieux coopérer. Ce nouveau modèle de coopération va très certainement s’imposer par son efficience et son attractivité vis-à-vis des jeunes praticiens. Ces structures permettront alors d’investir pleinement et sans réserve dans les nouveaux outils IA et de les mettre à disposition du plus grand nombre.

Demain, les outils IA ne seront pas destinés exclusivement aux radiologues, au même titre que l’échographie ou la radiologie : des outils IA simplifiés serviront probablement aux rhumatologues afin de satisfaire des besoins cliniques simples, alors que des outils IA plus avancés serviront aux radiologues ostéoarticulaires hyperspécialisés. Nous connaissons déjà une évolution du même type dans les domaines de compétence échographique : délégation aux manipulateurs radiologiques formés pour des échographies simples, fast-échographies dans les services de réanimation, échographies ostéoarticulaires de premier niveau pour les rhumatologues formés, etc. Pourquoi en irait-il différemment avec les outils IA ?

L’autre valeur ajoutée que le médecin radiologue du futur devra développer est celle de l’information du malade. Nous ne devons effectivement pas tomber dans le piège d’un acte technique radiologique pur, dénué de relation avec le malade, sous prétexte d’une absence de temps et d’hypersollicitation. Les radiologues ne doivent en aucun cas être rélégués au rang de simples signataires de comptes-rendus standardisés produits par des automates algorithmiques. Nous ne devons pas servir de simple caution médicolégale.

Dans ce sens, la radiologie interventionnelle, où le radiologue est un acteur direct au contact du malade, résistera plus longtemps au risque d’obsolescence. Cette “(sur)spécialité” radiologique devrait retrouver son odeur de sainteté auprès des étudiants de médecine du fait du contact direct avec le patient et du sens lié à l’acte thérapeutique. Toujours est-il que nos autorités de tutelle devront également savoir évoluer et valoriser à la juste valeur ces actes thérapeutiques qui, jusqu’à maintenant, ont été très largement dévalués.

Par ailleurs, il semble plus pertinent, lorsque l’on considère la radiologie et l’IA, d’envisager le concept d’un modèle hybride, plutôt que le concept du remplacement de l’homme par la machine.

En effet, pour le moment, les développements de l’IA concernent des systèmes d’organes uniques ou des structures anatomiques simples.

Bien qu’intéressantes, la plupart de ces solutions d’IA, telles qu’elles existent actuellement, ne fournissent que des pièces individuelles d’un puzzle beaucoup plus complexe, et leur(s) avantage(s) clinique(s) réel(s) reste(nt) à démontrer sur de grandes cohortes.

Nous pouvons ainsi retenir à l’heure actuelle des solutions qui tentent de répondre à des tâches :

  • répétitives (20 % de l’offre en 2019 aux États-Unis) : tâches à volume élevé et à faible complexité telles que la détection d’anomalies (ex. : détection des fractures, de nodules pulmonaires, de nodules mammaires, de lésions de sclérose en plaques, de métastases osseuses, etc.) ;
  • quantitatives (30 % de l’offre en 2019 aux États-Unis) : tâches quantitatives comprenant la segmentation automatisée des structures anatomiques avec mesures quantitatives de surface, volume ou densité (par exemple, volume de l’emphysème sur un scanner thoracique, mesure de densité osseuse sur un scanner rachidien, mesure de volume tumoral, mesure automatique du pourcentage d’atteinte parenchymateuse pulmonaire
    liée au Covid-19) ;
  • exploratoires (1 % de l’offre en 2019 aux États-Unis) : tâches de sélection d’une zone d’intérêt d’étiologie indéterminée (par exemple, un type spécifique de fibrose pulmonaire) et de renvoi d’images d’apparence similaire provenant d’une base de données de référence avec les diagnostics différentiels associés à évoquer ;
  • diagnostiques (49 % de l’offre en 2019) : tâches comprenant la classification binaire d’anomalies (par exemple, diagnostic de pneumonie sur les radiographies pulmonaires, classification des lésions mammaires, classification de masses des parties molles).

En ce qui concerne l’imagerie musculosquelettique en particulier, les offres concernent principalement l’analyse des radiographies standards pour :

  • la cotation de l’arthrose du genou ;
  • les mesures d’angles pour la hanche, les positions d’implants prothétiques, les troubles de la statique rachidienne, les troubles de la statique du pied, etc. ;
  • la détection des fractures des extrémités et de la colonne vertébrale ;
  • la quantification de la déminéralisation osseuse et du risque fracturaire ;
  • la détermination de l’âge osseux en pédiatrie, etc.

Elles concernent également, à un moindre degré, l’IRM pour la détection des lésions ligamentaires du genou, et le scanner pour la détection des fractures de la colonne et l’évaluation de l’arthrose du genou.

Autant de pièces indépendantes du puzzle que l’homme doit encore agencer pour reconstituer un puzzle complet en intégrant les données cliniques, les diagnostics différentiels, les informations patients, les éléments aggravants, les antécédents du patient, les données biologiques, les informations du correspondant, etc.).

Enfin, il semble important de rappeler à nos confrères rhumatologues que les radiologues ont déjà intégré depuis longtemps les outils IA dans leur pratique quotidienne :

  • en radiographie, avec des solutions qui incluent la correction automatique de la surexposition ;
  • en CT, avec l’amélioration des techniques de reconstruction d’images à l’aide de l’IA pour permettre des réductions de dose sans compromettre la qualité de l’image ;
  • en IRM, avec des algorithmes IA permettant de réduire considérablement les temps d’acquisition des séquences, de diminuer le bruit dans l’image et d’améliorer le rapport signal/ bruit dont le corollaire est l’amélioration du contraste image.

L’IA a donc été jusqu’à présent domptée par les radiologues, toujours dans le but d’une amélioration de la qualité des images, de leur pertinence, d’un gain de temps et de la limitation des surexpositions, dans l’intérêt des patients.

Finalement, l’évaluation minutieuse de la pertinence clinique des solutions radiologiques basées sur l’IA et l’adoption d’outils pertinents facilitant les tâches radiologiques répétitives, quantitatives, de classification et de caractérisation des anomalies radiologiques doivent permettre aux médecins radiologues 4.0 de devenir les pionniers de la transition vers une prestation de soins de santé améliorée et augmentée par l’IA.

L’image du radiologue de demain n’est donc probablement pas encore celle d’un dinosaure voué à l’extinction, mais plutôt celle d’un “centaure mi-homme, mi-IA”, comme un mariage parfait du corps et de l’esprit, de la force et de la sagesse, de la rationalité froide et de l’éthique.


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