Le cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme, touche chaque année plus de 55 000 femmes en France. Si depuis 1990, le nombre annuel de nouveaux cas en France a presque doublé, le taux de mortalité connaît une évolution inverse. Ainsi, la survie après un cancer du sein s’est prolongée. Cependant, cette période d’après-cancer du sein peut être marquée par des effets indésirables ou des séquelles liés à la maladie et à ses traitements. À ce sujet, les études VICAN2 et VICAN5 décrivent les conséquences des traitements après cancer, qui n’épargnent pas les femmes traitées pour un cancer du sein. La réduction des risques de séquelles et de toxicité à long terme fait partie des objectifs de la stratégie décennale de lutte contre le cancer.
Nous développons dans ce numéro les différentes facettes de la prise en charge après un cancer du sein.
Philippe Toussaint nous propose un article sur la sexualité après un cancer du sein. Il nous explique les répercussions que peuvent avoir la maladie et ses traitements sur la qualité de vie sexuelle, sujet sur lequel les patientes se disent très peu informées. Il nous montre que l’information sur les impacts possibles et le dépistage des troubles sexuels sont la 1re clé d’une prise en charge en oncosexualité après cancer du sein. Il nous présente également des outils d’aide au dépistage, ou ceux pour mener un entretien en santé sexuelle, et les possibilités de prise en charge (notamment les traitements locaux en cas de sécheresse vaginale et/ou de dyspareunies : lubrifiants, hydratants locaux, stratégies innovantes comme le laser, la photobiomodulation, l’injection d’acide hyaluronique, etc.). Cette prise en charge peut s’inscrire dans un accompagnement plus global, dans le cadre de soins oncologiques de support.
Natacha Espié nous présente l’éventail des difficultés et des souffrances que peuvent éprouver les femmes après l’épreuve du cancer. Elle nous montre que l’après-cancer du sein est un moment de prise de conscience de la maladie, de ce qui a été traversé et de ce qui se profile. Les patientes doivent faire face à de nombreuses émotions et difficultés : peur de la récidive, sentiment de perte de féminité, colère, culpabilité, adaptation à une nouvelle image de soi, à des sensations corporelles modifiées (cicatrices, asthénie, troubles cognitifs, etc.). Elles doivent également intégrer une nouvelle réalité, avec une remise en question de la croyance de l’immortalité. Un dépistage de ces souffrances et leur prise en charge par un accompagnement psychologique font partie intégrante de la gestion de l’après-cancer du sein.
Je vous présente ensuite l’importance d’évoquer la contraception avec nos patientes pendant et après la prise en charge du cancer du sein, pour assurer une couverture contraceptive optimale. Le contexte d’aménorrhée chimio-induite et la prise d’hormonothérapie peut parfois jouer des tours et faire penser, à tort, qu’il n’existe pas de risque de grossesse. En un mot, il faut parler de contraception avec toutes nos patientes non ménopausées au diagnostic, avec dans ce contexte une indication de contraception non hormonale, les contraceptions hormonales étant contre-indiquées ; et une information sur les contraceptions d’urgence par stérilet au cuivre ou par pilule du lendemain, sans contre-indication.
Sophie Jacquin-Courtois et Lucie Gattaz font le point sur l’atteinte cognitive liée au cancer, dénommée Cancer-related cognitive impairment (CRCI), qui est désormais bien documentée. L’atteinte cognitive et l’altération de la qualité de vie qui y est associée sont rapportées comme étant parmi les symptômes les plus gênants par les patientes, avec un impact psychosocial majeur. Les troubles sont variables, et peuvent comporter des déficits mnésiques, exécutifs, d’attention et/ou une altération de la vitesse de traitement de l’information. Elles nous expliquent la physiopathologie de ces troubles, qui comportent souvent plusieurs mécanismes, qui peuvent s’influencer, se cumuler, varier dans le temps et selon les posologies des traitements. Objectiver la plainte et la quantifier par une évaluation neuropsychologique et fonctionnelle dédiée sont des étapes très importantes de la prise en charge. La mise en évidence de facteurs de vulnérabilité pourrait permettre de s’inscrire dans une démarche de prévention et/ou d’intervention précoce visant à maintenir la fonction ou à diminuer l’atteinte ainsi qu’à restaurer les déficits et pallier leurs conséquences.
Jean-Michel Lecerf décrit les changements nutritionnels et en termes de poids après cancer du sein. Si une perte de poids peut s’observer chez une minorité de femmes, une plus grande proportion de femmes présentent une prise de poids après cancer du sein, qui survient le plus souvent la 1re année. Les mécanismes relèvent le plus souvent d’un déséquilibre de la balance énergétique (augmentation des apports, réduction de l’activité physique). On connaît la préoccupation des femmes concernant le risque de prise de poids, qui altère non seulement leur qualité de vie, mais peut également avoir des conséquences négatives sur le pronostic (tout comme inversement une perte de poids importante). Ainsi, le maintien d’un poids stable serait la meilleure façon de ne pas affecter négativement le pronostic ! Il nous expose les stratégies pouvant favoriser cette stabilité du poids et apporter un bénéfice en qualité de vie et sur l’état général : alimentation équilibrée, activité physique régulière, soutien psychosocial.
Anna Gosset et Florence Trémollieres nous éclairent sur les risques de déminéralisation osseuse liés au traitement du cancer du sein, et notamment de la chimiothérapie en cas d’aménorrhée prolongée, des hormonothérapies, surtout par inhibiteurs de l’aromatase et par agonistes de la GnRH, et dans une moindre mesure le tamoxifène chez les femmes préménopausées. Elles nous sensibilisent sur la nécessité d’évaluer le risque fracturaire en prenant en compte les facteurs de risque d’ostéoporose et les résultats de l’ostéodensitométrie lorsqu’elle est indiquée. La prise en charge peut comporter des règles hygiénodiététiques (des apports vitaminocalciques, de l’activité physique, une correction des facteurs de risque modifiables (sevrage tabagique, prévention des chutes, etc.)), et dans certains cas un traitement médicamenteux, avec en tête de file les bisphosphonates.
Carlota Santolaya Braulio et Maria-Alice Franzoi nous expliquent enfin que l’observance de l’hormonothérapie est un réel enjeu dans la pratique oncologique, et nous expliquent que la non-adhésion est souvent sous-estimée, pouvant entraîner un risque de récidive plus élevé. L’identification des facteurs de risque de non-adhésion pourrait permettre de proposer des mesures préventives. Le dépistage, la prise en charge par l’équipe soignante mais aussi l’habilitation des femmes à l’autogestion des effets indésirables dus à l’hormonothérapie devraient aider à améliorer cette observance, ainsi que leur qualité de vie.
Ce dossier, qui aborde les différentes facettes de l’après-cancer, témoigne ainsi de l’importance d’accompagner les femmes dans cette période cruciale de “l’après”… Nous vous souhaitons une bonne lecture !