On constate une demande accrue de tissus et d'organes humains pour remplacer les organes endommagés par certaines maladies aiguës et chroniques. Cette demande ne peut pas être satisfaite par le “pool“ de donneurs actuellement disponible. Les efforts pour fournir une source alternative ont conduit au développement de l'ingénierie d'organes, une discipline qui combine la création de tissus ou la décellularisation progressive d'organes ou de tissus suivie de la perfusion cellulaire pour obtenir une recellularisation. Ces “bioscaffolds“, échafaudages biomimétiques ou naturels, peuvent ensuite être utilisés pour créer des organes bio-artificiels (1, 2).
Des études récentes ont montré qu'il est possible d'obtenir un squelette d'organe servant de support à la synthèse par ingénierie biotissulaire d'organes tels que le foie, le cœur, la cornée, le pancréas, l'intestin. Ces néo-organes permettent en outre d'étudier le comportement des cellules sous l'action de nouveaux médicaments dans leur environnement naturel plutôt que d'observer des cellules isolées cultivées sur boîtes de Petri.
Ingénierie tissulaire in vitro et in vivo
L'ingénierie tissulaire a été explorée dans le but de réparer, remplacer et régénérer les tissus pathologiques. La géométrie structurale et la morphologie sont des paramètres importants pour la conception d'échafaudages cellulaires biomimétiques artificiels. Une structure d'échafaudage tridimensionnel (3D) spécifique doit être ajustée pour application dans chaque tissu ou organe. Les échafaudages 3D doivent imiter suffisamment les caractéristiques naturelles de l'environnement extracellulaire, comme ils le feraient in vivo, les cellules du tissu étant entourées d'une matrice extracellulaire dépendant du type cellulaire dynamique, sensible à leur environnement. Après le développement initial de l'ingénierie tissulaire in vitro, des progrès ont été réalisés grâce aux avancées technologiques en matière de “génie tissulaire in vivo“, une approche biomédicale où le corps est le propre bioréacteur. Cette approche in vivo représente un nouvel espoir pour la création d'organes bio-artificiels et de tissus biomimétiques.
Nanobiomatériaux au service de l'ingénierie tissulaire
L'ingénierie tissulaire et les nanobiomatériaux (contenant des nanoparticules de moins de 100 nanomètres) apparaissent comme un nouvel outil thérapeutique ; ils représentent une voie prometteuse pour la création de matrices extracellulaires biomimétiques. Les échafaudages biohybrides et les nanobiotechnologies contribuent à la création de bioprothèses et d'organes bio-artificiels. Les nanomatériaux synthétiques présentent de nombreux avantages : composition pure, toxicité prévisible, spécificité d'action, faible coût de fabrication et courbe de dégradation connue. Les protéines, les peptides et les polysaccharides sont à la base de la fabrication de la plupart des nanomatériaux utilisés en biomédecine. La matrice idéale pour la restauration de tissus humains reste à déterminer.
Les progrès importants réalisés dans la synthèse de biomatériaux à partir des nanotechnologies ont permis de multiples applications en biomédecine. La qualité première de ces matériaux est de simuler l'architecture et les propriétés fonctionnelles des matrices extracellulaires qui comportent de réels nanoréseaux en 3 dimensions et qui filtrent les produits actifs, contrôlant ainsi leur pénétration et leur concentration. Les nanomatériaux apparaissent comme les agents idéaux pour permettre une croissance contrôlée d'un îlot cellulaire sous l'action d'un produit actif.
Cinq sujets innovants sont mis en lumière dans ce nouveau numéro du Courrier de la Transplantation :
Ingénierie tissulaire in vivo pour remplacement trachéal et bronchial
(équipe E. Martinod, hôpital Avicenne, Bobigny)
Les remplacements trachéaux et bronchiques utilisant des matériaux issus de l'ingénierie tissulaire sont des procédures complexes, limitées aux lésions bénignes ou malignes pour lesquelles il n'existe aucun traitement valable. Plusieurs matrices ont été essayées : homogreffes trachéales décellularisées ou échafaudages synthétiques ensemencés avec des cellules in vitro, homogreffes trachéales et homogreffes aortiques cryopréservées soumises exclusivement à l'ingénierie tissulaire in vivo. À la lumière des résultats des études expérimentales et cliniques, il semble que l'homogreffe aortique cryoconservée à – 80 °C soit le meilleur échafaudage à utiliser dans les remplacements des voies respiratoires. Il s'agit d'un tissu biologique facilement disponible dans les banques de tissus dont l'implantation ne nécessite pas d'immunosuppression (3, 4).
Instaurer un dialogue biomatériaux-cellules : vers une parfaite bio-intégration
(équipe E. Pauthe, université Cergy-Pontoise, faculté de médecine Lariboisière-St Louis, Yale University)
Les développements technologiques et l'ingénierie des matériaux ont permis de proposer de nouvelles générations de matériaux très bien maîtrisés (polymériques – synthétiques ou naturels –, céramiques, alliages métalliques) qui confèrent une réponse fonctionnelle optimisée mais qui nécessitent aussi des adaptations pour assurer une réelle substitution du tissu défaillant au site d'implantation.
Les cellules souches mésenchymateuses semblent résister à des conditions quasi anoxiques à la condition d'être suppléées en glucose. Les résultats in vivo démontrent clairement l'intérêt de développer des microenvironnements capables de délivrer localement du glucose aux cellules souches au sein du biomatériau pendant plusieurs semaines.
Récemment, un système innovant à base de fibrine, d'amidon et d'amyloglucosidase (enzyme de dégradation de l'amidon) a été valorisé (invention brevetée). Cet hydrogel propose de délivrer du glucose localement aux cellules par une hydrolyse contrôlée de l'amidon (5-7).
Stratégie de fonctionnalisation par nanoréservoirs pour relargage des molécules thérapeutiques
(équipe N. Jessel, Inserm et université de Strasbourg)
L'avènement de l'ingénierie tissulaire a permis le développement de plusieurs générations de biomatériaux à complexités croissantes pour la régénération de tissus. Ainsi, les biomatériaux de troisième génération ont montré des améliorations par l'ajout de cellules souches autologues et l'incorporation de facteurs de croissance à partir de la technologie de nanoréservoirs. Cette technologie permet d'une part un relargage des molécules thérapeutiques continu dans le temps, et offre d'autre part une protection à ces molécules, tout en permettant de diminuer les quantités de facteur de croissance utilisées. Cette stratégie de fonctionnalisation est mise à profit pour séquestrer, protéger et stabiliser certains agents thérapeutiques au sein de dispositifs implantables pour la médecine régénérative, permettant ainsi d'élaborer des implants intelligents et innovants (8, 9).
Impression tridimensionnelle dans le domaine médical
(équipe M. Salmi, université d'Aalto, Finlande)
Les biotechnologies émergentes incluent l'impression tridimensionnelle (3D), procédé dans lequel le matériau est généralement ajouté couche par couche, contrairement aux méthodes de fabrication traditionnelles. Dans le domaine médical, l'impression 3D a un énorme potentiel car chaque patient est unique, et la personnalisation avec l'impression 3D ne nécessite que de modifier le modèle 3D du produit. Les applications médicales de l'impression 3D (fabrication additive) peuvent être classées en 5 groupes différents : modèles médicaux ; aides médicales, orthèses, attelles et prothèses ; outils, instruments et pièces pour dispositifs médicaux ; implants inertes ; bioproduction.
Des modèles préopératoires imprimés en 3D peuvent être créés à partir d'images du cœur, de la cheville, de la colonne vertébrale, du genou et du bassin, avec différents processus et matériaux. Dans chaque cas, on constate que l'impression tridimensionnelle assure une meilleure compréhension de l'anatomie. Les modèles préopératoires aident à effectuer les procédures chirurgicales ; une planification optimisée réduit le temps moyen utilisé pour la chirurgie. Lorsque le modèle 3D est créé, les sujets sont préalablement imaginés à l'aide de la tomodensitométrie, le modèle est ensuite réalisé à partir d'images calculées mathématiquement et, enfin, imprimé. Dans les applications d'ingénierie tissulaire, l'impression 3D facilite la fabrication rapide et personnalisée d'échafaudages avec un large choix de matériaux. Cette technique peut être développée en utilisant un procédé de modélisation par dépôt fusionné et fonctionnalisé avec des bioadditifs tels que les cellules souches, les vésicules extracellulaires (EV) incluant les exosomes et les microparticules, les facteurs paracrines, les cytokines et les facteurs de croissance angiogéniques (10, 11).
Myocarde bio-artificiel dans le traitement de l'insuffisance cardiaque chronique
(équipe J.C. Chachques, université Paris-Descartes, hôpital européen Georges-Pompidou)
Les nanotechnologies appliquées au domaine biomédical ont permis de progresser dans la fabrication des matériaux synthétiques biomimétiques. Les nanomatériaux apparaissent ainsi comme les principaux candidats pour assurer la fabrication de matrices extracellulaires artificielles. Ils peuvent être associés aux facteurs solubles, aux facteurs de croissance angiogéniques et à d'autres médicaments. La différenciation des cellules souches cardiomyogénique pourrait être induite par des approches physiques telles que l'électrostimulation et/ou une contrainte de compression cyclique imitant les contractions cardiaques (11, 12).
Les échafaudages biohybrides, utilisant des nanomatériaux combinés ou non avec des cellules souches, apparaissent comme un nouvel outil thérapeutique pour la création de patchs ventriculaires utilisables comme “myocarde bio-artificiel“ (cardiopatch) et de “bioprothèses de soutien ventriculaire“ (cardiowrap) afin de limiter la dilatation cardiaque et régénérer le myocarde. Les échafaudages poreux en polycaprolactone (PCL) imprimés en 3D sont un matériau prometteur pour l'élaboration de cardiopatchs et de bioprothèses. La nécessité d'associer les cellules souches exogènes aux nouveaux matériaux d'ingénierie tissulaire reste à déterminer, car le nouveau tissu greffé pourrait être colonisé par les cellules circulantes du receveur. Ces approches d'ingénierie tissulaire myocardique in vivo permettent de réduire le risque de progression de l'insuffisance cardiaque et l'indication de transplantation cardiaque (12-14).■