Vaste défi pour ce numéro spécial 20 ans de La Lettre du Sénologue. Pour envisager l'avenir, il était déjà nécessaire de faire le point sur les 20 à 30 dernières années et de mesurer les progrès effectués dans la compréhension des mécanismes de la carcinogenèse, et dans les outils diagnostiques et thérapeutiques à notre disposition.
Nous sommes en train de quitter le prêt-à-porter pour le sur-mesure. Cette mutation est très complexe en raison de la diversité des cancers du sein. Nous avons commencé à démembrer cette entité, mais le plus gros reste à faire : analyser la tumeur de chaque patiente pour lui proposer les traitements les plus adaptés à son cas. Quels sont les gènes mutés responsables et pourquoi ? Comment faire face à l'adaptabilité des cellules cancéreuses, à leur aptitude à utiliser de nouvelles voies de prolifération et à résister aux traitements effectués ? Comment ne pas induire par nos traitements des pressions de sélection qui vont favoriser l'émergence des clones les plus agressifs ?
La logique semble être de traiter le plus tôt possible, avant que de multiples clones n'émergent, mais comment associer ce diagnostic le plus précoce possible à l'absence de surdiagnostic et donc de sur-thérapeutique ? Comment améliorer la sensibilité et la spécificité de l'ensemble de nos démarches ? Et ne faudrait-il pas plutôt concentrer nos efforts sur la compréhension des mécanismes de transition du bénin vers le malin ? Quelle hyperplasie atypique, quel cancer in situ vont évoluer, chez qui et pourquoi ?
En fait, l'irruption de l'intelligence artificielle représente un atout majeur pour les années à venir ; elle est déjà d'actualité en imagerie, par exemple dans l'étude de la densité mammaire, dans l'aide au diagnostic, notamment pour le dépistage ; elle le sera en anatomopathologie. Google et autres sont en pointe dans ce domaine. Il en est de même en épidémiologie où la lecture de quantités énormes de données nous ouvre de nouvelles pistes de réflexion.
Ce numéro illustre nos progrès et ceux à venir dans l'analyse du génome, en anatomopathologie avec la microscopie virtuelle et les techniques d'immunohistochimie multiplex, en imagerie médicale avec les approches de deep learning, de machine learning et de personnalisation du dépistage, en chirurgie avec les désescalades maîtrisées encore à venir, en radiothérapie avec les progrès en radiothérapie conformationnelle, adaptative, l'association avec l'imagerie par résonance magnétique, le développement des nanoparticules… Enfin, l'individualisation des traitements médicaux (hormonothérapie, chimiothérapie, thérapie ciblée) est le maître mot, comme le rappelle Laurent Zelek !
Tous ces progrès techniques ne doivent avoir qu'un but : améliorer la santé des femmes, réduire la mortalité par cancer du sein qui reste un fléau majeur avec 12 000 morts par an en France, tout en préservant le plus possible la qualité de vie. Nous devons rester vigilants pour qu'à l'avenir l'accès aux soins innovants reste possible sur l'ensemble du territoire national et proposé à l'ensemble des femmes qui le nécessitent, sans condition de ressources.
Les patientes, par le biais de leurs associations, s'expriment dans ce numéro, et nous mesurons là encore le chemin parcouru et ce qui reste encore à faire … La relation médecin-malade, soignant-soigné, s'est profondément modifiée, mais nos progrès techniques majeurs ne doivent pas occulter la place de l'humain. L'humain d'abord reste notre préoccupation essentielle.