Comorbidités
Poumon rhumatoïde
Cette année encore, le poumon rhumatoïde a fait l'objet de présentations particulièrement intéressantes. Une étude portant sur les données du Système national des données de santé (SNDS) a montré que la pneumopathie interstitielle diffuse (PID) au cours de la polyarthrite rhumatoïde (PR) était relativement rare (prévalence : 6,52/100 000), mais associée à un taux de mortalité 3 fois plus élevé que celui observé au cours de la PR sans PID (abstr. OP0099). De plus, les PR avec PID recevaient moins de traitements de fond, et notamment moins de méthotrexate, mais davantage de biothérapies et de corticothérapies systémiques.
L'association du variant rs35705950 du gène MUC5B avec l'atteinte pulmonaire de la PR avait fait l'objet de présentations lors de congrès antérieurs [1]. Une étude finlandaise portant sur 250 000 sujets de la biobanque Finngen s'est intéressée à l'impact de ce variant sur l'incidence cumulée à long terme des PID au cours de PR (abstr. OP0007) ; chez les sujets ayant une PR et porteurs de ce variant, l'incidence cumulée de PID était de 16,8 % à 80 ans, contre 6,1 % chez les sujets non porteurs (HR = 2,27 ; IC95 : 1,75‑2,96) (figure 1). Ce travail confirme que ce variant de MUC5B représente un facteur de risque important de PID au cours de la PR. Une étude portant sur les données à 13 ans de la cohorte française ESPOIR s'est quant à elle intéressée à la construction d'un score prédictif de PID au cours de la PR (POS0095). Le modèle de régression logistique multivarié a identifié 4 facteurs prédictifs : le sexe masculin (OR = 3,9 ; IC95 : 1,4‑11,4), l'âge au diagnostic de PR (OR = 1,1 ; IC95 :1,0-1,2), le DAS28 moyen au cours du suivi (OR = 2,0 ; IC95 : 1,2‑3,4) et l'allèle rs35705950 T du gène MUC5B (OR = 3,7 ; IC95 : 1,4‑10,4). Ce modèle avait de bonnes performances prédictives, avec une aire sous la courbe ROC (AUROC) de 0,82 (IC95 : 0,72‑0,91).
Sur le plan thérapeutique, l'essai INBUILD s'est intéressé à l'efficacité (en termes de capacité vitale fonctionnelle (CVF) à 1 an) du nintédanib, un inhibiteur de tyrosine kinases, dans la PID autre que la fibrose pulmonaire idiopathique [2]. Lors de ce congrès, les résultats de cet essai ont été présentés chez les 89 sujets ayant une PID dans le cadre d'une PR (abstr. OP0124). La différence de déclin de la CVF à 1 an était de 116,7 mL/an entre le groupe nintédanib et le groupe placebo, témoignant de l'efficacité du traitement (figure 2). Concernant la tolérance, 19 % des sujets ont dû arrêter le nintédanib à cause d'effets indésirables, contre 12,8 % dans le groupe placebo. Ces résultats, bien qu'encourageants, mériteraient d'être confirmés sur de plus grands effectifs.
Cancers
La PR est associée à une augmentation du risque de certains cancers. Une précédente étude du registre japonais IORRA réalisée entre 2001 et 2005 avait notamment identifié une augmentation du risque de cancer du poumon (standardized incidence ratio (SIR) = 2,29 ; IC95 : 1,57-3,21) et de lymphome (SIR = 6,07 ; IC95 : 3,71-9,37), et une diminution du risque de cancer colorectal (SIR = 0,49 ; IC95 : 0,26‑0,83) par rapport à la population générale [3]. Une nouvelle analyse des données de IORRA, portant sur la période 2013‑2019, a apporté de nouvelles conclusions (abstr. OP0187) : le risque de cancer du poumon et de lymphome a diminué par rapport à la précédente analyse (SIR = 0,67, IC95 : 0,44‑0,97 versus 2,29, IC95 : 1,57‑3,21 ; SIR = 3,74, IC95 : 2,73‑4,96 versus 6,07, IC95 : 3,71‑9,37, respectivement), ce qui peut s'expliquer, d'une part, par une baisse du tabagisme dans la population de IORRA et, d'autre part, par un meilleur contrôle de l'activité de la PR [4]. Par ailleurs, il n'y avait plus de réduction significative du risque de cancer colorectal (SIR = 0,93 ; IC95 : 0,62‑1,32), ce qui peut s'expliquer par une baisse de la prescription d'AINS par rapport à l'étude précédente [5]. Ces résultats traduisent l'influence de facteurs comportementaux (tabagisme) et thérapeutiques sur le risque de cancer au cours de la PR.
Démences
Il est établi que les sujets atteints de PR ont un risque de démence plus élevé que la population générale [6]. Une étude de cohorte américaine s'est intéressée à l'évolution du taux d'incidence des démences dans la PR par rapport à la population générale au cours des 4 dernières décennies (abstr. OP0216). 895 patients atteints de PR remplissant les critères ACR 1987 et diagnostiquées entre 1980 et 2009 ont été appariés selon un ratio 1:1 à la population générale. On observait dans la PR une baisse du taux d'incidence cumulée de démence au fil des décennies, ce taux étant de 12,7 % à 10 ans pour les PR diagnostiquées dans les années 1980 et de 7,1 % dans les années 2000 (figure 3). En outre, le taux d'incidence dans la PR était supérieur à celui de la population générale dans les années 1980 et 1990, mais devenait légèrement inférieur à celui de la population générale dans les années 2000. Ces résultats pourraient s'expliquer par un meilleur contrôle de l'activité inflammatoire de la PR du fait des stratégies de treat-to-target et de l'essor des biothérapies.
Grossesse et infertilité
Sujet peu abordé au cours des congrès passés, la question de la grossesse et de l'infertilité au cours de la PR a fait l'objet de plusieurs présentations intéressantes lors de ce congrès. Une étude scandinave basée sur les registres SRQ et DANBIO appariés aux registres des naissances de la Suède et du Danemark s'est intéressée à l'association entre PR, prématurité et retard de croissance intra-utérin (RCIU) (abstr. OP0210). 1 790 grossesses de patientes atteintes de PR ont été appariées à la population générale sur la parité, l'année de naissance et l'âge de la mère au moment de la délivrance, selon un ratio 1:10. Un risque plus grand de prématurité et de RCIU était observé au cours de la PR par rapport à la population générale, avec des OR ajustés de 1,92 (IC95 : 1,56-2,35) et 1,93 (IC95 : 1,45‑2,57), respectivement. L'activité de la maladie était un facteur de risque de prématurité et de RCIU, avec des OR de 2,47 (IC95 : 1,05‑5,76) et 3,23 (IC95 : 1,13‑9,27), respectivement, chez les patientes ayant un DAS28 > 4,1 pendant la grossesse et celles ayant un DAS28 < 3,2. Enfin, il n'y avait pas de relation significative avec la prise de traitements au cours de la grossesse.
L'étude multicentrique transversale rétrospective iFAME-Fertility s'est quant à elle intéressée à l'infertilité masculine au cours des rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) (abstr. OP0212), et a mis en évidence un risque augmenté de fausses couches pour les grossesses survenant après le diagnostic de RIC chez le père (OR = 2,66 ; IC95 : 1,43-4,95). Des études prospectives sont nécessaires pour confirmer ce résultat.
Traitements
L'efficacité des corticoïdes au cours de la PR est avérée, mais il est recommandé de limiter leur durée d'utilisation en raison de leurs effets indésirables systémiques. F. Buttgereit et al. se sont donc intéressés à l'efficacité et à la tolérance d'une nouvelle molécule, l'ABBV-3373, composée d'adalimumab et d'un modulateur du récepteur des corticoïdes (glucocorticoid receptor modulator, GRM), comparée à l'adalimumab seul (abstr. OP0115). Dans cet essai randomisé contrôlé en double aveugle de phase IIa, 31 patients ont reçu l'ABBV-3373 pendant 12 semaines puis un placebo pendant 12 semaines, et 17 patients ont reçu de l'adalimumab pendant les 24 semaines de suivi. Il y a eu une amélioration significative du DAS28‑CRP sous ABBV-3373 par rapport au groupe adalimumab (−2,65 versus −2,13 ; p = 0,02), ainsi que des critères de jugement secondaires tels que le CDAI, le SDAI, le HAQ-DI, et les réponses ACR 20, 50 et 70 à 12 semaines (figure 4). La tolérance était similaire dans les 2 groupes. Les données de cet essai sont encourageantes et devront être confirmées par un essai de phase III.
Une étude basée sur les données de la cohorte belge UCLouvain s'est quant à elle intéressée à l'intérêt d'instaurer une biothérapie en première intention dans la PR récente (abstr. OP0119). 391 patients ont été suivis pendant 5 ans et ont été divisés en 4 groupes : méthotrexate en monothérapie (n = 134), méthotrexate puis biothérapie (n = 103), biothérapie en induction puis méthotrexate seul (n = 95), et biothérapie seule (n = 59). À 12 mois, le taux de rémissions selon le DAS28-CRP était plus élevé dans le groupe méthotrexate en monothérapie et dans le groupe ayant reçu une biothérapie suivie du méthotrexate que dans les 2 autres groupes (64,4 et 72,8 % versus 41,6 et 38,3 %). Ces 2 groupes avaient également un taux de rémissions à 5 ans plus élevé que les 2 autres groupes. Aussi, instaurer une biothérapie en induction suivie du méthotrexate pourrait avoir un intérêt dans la PR récente. D'autres études sont nécessaires pour confirmer ces résultats, d'une part, et, d'autre part, identifier la population la plus à même de bénéficier d'une telle stratégie.
Facteurs de risque et pronostic
Ce congrès a apporté des précisions intéressantes sur les facteurs environnementaux constituant à la fois des facteurs de risque et des marqueurs pronostiques de la PR. Le plus connu est le tabagisme actif [7] ; néanmoins, une étude des 698 PR de la cohorte française E3N a montré que le tabagisme passif dans l'enfance et dans la vie adulte était également associé à un surrisque de PR (abstr. OP0012)(figure 5). De plus, la PR apparaissait plus tôt en cas de tabagisme passif dans l'enfance, ce qui laisse supposer que le tabagisme passif pourrait induire une citrullination des protéines chez des sujets prédisposés génétiquement.
Une étude de cohorte réalisée dans la région de Vérone entre 2013 et 2018 s'est quant à elle intéressée à la relation entre pollution atmosphérique et poussées de PR (abstr. OP0178), et a mis en évidence une augmentation du taux de CRP et du risque de poussée en cas d'augmentation de la concentration de polluants (tableau).
Enfin, une étude montpelliéraine a cherché à évaluer sa stratégie de dépistage et de prévention des comorbidités au cours des RIC (abstr. OP0214). Après ajustement sur l'âge et le nombre d'hospitalisations avant la date index, cette stratégie était associée à une réduction de 49 % du risque d'hospitalisation toutes causes confondues (OR = 0,51 ; IC95 : 0,41‑0,64) et de 27 % du risque d'hospitalisation sans rapport avec le RIC (OR = 0,73 ; IC95 : 0,58-0,91). Ce travail est donc en faveur d'un impact positif de la prévention des comorbidités au cours des RIC, qui mériterait potentiellement d'être généralisée à l'ensemble de nos centres hospitaliers. ■