Éditorial

L’impact négatif de l’imagerie sur les personnes lombalgiques


(pdf / 106,54 Ko)

La douleur lombaire est un symptôme très fréquent, puisque la prévalence ponctuelle de la lombalgie entraînant une limitation des activités est de 7,3 % dans la population mondiale [1]. Pour toute douleur, le comportement naturel est celui d’en comprendre l’origine : cela doit permettre de supprimer sa cause et d’éviter sa récidive. Pour la lombalgie, l’examen clinique est en général peu spécifique et n’apporte pas de réponses aux questions des patients qui en souffrent. La demande d’imagerie est donc fréquente, afin de mieux étudier cette douleur. L’imagerie peut également rassurer  le médecin : la médecine consiste surtout à éliminer les diagnostics graves ou nécessitant un traitement spécifique (infection, tumeur, fracture vertébrale ou spondyloarthrite),
ce que peut aisément permettre une imagerie.

Pourtant, les recommandations françaises et internationales préconisent de ne pas prescrire d’imagerie avant 3 mois, sauf en cas de signe évocateur de pathologie secondaire (drapeaux rouges). Ces pathologies secondaires correspondent à environ 1 % de toutes les lombalgies [2]. L’autre motif pouvant justifier une imagerie est la présence d’une radiculalgie (5 à 10 % des lombalgies), avant la réalisation d’un geste invasif [3]. En pratique, chez des patients en arrêt de travail en France, 63 % avaient déjà bénéficié d’au moins une imagerie rachidienne dès le 1er mois [4].

Une imagerie est souvent demandée pour rechercher une discopathie ou une arthrose articulaire postérieure sur une radiographie, un scanner ou une IRM, dans l’hypothèse où la lombalgie serait une explication à la douleur. Une discopathie, par exemple, est faiblement plus prévalente dans la population lombalgique que dans la population générale [5, 6]. Mais surtout, sa prévalence élevée chez des personnes asymptomatiques ne permet jamais de conclure individuellement à une “origine de la douleur” (tableau). De même, l’arthrose articulaire postérieure ou un canal lombaire rétréci radiologique, une fois identifiés, ne sont pas forcément associés à la douleur. Seul le Modic 1 a une corrélation radioclinique plutôt bonne. La lombalgie se différencie de la radiculalgie, qui a une bonne concordance radioclinique.

Ainsi, dans une étude prospective a été réalisée une IRM lombaire chez 200 personnes n’ayant aucune douleur à l’inclusion et qui ont été suivies pendant 5 ans [7]. Durant ce suivi, 51 d’entre elles ont eu un épisode de lombalgie aiguë, qui a motivé la réalisation d’une seconde IRM. Cette dernière était inchangée pour les patients lombalgiques ; seuls 2, souffrant de radiculalgie, avaient une modification de leur IRM. Dans cette étude, le tabagisme, le stress psychologique et la question des compensations financières étaient à risque d’épisodes de lombalgie.

Réaliser une imagerie : est-ce seulement sans conséquences ou est-ce potentiellement délétère ?

Une étude menée à partir d’une base de données a comparé les patients ayant bénéficié d’une IRM précoce versus ceux n’en ayant pas eu après ajustement de nombreux facteurs de confusion [8]. Une IRM précoce était associée à plus de chirurgie (1,48 versus 0,12 %), plus d’opioïdes prescrits (35 versus 29 %) et à une douleur plus importante sur 1 an (3,99 versus 3,87). Une autre étude, ayant également évalué l’impact d’une imagerie dans les 30 jours, a montré un allongement significatif de la durée d’incapacité au travail (HR pour la lombalgie = 0,32 ; IC95 : 0,24-0,43 et HR pour la radiculalgie = 0,28 ; IC95 : 0,18- 0,43) [9].

Une étude randomisée contrôlée prospective a montré que modifier l’explication donnée avec une IRM avait pour conséquence de modifier significativement l’évolution à 6 semaines pour la douleur, la fonction et l’autoefficacité [10].

Les facteurs psychologiques tels que la peur du mouvement (la kinésiophobie), l’anxiété, le catastrophisme sont reconnus comme ceux ayant le plus d’impact dans la chronicisation de la douleur [11]. Ainsi, l’information, souvent fausse, donnée au patient ayant des douleurs selon laquelle il a des “anomalies” lombaires peut lui founir une explication. Elle induit le message que le dos serait fragile et que des mouvements devraient être réalisés avec précaution. De plus, les douleurs lombaires étant mécaniques, il est facile pour les patients d’imaginer que les mouvements répétés, intenses, ou l’activité physique favorisent “l’usure” du dos, ce que les données scientifiques réfutent [12]. Les patients demandent à avoir accès à leur compte-rendu directement, mais l’accès à celui-ci sans l’intermédiaire d’un médecin a été prouvé comme majorant leur anxiété et le niveau de catastrophisme [13].

La mauvaise corrélation radioclinique se retrouve également après une chirurgie : un quart des patients opérés d’une discectomie ont une récidive de hernie discale à l’étage opéré si une IRM systématique est réalisée, mais la majorité de ces hernies sont asymptomatiques [14]. De nombreuses autres constatations postopératoires, comme la fibrose, ont également une mauvaise corrélation radioclinique. Alors que l’on connaît déjà les conséquences psychologiques d’une imagerie rachidienne en général, il est facile d’imaginer ses dégâts potentiels chez une personne venant de subir une chirurgie rachidienne.

Conclusion

De nombreuses données prouvent qu’une imagerie rachidienne peut avoir un effet nocebo important. Toutes les imageries ne sont pas à proscrire, mais il faut, comme pour toute prescription, évaluer quel sera son impact thérapeutique. Des expressions telles que “disque normal pour l’âge”, “comme les cheveux blancs” ou le terme “déshydraté” peuvent être utilisés, puisque ceux-ci sont moins anxiogènes que les termes “arthrose” ou “discopathie dégénérative”. Lorsqu’une imagerie est prescrite, l’information préalable (notamment sur la forte prévalence d’anomalies en population générale) et la réassurance sont utiles pour contrecarrer l’effet nocebo et finalement pour améliorer la santé du patient.

Tableau. Prévalence des anomalies radiologiques selon l’âge chez des personnes sans lombalgie (d’après W. Brinjikji et al. [5]).

Prévalence des anomalies radiologiques selon l’âge20 ans30 ans40 ans50 ans60 ans70 ans80 ans
Dégénérescence discale37 %52 %68 %80 %88 %93 %96 %
Perte de signal discal17 %33 %54 %73 %86 %94 %97 %
Perte de hauteur discale24 %34 %45 %56 %67 %76 %84 %
Bombement discal30 %40 %50 %60 %69 %77 %84 %
Protrusion discale29 %31 %33 %36 %38 %50 %43 %
Fissure annulaire19 %20 %22 %23 %25 %27 %29 %
Arthrose facettaire4 %9 %18 %32 %50 %69 %83 %
Spondylolisthésis3 %5 %8 %14 %23 %35 %50 %

Références

1. Hartvigsen J et al. What low back pain is and why we need to pay attention. Lancet 2018;391(10137):2356‑67.

2. Hall AM et al. Do not routinely offer imaging for uncomplicated low back pain. BMJ 2021;372(291). doi: 10.1136/bmj.n291.

3. Bailly F et al. Clinical guidelines and care pathway for management of low back pain with or without radicular pain. Joint Bone Spine 2021;88(6):105227.

4. Assurance maladie – Risques professionnels. Accidents du travail et maladies professionnelles – chiffres clefs nationaux, tendances sectorielles, comparaison avec l’Allemagne – rapport inédit sur les lombalgies liées au travail : un enjeu de santé publique. 2016. https://www.cramif.fr/sites/default/files/2017-04/DPAssuranceMaladieATMP_Novembre2016.pdf

5. Brinjikji W et al. Systematic literature v of imaging features of spinal degeneration in asymptomatic populations. AJNR Am J Neuroradiol 2015;36(4):811‑6.

6. Brinjikji W et al. MRI Findings of disc degeneration are more prevalent in adults with low back pain than in asymptomatic controls: a systematic review and meta-analysis. AJNR Am J Neuroradiol 2015;36(12):2394‑9.

7. Carragee E et al. Are first-time episodes of serious LBP associated with new MRI findings? Spine J 2006;6(6):624‑35.

8. Jacobs JC et al. Observational study of the downstream consequences of inappropriate MRI of the lumbar spine. J Gen Intern Med 2020;35(12):3605‑12.

9. Webster BS et al. Iatrogenic consequences of early magnetic resonance imaging in acute, work-related, disabling low back pain. Spine (Phila Pa 1976) 2013;38(22):1939‑46.

10. Rajasekaran S et al. The catastrophization effects of an MRI report on the patient and surgeon and the benefits of “clinical reporting”: results from an RCT and blinded trials. Eur Spine J 2021;30(7):2069‑81.

11. Tagliaferri SD et al. Relative contributions of the nervous system, spinal tissue and psychosocial health to non-specific low back pain: multivariate meta-analysis. Eur J Pain 2022;26(3):578‑99.

12. Belavý DL et al. Running exercise strengthens the intervertebral disc. Sci Rep 2017;7:45975.

13. Regev GJ et al. Low back pain patients perceptions regarding their own radiology reports: pre-intervention survey. J Pain Res 2023;16:933‑ 41.

14. Lebow RL et al. Asymptomatic same-site recurrent disc herniation after lumbar discectomy: results of a prospective longitudinal study with 2-year serial imaging. Spine (Phila Pa 1976) 2011;36(25):2147‑51.


Liens d'intérêt

F. Bailly déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet éditorial.

Connectez-vous à votre compte
Inscrivez-vous gratuitement

Identifiant / Mot de passe oublié


Vous avez oublié votre mot de passe ?


Vous avez oublié votre identifiant ?

Consultez notre FAQ sur les problèmes de connexion ou contactez-nous.

Vous ne possédez pas de compte Edimark ?

Inscrivez-vous gratuitement

Pour accéder aux contenus publiés sur Edimark.fr vous devez posséder un compte et vous identifier au moyen d’un email et d’un mot de passe. L’email est celui que vous avez renseigné lors de votre inscription ou de votre abonnement à l’une de nos publications. Si toutefois vous ne vous souvenez plus de vos identifiants, veuillez nous contacter en cliquant ici.