Le cadre
En juin 2016, Manuel Valls, alors Premier ministre, et Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, recevaient des mains d'Yves Lévy, président d'Aviesan, un volumineux rapport intitulé France Médecine Génomique 2025 (1). Fruit d'une concertation large, ce rapport documente un ensemble de mesures destinées à ramener la France dans l'ère de la génomique pour tous ! Six mois plus tard, le 28 décembre 2016, le texte de l'appel d'offres pour la création des 2 premières plateformes régionales de séquençage de nouvelle génération à très haut débit à visée sanitaire paraît. Manifestement, il y a là une volonté politique d'engager médecins, biologistes et patients atteints de maladies rares ou de cancers sur la voie de la connaissance exhaustive des anomalies de leur génome constitutionnel ou somatique, avec, pour certains, l'espoir d'une thérapie ciblée dans le cadre de la médecine de précision.
Les enjeux
Que de chemin parcouru en moins de 10 années !
La démocratisation de cette méthode révolutionnaire que représente le séquençage de nouvelle génération (Next-Generation Sequencing [NGS]) puise ses racines dans une découverte technologique permettant le séquençage simultané de plusieurs centaines de milliers de molécules d'ADN accrochées à une surface solide (2). L'intérêt de cette technique au principe relativement complexe repose sur la concomitance d'une analyse expérimentale à la résolution nucléotidique
(base par base de l'ADN) couplée à une évaluation quantitative du produit séquencé. Appliqué à la médecine, le NGS autorise le séquençage de génomes complets (ou d'exomes, correspondant à la totalité des séquences d'ADN codant des protéines) chez un individu, en quelques heures. De même, le reséquençage ciblé par NGS de quelques dizaines à plusieurs centaines de gènes devient la norme expérimentale du diagnostic moléculaire dans les laboratoires de biologie médicale des CHU et autres structures hospitalières privées participant au service public de santé en France. Néanmoins, cette innovation technologique conduit à faire émerger 3 points de vigilance :
- La criticité de l'expérience ne réside plus dans sa mise en œuvre, la production de données de séquençage devenant standardisée, mais relève de l'analyse informatique des résultats générés. Ainsi, le résultat du séquençage doit être traité par un bio-informaticien, nouveau partenaire dans l'analyse des données de séquençage, dont la présence au sein des laboratoires est essentielle.
- L'utilisation de panels de gènes diagnostiques dans les laboratoires a un impact sur la structuration du diagnostic moléculaire par NGS en France. En effet, la caractérisation de variants génétiques dans des gènes hors spectre indiqué (variants incidents) ou hors expertise du laboratoire rend les biologistes producteurs de données de séquençage qu'ils ne peuvent interpréter biologiquement. Cette évolution est inéluctable, mais il est nécessaire de préserver le maillage territorial de généticiens experts capables d'interpréter les mutations de l'ADN.
- Les bases de données de variants génétiques doivent être établies et sauvegardées puisqu'elles sont quotidiennement utilisées pour interpréter la pathogénicité d'un variant identifié par NGS. La construction des bases de données génétiques, leur entretien et leur maintien dans des conditions opérationnelles devraient constituer une priorité de l'État français, sous peine qu'elles ne soient rachetées par de puissants groupes de l'industrie de diagnostic, ce qui réduirait leur fiabilité.
Un premier bilan ?
Récemment, I.F. Tannock et J.A. Hickman (3) ont fait un bilan sévère des premiers essais cliniques en cancérologie guidés par la génomique (le NGS). Ils rapportent que, selon les études, seuls 3 à 13 % des patients ont pu bénéficier d'une thérapie ciblée antitumorale fondée sur la génomique. Les résultats des essais semblent tous peu encourageants puisque aucune augmentation de la survie n'est observée chez ces patients comparativement à ceux traités par une chimiothérapie conventionnelle. Ces limites résultent de quelques biais expérimentaux et, surtout, de la grande variabilité mutationnelle du matériel tumoral étudié (tumeur et stroma péritumoral). Malgré le progrès apporté par le NGS en termes d'exhaustivité de l'information génétique, cette technique ne constitue pas par elle-même une réponse aux questions cliniques. Finalement, à l'heure actuelle, nous ne faisons qu'établir un catalogue des variants génétiques détectés sans avoir de vue d'ensemble mécanistique. Après la technique, il nous reste donc à construire l'intelligence artificielle permettant d'intégrer toutes ces données génétiques en vue d'améliorer la prise en charge médicale des patients.