L'évolution de la société, plus égalitaire et moins verticale, la diffusion des savoirs, qui entraîne l'augmentation des connaissances en matière de santé des citoyens, et l'épidémie des maladies chroniques, qui nécessite un transfert de compétences des soignants aux patients, ont remis en cause le modèle traditionnel de la relation médecin-malade. Ce modèle parental plus ou moins autoritaire ou bienveillant, mais, dans tous les cas, infantilisant le patient, est né de la maladie aiguë sévère, situation dans laquelle, fréquemment, le patient se défend psychologiquement en régressant. Il est d'ailleurs frappant que le dernier mot du mourant, quel que soit son âge, soit bien souvent “maman”.
Si la relation médecin-malade doit être égalitaire, d'adulte à adulte, il ne faut cependant pas oublier que cette relation est asymétrique. Le patient a droit à la vérité, mais il a aussi le droit de ne pas savoir ou de ne pas tout savoir, ou pas tout, tout de suite. D'où l'art de l'annonce du diagnostic d'une maladie sévère, particulièrement quand on ne connaît pas encore le patient. On ne jette pas un diagnostic de cancer à la figure des gens, comme on le voit faire trop souvent aujourd'hui. Ce n'est pas au radiologue, au biologiste ou à l'infirmière d'annoncer le diagnostic de la maladie grave, mais au médecin ne se cachant pas derrière la “consultation d'annonce”. Encore faut-il qu'il sache prendre le temps, choisir un lieu approprié, procéder si besoin par étapes, permettre au patient d'exprimer son angoisse et de formuler ses questions, revoir ce dernier de façon très rapprochée et l'assurer de sa disponibilité. Ni le téléphone, ni le mail, ni le SMS, ni Skype ne sont des outils appropriés pour le diagnostic de maladie grave, qui doit se faire en permettant au patient de regarder le médecin dans les yeux et au médecin de toucher le patient pour lui témoigner son empathie et son engagement à ses côtés. Ils peuvent être par contre des vecteurs très utiles pour l'accompagnement.
La relation médecin-malade varie selon les caractéristiques de la maladie : est-elle symptomatique ou asymptomatique, voire réduite à un facteur de risque ? Est-elle visible ou échappe-t-elle au regard des autres ?
Existe-t-il un traitement ? Quels sont son efficacité, ses effets indésirables et ses contraintes ? Et quelles sont les compétences d'auto-soins que le malade et/ou son entourage doivent acquérir ? Quelles sont la gravité de la maladie et son évolutivité ? La guérison est-elle possible ou une récidive est-elle toujours à craindre ?
Évolue-t-elle par crises ou est-elle stable ? L'évolution se fait-elle inexorablement vers l'aggravation ? Autant de situations rendant plus ou moins difficile un travail de deuil ou, plus exactement, un travail d'acceptation et d'adaptation.
Bien sûr, la relation dépend de la personnalité du patient, de son vécu antérieur, de ses croyances, de sa culture et de ses représentations de la maladie et des traitements. Les médecins gagneraient à penser que les êtres humains ne sont pas que des êtres de raison et à développer en conséquence leur capacité empathique pour essayer de mieux comprendre le vécu propre à chaque patient.
Cela dit, notre société postmoderne, à la fois scientifique, technique et consumériste, à la fois égotique et communautariste, à la fois relativiste, sans dieu ni expert, nostalgique de Jupiter et à la recherche de gourous, hyperinformée mais soupçonneuse, et finalement désorientée, ne sachant plus à quel saint se vouer, produit une grande variété de modèles relationnels. À côté du modèle paternaliste d'antan, infantilisant, décidant à la place du patient de ce qui est bon pour lui, on trouve :
- le modèle “scientifique”, réduisant le malade à sa maladie,
- le modèle moderne “prestataire de service”, informatif, explicatif, délibératif, contractuel, gommant tout affect relationnel,
- le modèle “relativiste”, effaçant l'asymétrie de la relation médecin-malade au nom de l'autonomie d'un patient ayant le “droit de ne pas se soigner”, comme si l'annonce du diagnostic n'avait pas pu briser en partie l'autonomie du patient et comme si l'autonomie était un absolu alors que toute la vie n'est qu'une co-construction,
- le modèle du “docteur Knock”, médicalisant la vie, inventant des maladies, suscitant l'angoisse des patients et les manipulant à des fins commerciales.
Le modèle que nous devons développer est celui de l'empathie. Encore faut-il que celle-ci ne soit pas simplement cognitive mais également émotionnelle, qu'elle permette la réciprocité et qu'elle débouche sur une proposition d'aide inconditionnelle à la résilience. La relation médecin-malade n'est plus alors une relation à deux mais à quatre, chacun pouvant prendre la place de l'autre tout en gardant la sienne. C'est ce qu'évoquait D. Winnicott lorsqu'il parlait d'un jeu “d'identifications croisées”. Voilà ce à quoi ne forme pas la faculté, mais ce à quoi pourraient aider l'art et le roman, grâce à leur jeu de dédoublement du spectateur ou du lecteur.
On parle aujourd'hui de relation “centrée sur le patient”, mais on oublie que, pour se centrer sur le patient, il faut pouvoir se décentrer de soi. À cela, il y a deux conditions : une identité professionnelle forte, forgée par la connaissance et l'expérience, et une sécurité émotionnelle, à la fois personnelle et relationnelle. Ce n'est à l'évidence pas le cas de l'étudiant en médecine, comme l'a bien montré le film Hippocrate. C'est pourquoi la réforme des études médicales suppose à la fois une révision de la formation et de la sélection des enseignants et une réforme des modalités de sélection et de validation des étudiants.