Établir une prise en charge médicale au plus près du contexte pathologique du patient, voilà l'objectif affiché d'une médecine dite de précision, ou personnalisée, ou encore théranostique. Contextualisé sur le ciblage thérapeutique des anomalies induisant la transformation tumorale (mutations driver), ce champ de la biologie moléculaire s'étend, au fur et à mesure des progrès de la technologie et de la découverte de nouvelles molécules, à la caractérisation des groupes de patients à même de recevoir ces thérapies ciblées, ou au pronostic particulier (il s'agit donc d'une médecine stratifiée).
De multiples essais cliniques de thérapie ciblée chez des patients dont le statut moléculaire tumoral est établi au niveau génomique (“essais guidés par la génomique”) sont réalisés chaque année. Faisant l'objet de publications dans des journaux internationaux renommés à comité de lecture, les résultats de ces essais en termes de survie globale ou sans progression des patients ciblés restent très modestes. Toutefois, les enjeux financiers des sociétés privées qui réalisent le diagnostic ou vendent les molécules sont tels qu'ils peuvent annihiler tout rationnel médical ou scientifique [1]. L'accélération temporelle entre la découverte scientifique et son applicabilité au lit du patient contribue à ce manque de recul et peut faire penser à une médecine de scoop.
L'information génétique est complexe. Elle est complexe à comprendre, complexe à expliquer au patient et complexe à mettre en œuvre pour lui-même ou sa famille. L'irruption dans le domaine de la prédisposition héréditaire au cancer des scores polygéniques de risque accentue cette complexité et nécessite un cadre rigoureux d'information médicale. Ce cadre est clairement présenté ici : en premier lieu, la place de la consultation génétique en oncosénologie et le dispositif national d'oncogénétique (Drs Jessica Moretta et Catherine Noguès) ; en second lieu, l'importance de tenir compte de l'impact psychologique chez les patients de cette masse de connaissances à disposition (Dr Anne Brédart et al.).
Enfin, l'établissement des scores polygéniques de risque fait l'objet d'études nationales ou internationales dont le rationnel est présenté par le Dr Fabienne Lesueur et al. Quant aux signatures génomiques “prédictives” d'un risque de rechute et de l'efficacité potentielle de la chimiothérapie, le Dr Élisabeth Luporsi en rappelle les limites et indications telles que définies par la HAS, et le Dr Étienne Gouton et al. détaillent le résultat des études cliniques qui tendent à identifier, parmi les patientes avec un cancer du sein RH+ pN0, celles à bas risque de rechute qui ne nécessitent pas de chimiothérapie.
En France, nous avons la chance que ces analyses moléculaires, à l'échelle de la tumeur ou du sang (hérédité), en conditions de diagnostic ou de recherche, soient essentiellement réalisées au sein de réseaux hospitaliers académiques ou para-académiques de référence. Cela contribue à une certaine indépendance des laboratoires hospitaliers et des praticiens vis-à-vis de l'industrie, visant à l'établissement de recommandations ou de normes sous l'égide de structures gouvernementales (Institut national du cancer, Inserm, HAS, Agence de la biomédecine, etc.) et de sociétés savantes.
Permettre aux cliniciens de proposer des prises en charge médicales adaptées au patient est un devoir, mais qui doit reposer sur des données médicales et scientifiques rigoureuses, obtenues dans le cadre de protocoles de recherche et d'essais cliniques fondés sur des hypothèses renouvelées et précisément définies. La médecine de précision est une affaire sérieuse, et les publications de ce numéro en sont la preuve.