L’ostéoporose reste la mal-aimée des maladies chroniques et on ne voit pas émerger – loin s’en faut –, de réelle prise de conscience, tant au niveau de la communauté médicale qu’au niveau des autorités de santé, de la nécessité individuelle et collective d’une meilleure prise en charge. Pourtant, plusieurs travaux récents démontrent combien les conséquences de cette maladie pour le patient et son coût réel pour la société représentent un lourd fardeau.
Si on se concentre un instant sur le seul problème de la pathologie osseuse, les données de la base du Système national des données de santé (SNDS) de l’Assurance maladie montrent en effet, dans une analyse récente portant sur 347 784 patients ayant une fracture ostéoporotique sévère survenue entre 2009 et 2014 et suivis pendant 2 à 8 ans, que 55 831 d’entre eux sont à nouveau hospitalisés pendant cette période pour une nouvelle fracture dans un délai médian de 19 mois. Le taux de ces patients réhospitalisés est de 6,3 % à 1 an et de près de 15 % à 3 ans. Cette étude montre aussi que, quel que soit le site de la fracture index, il y a 1 chance sur 2 que la fracture suivante soit une fracture de la hanche [1].
Mais ce que cette étude met surtout en avant, c’est la grande fragilité de ces patients, dont le 1er risque à court terme est de décéder. Alors que 8 925 (2,5 %) d’entre eux sont décédés au cours de leur séjour à l’hôpital lié à la fracture index, le taux de mortalité moyen 1 an après cette fracture est de 12,8 % ; il est maximal pour les patients ayant une fracture de la hanche (16,6 %) ou du bassin (10,5 %), et minimal pour ceux ayant une fracture index vertébrale (5,0 %). Pour ces patients, la durée de vie moyenne après la fracture index est, toujours d’après les données du SNDS, de seulement 20 mois.
Ces différentes données sont en partie liées, si l’on considère l’identification par les auteurs de ce travail de plusieurs facteurs indépendants de risque de mortalité relatifs à l’ostéoporose. On peut retenir, bien sûr, le site de la fracture index, le risque le plus élevé étant associé à la fracture de la hanche, mais aussi un antécédent de fracture ostéoporotique dans les 3 années précédant la fracture index, la survenue d’une nouvelle fracture après la fracture index, particulièrement une fracture de la hanche, et l’absence de délivrance d’un traitement antiostéoporotique. Ainsi, cette étude montre à nouveau une association indépendante entre la prise de ces traitements et un taux de mortalité plus faible, confortant les observations faites dans d’autres cohortes.
Pourtant, les informations quasi exhaustives sur la prise en charge de l’ostéoporose en France délivrées par la base du SNDS révèlent qu’après la fracture index identifiée, seuls 20,8 % des femmes et 4,6 % des hommes reçoivent un traitement spécifique de l’ostéoporose dans un délai médian de 6,3 mois. La proportion de patients ayant un traitement antiostéoporotique passe de 19,2 à 25,8 % après une fracture vertébrale. Une telle augmentation n’est pas observée pour les autres sites de fracture sévère. Seuls 15,1 % des patients ayant une fracture de la hanche reçoivent un traitement après cette fracture et, plus catastrophique encore, dans les 12 mois suivant la fracture de la hanche index, c’est un taux incroyablement bas de 5,8 % des patients jusque-là naïfs de traitement qui commencent un traitement spécifique de l’ostéoporose.
Alors, le problème de la fragilité osseuse sous-jacente à la survenue de ces fractures est-il tout simplement méconnu ? En réalité, ce n’est pas vraiment le cas si l’on considère que, dans le même temps, une large majorité des patients naïfs de traitement (86,4 %) se voit prescrire une supplémentation en calcium ou en vitamine D après l’apparition de la fracture index. Cette donnée incite plutôt à mieux identifier les barrières à la prescription des traitements spécifiques de l’ostéoporose et surtout à explorer les moyens de les lever, alors que seuls ces traitements ont démontré une efficacité dans la réduction du risque de fracture en dehors des situations de carence.
L’écart à la cible d’un traitement adapté à l’échelon individuel est donc aujourd’hui majeur et on ne peut pas imaginer qu’il existe à l’échelon sociétal un frein économique à une meilleure prise en charge. En effet, c’est bien le coût de la prise en charge de la fracture et non celui de l’ostéoporose qui pèse sur le budget de la santé en France et, on va le voir, de manière bien plus importante que ce qu’on l’estimait jusque-là, comme l’ont démontré 2 études récentes.
La première d’entre elles, ICUROS (International Costs and Utilities Related to Osteoporotic Fractures Study), est une étude observationnelle prospective évaluant les coûts réels relatifs à la prise en charge d’un patient de plus de 50 ans sur une période de 18 mois faisant suite à la survenue d’une fracture de la hanche, de l’extrémité supérieure de l’humérus, du radius distal ou d’une fracture vertébrale clinique dans 6 centres hospitaliers universitaires français entre 2007 et 2014 [2]. N’étaient pas inclus dans l’étude les patients ayant une fracture vertébrale peu ou non symptomatique et pris en charge en ambulatoire, ainsi que les patients déjà institutionnalisés, dont la consommation de ressources médicales déjà élevée avant la fracture rend difficile l’évaluation de celles directement liées à cette dernière.
Toutes les ressources utilisées au cours de la période de suivi et liées à la fracture ou à la prise en charge de l’ostéoporose sous-jacente étaient recueillies par questionnaire à l’inclusion dans l’étude au moment de la fracture, puis 4, 12 et 18 mois plus tard. Les coûts étaient estimés d’un point de vue sociétal, incluant les coûts directs et indirects. Les coûts d’hospitalisation étaient estimés selon la cotation GHS (groupe homogène de séjour), disponible sur le site de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (atih.sante.fr). Les équipements médicaux nécessaires incluaient à la fois ceux couverts par l’Assurance maladie et ceux à la charge du patient.
647 patients âgés en moyenne de 72,5 ans ont été enrôlés dans cette part française du projet international ICUROS et les données complètes de 434 d’entre eux ont pu être analysées. 84,1 % étaient des femmes et 17,9 % avaient déjà eu une fracture au cours des 5 années précédentes. À la suite de la fracture, 44 % des patients ont reçu un traitement spécifique de l’ostéoporose (ranélate de strontium : 5,1 % ; raloxifène : 0,46 % ; tériparatide : 3,3 % ; bisphosphonates : 35,5 %).
L’analyse de ces données colligées de manière prospective, prenant en compte l’ensemble des coûts réels de santé ainsi que les coûts indirects induits, a révélé des chiffres moyens sur la 1re année beaucoup plus élevés qu’attendus : 23 007 € pour une fracture de la hanche, 13 056 € pour une fracture vertébrale clinique, 10 319 € pour une fracture humérale proximale et 6 537 € pour une fracture distale du radius.
Ces chiffres contrastent en effet nettement avec les résultats des études publiées au cours des 10 dernières années [3‑5]. Ainsi, la plus récente d’entre elles, publiée en 2020 [5], estimait qu’en 2017 les coûts moyens dans l’année suivant une fracture étaient en France de 12 856 € pour une fracture de la hanche, 3 205 € pour une fracture vertébrale et 1 468 € pour une fracture distale du radius. En réalité, ces résultats étaient à chaque fois extrapolés à partir de données internationales, notamment du Royaume-Uni, du fait de l’absence de données brutes françaises disponibles. Certes, une précédente étude conduite en France en 2001 rapportait des chiffres comparables à partir de données brutes du PMSI [6]. Cependant, celle-ci ne prenait en compte que les coûts induits par l’hospitalisation et estimés à partir du codage de cette base de données. Surtout, elle négligeait les coûts induits par les soins de suite, notamment les séjours dans les services de soins médicaux et de réadaptation, qui concernent pourtant près de la moitié des malades.
Si l’on compare ces coûts individuels à ceux d’autres pathologies chroniques, on constate combien la consommation de ressources médicales est augmentée après la survenue d’une fracture de fragilité. Ainsi, les coûts directs annuels de prise en charge d’un diabétique de type 2 sont estimés en France à 6 506 € et les coûts d’hospitalisation à 3 866 € [7]. Autre comparateur important, le coût direct moyen de la prise en charge d’un patient au cours de l’année suivant le diagnostic d’une coronaropathie est estimé à 1 122 €.
La répercussion à l’échelon national des données d’ICUROS est encore plus spectaculaire. Alors que les évaluations faites à partir des extrapolations internationales suggéraient un coût annuel total de la prise en charge des patients ayant une fracture de la hanche ou de vertèbre clinique en France à 1 574 millions d’euros, la projection des données de l’étude ICUROS pour 2020 place la barre à 2 682 millions d’euros, avec une prédiction d’augmentation de 26 % d’ici à 2030 [2]. Comparativement à d’autres données récentes, le montant de cette prise en charge apparaît ainsi beaucoup plus élevé que celui des accidents coronariens aigus (770 millions d’euros), et il se situe entre celui de la prise en charge des insuffisances cardiaques (1 200 millions d’euros) et celui des accidents vasculaires cérébraux (3 500 millions d’euros).
La seconde étude, l’étude FRACTOS, est une nouvelle analyse de la base du SNDS de l’Assurance maladie visant à décrire l’utilisation des ressources de santé et les coûts associés de patients âgés de plus de 50 ans hospitalisés pour une fracture ostéoporotique sévère entre 2009 et 2014 [8]. Durant la période post-fracture index, l’ensemble des données relatives à l’utilisation de ressources médicales hospitalières et ambulatoires ont été extraites, et cela jusqu’à la fin de la période de suivi. Elles ont ensuite été classées en 3 catégories : celles relatives au traitement de la fracture elle-même, celles liées à la prise en charge de l’ostéoporose et celles sans lien avec la pathologie osseuse et dépendantes du traitement des comorbidités. Du fait de la source utilisée, seuls les coûts directs ont été pris en compte dans une perspective d’organisme payeur.
L’analyse s’est faite sur les données complètes de 347 784 patients (97,4 % des cas identifiés) durant la 1re année de suivi. Des données sur une période plus longue ont également été rapportées dans ce travail. Les hospitalisations index étaient majoritairement liées à des fractures de hanche (60 % des cas). 4 % des patients avaient été hospitalisés pour une fracture dans les 3 ans précédant la fracture index et 17 % avaient eu au moins une prescription d’un traitement de l’ostéoporose avant celle-ci.
Cette base nationale est remarquable dans la mesure où elle donne une image fiable du parcours moyen du patient après une fracture ostéoporotique en France. Ainsi, après l’hospitalisation, 46,4 % des patients ont été adressés dans un établissement de réadaptation, plus fréquemment après une fracture de la hanche (55,9 % des patients) ou du bassin (53,6 %) qu’après une fracture vertébrale clinique (21,3 %) ou des fractures de côtes multiples (12,4 %). Durant la 1re année de suivi, 7,6 % des patients ont consulté un rhumatologue en ville, cette proportion variant de 6,0 % après une fracture de la hanche à 13,8 % après une fracture vertébrale. Tous sites de fracture confondus, 18 474 patients (5,3 %) ont eu une densitométrie osseuse durant cette période.
Les résultats en termes économiques de cette seconde étude, fondée sur une approche totalement différente, sont en fait très voisins de ceux de l’étude ICUROS. Ainsi, les coûts de santé totaux dans l’année suivant une fracture ostéoporotique sont, d’après la base du SNDS, de 21 085 € pour une fracture de la hanche, de 12 559 € pour une fracture humérale, de 12 935 € pour une fracture vertébrale clinique, de 17 074 € pour une fracture du bassin et de 8 598 € pour des fractures costales multiples. Mis en perspective, les coûts de la prise en charge de l’ostéoporose sur une année paraissent dérisoires, variant de 122 € pour un patient après une fracture de la hanche à 213 € pour un patient après une fracture vertébrale clinique, 135 € en moyenne. Les principaux contributeurs de ces coûts étaient logiquement les consultations dédiées chez le médecin traitant (37,0 %), les traitements spécifiques (28,9 %) et les examens complémentaires (25,2 %). Les variables associées à des coûts plus élevés étaient l’âge, le sexe masculin, le site de fracture et les antécédents de fracture ostéoporotique.
En fin de compte, ces 2 études sont complémentaires. La collection de données réelles de manière prospective au cours de l’étude ICUROS a offert l’opportunité d’une analyse certainement plus précise et détaillée, mais elle ne prend en compte qu’un échantillonnage spécifique de patients ayant une fracture ostéoporotique, pris en charge dans 6 centres tertiaires experts dans le domaine et intégrant le parcours patient dans des filières fractures. À l’inverse, l’analyse de la base du SNDS de l’étude FRACTOS permet une approche quasi exhaustive du problème, mais avec un certain degré d’incertitude sur les données concernant notamment l’imputabilité des dépenses. Une fois cela dit, les résultats très concordants de ces 2 études permettent de conclure avec un fort degré de certitude que le coût réel de l’ostéoporose et des fractures de fragilité qui en dépendent est bien plus élevé en France que ce que les estimations faites jusque-là suggéraient. Tant les conséquences médicales individuelles de cette maladie que la charge économique qu’elle représente à l’échelon national imposent que nous continuions de convaincre de la nécessité de sa meilleure prise en charge.